Italie
La stratégie plébiscitaire de Berlusconi
A une semaine des élections législatives, le magnat de la télévision semble en mesure de l'emporter face au candidat du centre-gauche, Francesco Rutelli. Grâce notamment à une stratégie publicitaire originale. Vendredi 4 mai Berlusconi a promis une nouvelle fois qu'il résoudrait son problème de conflit d'intérêts, sans en préciser la date, et en ajoutant : «la décision sur le futur (de mes entreprises) dépend certes de moi, mais surtout de mes enfants», Marina et PierSilvio, vice-présidents respectivement de Finivest et de Mediaset.
Des slogans, des promesses et une «Berlusconi story» de 150 pages (et 400 photos couleur) envoyée gratuitement à toutes les familles de la péninsule. Le leader de la coalition du centre et de droite qu'il a lui même appelée «Maison des Libertés» a plus que personnalisé un scrutin pourtant censé renouveler le Parlement italien.
Silvio Berlusconi a d'abord interdit aux autres candidats de sa propre coalition d'afficher leur photo. Seule celle de «l'homme le plus riche d'Italie» a été autorisée par ses stratèges publicitaires. Ce qui a provoqué quelques démissions chez des jeunes candidats qui avaient bien appris la leçon délivrée quotidiennement par l'homme le plus médiatique. «Il faut se montrer, bien paraître, exister par l'image» , leur avait-on dit, lors du «séminaire express» qu'ils ont tous suivi, au siège de Forza Italia, avant de partir à la conquête «du c£ur des gens», le kit du candidat à la main.
Au fur et à mesure que la date des élections approche - le 13 mai -, Berlusconi fait monter le niveau de l'affrontement avec la coalition de l'Olivier (centre et gauche), en utilisant toutes les vieilles ficelles du populisme et de la démagogie. Désormais, il ne suffit plus à ses yeux de promettre «plus de sécurité dans les villes », «plus de richesse pour tous» ou «moins d'impôts pour tous» (sans préciser comment). Le «self made man» - qui a tout de même largement bénéficié de ses relations privilégiées avec l'Italien Craxi, le Français Mitterrand, l'Espagnol Gonzalez, pour faire fortune dans ces trois pays - se place une fois de plus au centre de la compétition.
«Ca passe ou ça casse!»
Comme toujours Berlusconi ne vise que la première place. Son désir d'être «le protagoniste», au sens propre du terme, est radical : il ne peut qu'être premier. Toujours sur le devant de la scène. Pour cela, il suffit qu'il sente que l'adversaire se rapproche de lui dans les sondages, pour qu'il déclenche aussitôt une opération de survie (ou de diversion). Ainsi, à deux semaines du scrutin, il a tout d'un coup décidé de renoncer à tous les meetings publics prévus, officiellement pour des raisons de sécurité. Il s'est dit «en danger», sans préciser d'où ce danger venait. Ce qui a fait la «une» des médias et du même coup relégué en page intérieure le programme de l'adversaire.
Pas étonnant que Berlusconi opte ensuite pour la non-publication de son programme, pourtant déjà rédigé. «Mon programme de gouvernement : c'est moi, ma réussite. Ayez confiance en moi!» répète Berlusconi. Et d'ajouter : «je propose de signer un contrat avec l'Italie, avec les Italiens. Je m'engage à quitter définitivement la scène politique à la fin de mon mandat de cinq ans, si je n'applique pas mon programme». Lequel ? «Moins d'impôts, plus de sécurité, plus de richesse pour tous»à
Ce «degré zéro de la propagande» n'échappe bien entendu pas à son auteur et bénéficiaire. Mais, aux raisonnements politiques Berlusconi a toujours préféré les émotions de la publicité. Sur l'affiche qui accompagne partout Silvio Berlusconi, un logo (Forza Italia), une seule photo (la sienne) et un mot : «Presidente». De quoi au juste ? Du Milan AC, de Mediaset (son empire télévisuel), du Conseil des ministres ou de la République ? Aux yeux du magnat de la télévision privée, il ne s'agit plus d'une élection législative, mais d'un sorte de référendum pour ou contre Berlusconi. Mieux d'un plébiscite, qu'il devrait remporter sans trop de difficulté.
Car Berlusconi est un véritable «renifleur de tendances». Presque tous les matins il parcourt attentivement les résultats des sondages qui lui indiquent l'humeur, les préférences, les soucis des Italiens. Sur cela il bâtit des discours pleins de promesses qui varient en fonction de l'auditoire et qui ne s'embarrassent d'aucune contradiction. Pour lui, il importe de «positiver», de «faire plaisir», de caresser son auditoire toujours dans le sens du poil, mais aussi de bien isoler un ennemi, de préférence se terminant en «isme» : le communisme, l'étatisme, l'immobilisme, le centralisme. Car il a compris que le temps des idéologies est loin derrière. Depuis la fin de l'Union soviétique, puis de la Démocratie chrétienne et du parti socialiste - ses deux «parrains» emportés par les juges de «Mains propres» - il sait que la plupart des jeunes ne rêvent plus de révolution mais de réussite. Celle-ci est au centre de son «message».
Avec Berlusconi, la communication politique a pris la place du programme politique, le «modèle» n'est plus un idéal, mais un homme. Le parti a été remplacé par une sorte de «club de supporters» - Forza Italia - avec ses règles, ses codes de conduite, son langage presque codé. Le tout basé sur le mérite et le travail. Une «communauté» que ses adversaires n'hésitent plus à qualifier de secte, et dont les origines se situent au sein de la principale - et la moins connue - des entreprises de Berlusconi : Publitalia. Il s'agit de la première régie publicitaire de la péninsule, qui emploie des dizaines de milliers de personnes et qui a permis en 1993 à Berlusconi de disposer en quelques semaines seulement de milliers d'envoyés spéciaux, chargés de porter la bonne parole berlusconienne aux quatre coins de l'Italie. Cette main-d'£uvre maison lui a permis de l'emporter une première fois, en 1994 : dans le nord comme dans le sud du pays son message a été facilement accueilli par les centaines de milliers de petits et moyens entrepreneurs, les artisans ou les jeunes rêvant de réussite. Peut-être parce qu'ils sont tous des orphelins de la Démocratie chrétienne et du parti socialiste.
La victoire annoncée de Berlusconi est d'abord la leur. Depuis la démission forcée de Berlusconi, six mois seulement après son investiture, Forza Italia est devenue une véritable «machine à convaincre et à gagner», omniprésente et bien structurée. Et d'autant plus assoiffée de revanche que ses «envoyés spéciaux» jouent en même temps leur avenir politique et professionnel.
Silvio Berlusconi a d'abord interdit aux autres candidats de sa propre coalition d'afficher leur photo. Seule celle de «l'homme le plus riche d'Italie» a été autorisée par ses stratèges publicitaires. Ce qui a provoqué quelques démissions chez des jeunes candidats qui avaient bien appris la leçon délivrée quotidiennement par l'homme le plus médiatique. «Il faut se montrer, bien paraître, exister par l'image» , leur avait-on dit, lors du «séminaire express» qu'ils ont tous suivi, au siège de Forza Italia, avant de partir à la conquête «du c£ur des gens», le kit du candidat à la main.
Au fur et à mesure que la date des élections approche - le 13 mai -, Berlusconi fait monter le niveau de l'affrontement avec la coalition de l'Olivier (centre et gauche), en utilisant toutes les vieilles ficelles du populisme et de la démagogie. Désormais, il ne suffit plus à ses yeux de promettre «plus de sécurité dans les villes », «plus de richesse pour tous» ou «moins d'impôts pour tous» (sans préciser comment). Le «self made man» - qui a tout de même largement bénéficié de ses relations privilégiées avec l'Italien Craxi, le Français Mitterrand, l'Espagnol Gonzalez, pour faire fortune dans ces trois pays - se place une fois de plus au centre de la compétition.
«Ca passe ou ça casse!»
Comme toujours Berlusconi ne vise que la première place. Son désir d'être «le protagoniste», au sens propre du terme, est radical : il ne peut qu'être premier. Toujours sur le devant de la scène. Pour cela, il suffit qu'il sente que l'adversaire se rapproche de lui dans les sondages, pour qu'il déclenche aussitôt une opération de survie (ou de diversion). Ainsi, à deux semaines du scrutin, il a tout d'un coup décidé de renoncer à tous les meetings publics prévus, officiellement pour des raisons de sécurité. Il s'est dit «en danger», sans préciser d'où ce danger venait. Ce qui a fait la «une» des médias et du même coup relégué en page intérieure le programme de l'adversaire.
Pas étonnant que Berlusconi opte ensuite pour la non-publication de son programme, pourtant déjà rédigé. «Mon programme de gouvernement : c'est moi, ma réussite. Ayez confiance en moi!» répète Berlusconi. Et d'ajouter : «je propose de signer un contrat avec l'Italie, avec les Italiens. Je m'engage à quitter définitivement la scène politique à la fin de mon mandat de cinq ans, si je n'applique pas mon programme». Lequel ? «Moins d'impôts, plus de sécurité, plus de richesse pour tous»à
Ce «degré zéro de la propagande» n'échappe bien entendu pas à son auteur et bénéficiaire. Mais, aux raisonnements politiques Berlusconi a toujours préféré les émotions de la publicité. Sur l'affiche qui accompagne partout Silvio Berlusconi, un logo (Forza Italia), une seule photo (la sienne) et un mot : «Presidente». De quoi au juste ? Du Milan AC, de Mediaset (son empire télévisuel), du Conseil des ministres ou de la République ? Aux yeux du magnat de la télévision privée, il ne s'agit plus d'une élection législative, mais d'un sorte de référendum pour ou contre Berlusconi. Mieux d'un plébiscite, qu'il devrait remporter sans trop de difficulté.
Car Berlusconi est un véritable «renifleur de tendances». Presque tous les matins il parcourt attentivement les résultats des sondages qui lui indiquent l'humeur, les préférences, les soucis des Italiens. Sur cela il bâtit des discours pleins de promesses qui varient en fonction de l'auditoire et qui ne s'embarrassent d'aucune contradiction. Pour lui, il importe de «positiver», de «faire plaisir», de caresser son auditoire toujours dans le sens du poil, mais aussi de bien isoler un ennemi, de préférence se terminant en «isme» : le communisme, l'étatisme, l'immobilisme, le centralisme. Car il a compris que le temps des idéologies est loin derrière. Depuis la fin de l'Union soviétique, puis de la Démocratie chrétienne et du parti socialiste - ses deux «parrains» emportés par les juges de «Mains propres» - il sait que la plupart des jeunes ne rêvent plus de révolution mais de réussite. Celle-ci est au centre de son «message».
Avec Berlusconi, la communication politique a pris la place du programme politique, le «modèle» n'est plus un idéal, mais un homme. Le parti a été remplacé par une sorte de «club de supporters» - Forza Italia - avec ses règles, ses codes de conduite, son langage presque codé. Le tout basé sur le mérite et le travail. Une «communauté» que ses adversaires n'hésitent plus à qualifier de secte, et dont les origines se situent au sein de la principale - et la moins connue - des entreprises de Berlusconi : Publitalia. Il s'agit de la première régie publicitaire de la péninsule, qui emploie des dizaines de milliers de personnes et qui a permis en 1993 à Berlusconi de disposer en quelques semaines seulement de milliers d'envoyés spéciaux, chargés de porter la bonne parole berlusconienne aux quatre coins de l'Italie. Cette main-d'£uvre maison lui a permis de l'emporter une première fois, en 1994 : dans le nord comme dans le sud du pays son message a été facilement accueilli par les centaines de milliers de petits et moyens entrepreneurs, les artisans ou les jeunes rêvant de réussite. Peut-être parce qu'ils sont tous des orphelins de la Démocratie chrétienne et du parti socialiste.
La victoire annoncée de Berlusconi est d'abord la leur. Depuis la démission forcée de Berlusconi, six mois seulement après son investiture, Forza Italia est devenue une véritable «machine à convaincre et à gagner», omniprésente et bien structurée. Et d'autant plus assoiffée de revanche que ses «envoyés spéciaux» jouent en même temps leur avenir politique et professionnel.
par Elio Comarin
Article publié le 04/05/2001