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Italie

L’Europe impuissante face au «<i>cas Berlusconi</i>»

Sommé de toute part de confirmer l’engagement de l’Italie en faveur de l’Union européenne, en dépit de la démission de son ministre (europhile) des Affaires étrangères, Silvio Berlusconi n’aura pas de mal à rappeler ses déclarations passées voire à faire une énième profession de foi européenne, et quelques promesses supplémentaires, pour rassurer les partenaires de l’UE. Il sait en effet que toute initiative communautaire visant à isoler l’Italie - comme hier l’Autriche de Haider - est vouée à l’échec, et n’a aucune chance d’être proposée par la présidence espagnole. Mais le « cas Berlusconi » reste entier, car il remet à la « une » le poids réel que le populisme et la démagogie revêtent actuellement en Europe. En Italie comme ailleurs.
L’homme le plus riche de la péninsule, du haut de son empire à la fois financier, publicitaire et médiatique, partage avec une très grande majorité d’Italiens le sentiment que l’avenir commun des pays européens est inéluctable et que cela peut se révéler très payant (quel que soit la devise encaissée), si on accepte de se plier à quelques règles de base. Pour cela aussi, il n’y a jamais eu en Italie de véritable débat politique autour de l’Europe, comme si son avenir (fédéral) était presque inscrit dans ses gênes. Donc hors discussion. La seule question portant sur le rôle que la nation italienne (elle même en voie d’intégration) ou ses différentes composantes (régions, cités-états) devaient y jouer, ensemble ou séparément.

Pour Berlusconi, un entrepreneur lombard qui a fait fortune à l’ombre de l’économie dite parallèle (c’est-à-dire illégale) mais avec l’aide déterminante de politiciens aussi connus que Craxi (socialiste) et Andreotti (démocrate-chrétien), il importe d’abord que «son» Italie gagne, en Europe comme ailleurs. Pour lui, un ambassadeur de cette Italie «nouvelle» est d’abord un VRP des entreprises de la péninsule. Un ministre est un «ami» qui - à l’image de Berlusconi lui-même - a réussi grâce à sa volonté et à son travail, et qui mérite donc une place au gouvernement comme d’autres la légion d’honneur.

On a souvent l’impression que le Président du Conseil italien n’a toujours pas changé de manière de diriger ses «employés ». Il se croit toujours à la tête d’une entreprise appelée Italie. Son peu d’expérience en matière politique - et notamment en affaires internationales - ne l’empêche pour autant pas de vouloir tout faire, tout diriger, tout décider. Même la couleur des rideaux des chambres d’hôtel devant accueillir les membres du G8, à Gênes, en juillet dernier. Et en cela, il se trompe. Car, il est aujourd’hui impossible, en Europe occidentale, de cumuler la présidence du gouvernement et les Affaires étrangères d’un pays de près de 60 millions d’habitants. Il en a fait aussitôt l’amère expérience : selon le journal La Stampa, pour le seul mois de janvier, sur sept rencontres qui figuraient à l’agenda de Renato Ruggiero, une seulement a été maintenue, et les autres ont été soit repoussées soit annulées.

Comment «mesurer» le populisme ?

Cette première faute politique a été indirectement mise en avant par tous ceux qui ont manifesté leur opposition à l’intérim assuré par Berlusconi aux Affaires étrangères, à commencer par le Président de la République et un allié aussi important (et ambitieux) que Gianfranco Fini (Alliance nationale, post-fasciste), qui est lui même très intéressé par ce ministère prestigieux. Mais Berlusconi est d’abord un pragmatique : comme lors de la polémique sur le mandat d’arrêt européen, il est capable de faire marche arrière, et même de désavouer certains collaborateurs, si cela peut rassurer l’opinion publique italienne et les médias européens. Car, ce qui importe à ses yeux, c’est bien l’état de cette opinion publique, qu’il suit jour après jour grâce à des séries de sondages, et qui conditionne ses choix.

Cette stratégie, basée sur un populisme très primaire, mais très payant lors des élections, n’est certes pas une spécialité italienne. Ailleurs aussi, démagogie et populisme sont à l’ordre du jour, notamment à la veille d’échéances électorales. Mais, en Italie, l’opinion publique est plus désorientée qu’ailleurs en raison de ce qu’on appelle le conflit d’intérêt lié au «cas Berlusconi» : celui-ci contrôle non seulement son empire médiatique (télévisions, quotidiens, magazines, maison d’éditions) mais aussi les chaînes publiques de la RAI. Or, dans quelques mois, devrait être renouvelé le Conseil d’administration de celle-ci ; mais de nombreux journalistes ont visiblement anticipé le remplacement d’une direction plutôt de centre-gauche par une équipe plutôt de centre-droite, et en tout cas favorable au roi de la télé-paillettes. Conformisme oblige.

En entrepreneur éclairé, Berlusconi évitera probablement de rafler toute la mise : il pourrait même laisser à l’opposition la possibilité de s’exprimer sur l’une des chaînes publiques. Autant dire que les spectateurs italiens auront sous peu de la peine à entendre des sons de cloches non conformes au pouvoir en place, notamment lorsqu’il s’agit de «couvrir» les procès pour corruption de magistrats dans lesquels sont impliqués de nombreux collaborateurs de Berlusconi, des parlementaires de Forza Italia, et Berlusconi lui même.

Comment «isoler» ou «mettre à l’index» le populisme rampant de Berlusconi ? L’Europe n’a aucun moyen de le «mesurer», et de toute manière ne pourrait le faire uniquement en Italie. Encore moins dans quelques mois, lorsque Berlusconi aura fait adopter une loi taillée sur mesure pour cacher son contrôle réel de son empire médiatique.




par Elio  Comarin

Article publié le 09/01/2002