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Italie

La démission de Ruggiero isole Berlusconi

Une crise gouvernementale a éclaté samedi 5 janvier en Italie, avec la démission du ministre des Affaires étrangères Renato Ruggiero. Ce dernier, europhile convaincu, n’a pas supporté les déclarations eurosceptiques de plusieurs autres ministres. Une nouvelle fois, la crédibilité européenne de l’Italie est atteinte. En France, le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine «regrette beaucoup» le départ de son homologue. A Bruxelles, le président de la Commission européenne Romano Prodi espère une «continuité» de la politique italienne.
Silvio Berlusconi a perdu samedi soir son ministre des Affaires étrangères Renato Ruggiero, mais n’a exprimé aucun regret. Il a qualifié de «divorce à l’amiable» une démission volontaire et attendue depuis six mois, c’est-à-dire depuis la formation de son gouvernement de coalition de centre-droite, en juin dernier. Car les deux hommes se sont opposés sur toutes les questions internationales du moment: de la remise en cause des accords de Kyoto sur le réchauffement climatique à l’arrivée de l’euro, en passant par la gestion politique du G8 de Gênes, l’analyse des attentats terroristes du 11 septembre, l’envoi d’une petite armada italienne dans l’océan Indien, la mise en place du mandat d’arrêt européen ou la réalisation d’un avion européen de transport de troupes.

Fidèle à son «rêve américain» qu’il a concrétisé en devenant l’homme le plus riche de la péninsule, Berlusconi a constamment pris fait et cause pour l’Amérique de Bush et de Wall Street. Tout en veillant scrupuleusement à en tirer le maximum de profit personnel. Pour cela il a préféré les Hercules de Lockheed à l’Airbus européen, mais s’est surtout opposé à toute mesure judiciaire européenne susceptible de le menacer directement, au moment où il est personnellement mis en cause, à Milan, dans un autre procès pour corruption de magistrats.

Plus préoccupé par son image internationale et par les «affaires» qui risquent de le disqualifier non seulement aux yeux des Européens, mais surtout des électeurs italiens, le président du Conseil italien a constamment sous-estimé toutes les mises en garde que lui a régulièrement adressé Renato Ruggiero. Tout en permettant aux autres «poids lourds» du gouvernement (du régionaliste Bossi aux ultra-libéraux Tremonti et Martino) de tirer à boulets rouges sur un ministre des Affaires étrangères pro-européen convaincu et atlantiste depuis toujours. Pendant ce temps-là, Berlusconi pouvait s’occuper des choses sérieuses: remise en cause de l’indépendance de la magistrature, lancement d’un programme sans précédent de travaux publics, mise au point d’une loi (à venir) sur le conflit d’intérêts lui permettant de garder le contrôle réel de ses entreprises médiatiques.

«En Italie, il n'y a même plus de bananes. Seulement des figues de Barbarie»

Le «cas Ruggiero» était sans doute le dernier des soucis de Berlusconi. Son isolement au sein d’une coalition de plus en plus eurosceptique était à la fois patent et pathétique. Car, visiblement, il ne faisait partie ni de la famille de la «Maison des Libertés» ni du clan Berlusconi. Imposé par Gianni Agnelli, le président honoraire de Fiat, en contrepartie de son soutien à une coalition hétéroclite mais soutenue par les petits comme par les grands patrons, Renato Ruggiero a tout essayé pour que l’Italie reste arrimée à l’Union européenne.

Sa démission «est une mauvaise journée pour l’Italie comme pour moi» a déclaré Gianni Agnelli. «Je crains que les autres membres du gouvernement ne s’en rendent pas compte. Songer à s’éloigner de l’Europe, c’est à la fois ridicule et tragique. Je ne comprends vraiment pas ceux qui répètent que nous devons être plus proches de l’Amérique que de l’Europe, que nous devons bâtir un axe avec Bush et Blair plus qu’avec Bruxelles». Pour l’ancien patron de Fiat, on ne doit pas regarder à l’Europe en fonction de son propre intérêt immédiat ou de la perte d’une partie de sa souveraineté, mais comprendre qu’on «entre dans une maison plus grande», dont on disposera, avec les autres pays, «des clés et de la maîtrise».

Le grand entrepreneur turinois ne devrait tout de même pas trop regretter le soutien qu’il a assuré à Berlusconi. Car celui-ci lui a bien renvoyé l’ascenseur, en décembre dernier, à l’occasion d’une restructuration du capital aussi inattendue que rapide qui devrait permettre à Fiat de réduire de moitié son endettement. Or, si l’on croit des sources officieuses mais bien renseignées, celui-ci passerait de 7 à 3,5 milliards d’euros.

Avant même la démission de Ruggiero, différents noms de successeurs possibles circulaient à Rome. Le professeur en philosophie Buttiglione et le président de l’Assemblée Casini, tous deux anciens démocrate-chrétiens actuellement à la tête de petits partis centristes se disputant les voix de quelques catholiques et de la Curie romaine, semblaient tenir la corde. Une chose paraissait sûre: le futur ministre des Affaires étrangères n’aurait aucune autonomie politique vis-à-vis de Berlusconi. Dimanche soir, les rumeurs ont finalement reçu la plus éclatante des confirmations, puisque c’est Silvio Berlusconi lui-même qui assumera l'intérim de ministre des Affaires étrangères pendant une période qui «ne sera pas brêve et pourait même durer plusieurs semaines voire quelques mois», disait-on à la présidence du Conseil.

Pour Berlusconi, il importe d’abord de couper l’herbe sous les pieds de l’opposition de centre-gauche et de rassurer les partenaires européens. Or, il croît toujours que seul son «engagement personnel» en faveur d’une «Europe des nations» mal définie peut assurer à l’Italie la place qui revient à l’un des pays fondateurs de l’Europe. Mais, jusque là, ses déclarations en faveur de la construction européenne n’ont satisfait vraiment que les… eurosceptiques, car tous les choix importants faits par l’Italie depuis six mois ont favorisé Bush. Et Berlusconi.

L’Italie risque-t-elle désormais de ressembler plus que jamais à une «république bananière», dirigée par le tycoon Berlusconi ? Pour Gianni Agnelli «en Italie, malheureusement, il n’y a même pas de bananes. Uniquement des figues de Barbarie».



par Elio  Comarin

Article publié le 06/01/2002