Italie
La «révolution conservatrice» en marche ?
La victoire de Silvio Berlusconi est-elle une simple alternance ou une véritable révolution conservatrice ? Elle est le symptôme du rejet de Rome par le pays profond.
De notre envoyé spécial en Italie
Simple alternance politique ou véritable révolution conservatrice ? L'incontestable victoire de Silvio Berlusconi, annoncée mais inattendue par son ampleur, est perçue par de nombreux intellectuels ou journalistes de gauche comme une sorte de catastrophe culturelle qui priverait le pays de son «identité» et remettrait en cause même les «valeurs communes» partagées par tous les Italiens depuis la naissance de la République, en 1946. Comme si la droite italienne n'avait aucune légitimité à diriger le pays, alors qu'elle l'a déjà fait, du temps du «régime» démocrate-chrétien. En réalité cette réaction à la défaite politique de Francesco Rutelli prouve bien que la gauche communiste et post-communiste avait instauré une sorte de «hégémonie culturelle» et indirectement conditionné la façon de «couvrir» ce pays de la part de nombreux médias étrangers. Et qu'elle s'est souvent contentée de se regarder dans ce miroir déformant qu'a été l'image de l'Italie souvent entretenue à Paris, Londres ou New York : l'Italie frivole de Cinecittà ou narcissique de Nanni Moretti, l'Italie querelleuse du Parlement ou éternellement instable aux 58 gouvernements, l'Italie colorée des cardinaux ou provocante de Sabrina Ferrilli.
Bien entendu, cette image n'est pas fausse, mais elle un défaut majeur : elle ne reflète que Rome, pas le reste de l'Italie. Or, une «révolte contre Rome» est en cours depuis de nombreuses années, dans le nord comme dans le sud. Il s'agit d'une révolte souvent injuste et injustifiée, car les politiciens corrompus ou mafieux vivant à Rome sont originaires de toutes les régions de la péninsule, et l'administration est aussi pléthorique et inefficace à Rome qu'ailleurs.
«Rome la voleuse»
Mais, en dénonçant Rome «la mafieuse et la paresseuse», beaucoup d'Italiens visaient en réalité tous ceux qui n'avaient pas pris en compte leur désir de voir l'Italie «compter de nouveau» en Europe, notamment aux côtés des autres «grands» : Allemagne, France et Grande Bretagne . C'est le nordiste Umberto Bossi qui le premier a dénoncé «Rome la voleuse» et menacé de faire sécession. Personne ne l'a véritablement pris au sérieux, mais certains ont vite compris, dès le début des années 90, qu'une forme inattendue de «révolution conservatrice» était en marche.
Cette forme récente de nationalisme s'est manifestée, sous des formes différentes, autant dans le nord que dans le sud, et a concerné toutes les couches sociales ; même si elle n'a été prise en compte que par les rares intellectuels de droite qui ont osé remettre en cause certains mythes hérités du risorgimento ou de la résistance.
Ceux-ci souhaitent aujourd'hui une «deuxième reconstruction» de l'Italie, comparable à celle intervenue au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Certains vont jusqu'à évoquer la nécessité impérieuse d'une «renaissance inter-classiste» s'inspirant de la démarche des pères fondateurs de la République italienne : le démocrate-chrétien De Gasperi et le libéral Einaudi. Ce qui entraînerait l'abandon définitif de la «politique du compromis et de la négociation» pratiquée ces dernières années. A leurs yeux, seul Berlusconi a su comprendre ce phénomène et proposer un idéal («moins d'impôts, plus de travail, plus de richesse») qui est partagé désormais à la fois par les «nordistes» et les «sudistes».
Il s'agit d'un « bloc social « nouveau, comprenant à la fois ouvriers, artisans et petits et moyens patrons, qui remplacerait progressivement le pouvoir actuel, qui est aux mains des grandes entreprises (souvent para-étatiques), des organisations syndicales (de moins en moins représentatives) et de l'Etat-Providence. Cette «révolution» à la fois conservatrice et morale, est appelée à remplacer la «culture du discours» chère à la gauche par la «culture du travail» prônée par la droite. Pour l'heure Berlusconi enregistre le soutien, discret mais réel, de l'Eglise et des grands patrons (à commencer par Fiat), qui ont salué le «besoin de stabilité» que l'Italie vient de manifester, en se confiant au magnat des médias. Nul doute que ces deux «pouvoirs forts» aient obtenu des contreparties. Dès ce mardi la Conférence épiscopale italienne a demandé au futur gouvernement Berlusconi l'abolition de la loi sur l'avortement et la non-reconnaissance des couples homosexuels. Quant au patronat, il a aussitôt plaidé en faveur d'une véritable reforme de la fiscalité des entreprises et d'une plus grande flexibilité. De quoi inquiéter d'ores et déjà les organisations syndicales, autrefois toutes puissantes.
Berlusconi pourra-t-il satisfaire toutes ces demandes ? Dimanche dernier, une majorité de jeunes a voté pour lui. En silence. Aujourd'hui rares sont ceux qui l'avouent ou osent le célébrer dans la rue. Ce qui, au pays des manifestations en tout genre, est déjà une révolution. L'Italie du XXIème siècle semble promise à un «régime présidentiel» d'un genre nouveau. Et imprévisible.
Simple alternance politique ou véritable révolution conservatrice ? L'incontestable victoire de Silvio Berlusconi, annoncée mais inattendue par son ampleur, est perçue par de nombreux intellectuels ou journalistes de gauche comme une sorte de catastrophe culturelle qui priverait le pays de son «identité» et remettrait en cause même les «valeurs communes» partagées par tous les Italiens depuis la naissance de la République, en 1946. Comme si la droite italienne n'avait aucune légitimité à diriger le pays, alors qu'elle l'a déjà fait, du temps du «régime» démocrate-chrétien. En réalité cette réaction à la défaite politique de Francesco Rutelli prouve bien que la gauche communiste et post-communiste avait instauré une sorte de «hégémonie culturelle» et indirectement conditionné la façon de «couvrir» ce pays de la part de nombreux médias étrangers. Et qu'elle s'est souvent contentée de se regarder dans ce miroir déformant qu'a été l'image de l'Italie souvent entretenue à Paris, Londres ou New York : l'Italie frivole de Cinecittà ou narcissique de Nanni Moretti, l'Italie querelleuse du Parlement ou éternellement instable aux 58 gouvernements, l'Italie colorée des cardinaux ou provocante de Sabrina Ferrilli.
Bien entendu, cette image n'est pas fausse, mais elle un défaut majeur : elle ne reflète que Rome, pas le reste de l'Italie. Or, une «révolte contre Rome» est en cours depuis de nombreuses années, dans le nord comme dans le sud. Il s'agit d'une révolte souvent injuste et injustifiée, car les politiciens corrompus ou mafieux vivant à Rome sont originaires de toutes les régions de la péninsule, et l'administration est aussi pléthorique et inefficace à Rome qu'ailleurs.
«Rome la voleuse»
Mais, en dénonçant Rome «la mafieuse et la paresseuse», beaucoup d'Italiens visaient en réalité tous ceux qui n'avaient pas pris en compte leur désir de voir l'Italie «compter de nouveau» en Europe, notamment aux côtés des autres «grands» : Allemagne, France et Grande Bretagne . C'est le nordiste Umberto Bossi qui le premier a dénoncé «Rome la voleuse» et menacé de faire sécession. Personne ne l'a véritablement pris au sérieux, mais certains ont vite compris, dès le début des années 90, qu'une forme inattendue de «révolution conservatrice» était en marche.
Cette forme récente de nationalisme s'est manifestée, sous des formes différentes, autant dans le nord que dans le sud, et a concerné toutes les couches sociales ; même si elle n'a été prise en compte que par les rares intellectuels de droite qui ont osé remettre en cause certains mythes hérités du risorgimento ou de la résistance.
Ceux-ci souhaitent aujourd'hui une «deuxième reconstruction» de l'Italie, comparable à celle intervenue au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Certains vont jusqu'à évoquer la nécessité impérieuse d'une «renaissance inter-classiste» s'inspirant de la démarche des pères fondateurs de la République italienne : le démocrate-chrétien De Gasperi et le libéral Einaudi. Ce qui entraînerait l'abandon définitif de la «politique du compromis et de la négociation» pratiquée ces dernières années. A leurs yeux, seul Berlusconi a su comprendre ce phénomène et proposer un idéal («moins d'impôts, plus de travail, plus de richesse») qui est partagé désormais à la fois par les «nordistes» et les «sudistes».
Il s'agit d'un « bloc social « nouveau, comprenant à la fois ouvriers, artisans et petits et moyens patrons, qui remplacerait progressivement le pouvoir actuel, qui est aux mains des grandes entreprises (souvent para-étatiques), des organisations syndicales (de moins en moins représentatives) et de l'Etat-Providence. Cette «révolution» à la fois conservatrice et morale, est appelée à remplacer la «culture du discours» chère à la gauche par la «culture du travail» prônée par la droite. Pour l'heure Berlusconi enregistre le soutien, discret mais réel, de l'Eglise et des grands patrons (à commencer par Fiat), qui ont salué le «besoin de stabilité» que l'Italie vient de manifester, en se confiant au magnat des médias. Nul doute que ces deux «pouvoirs forts» aient obtenu des contreparties. Dès ce mardi la Conférence épiscopale italienne a demandé au futur gouvernement Berlusconi l'abolition de la loi sur l'avortement et la non-reconnaissance des couples homosexuels. Quant au patronat, il a aussitôt plaidé en faveur d'une véritable reforme de la fiscalité des entreprises et d'une plus grande flexibilité. De quoi inquiéter d'ores et déjà les organisations syndicales, autrefois toutes puissantes.
Berlusconi pourra-t-il satisfaire toutes ces demandes ? Dimanche dernier, une majorité de jeunes a voté pour lui. En silence. Aujourd'hui rares sont ceux qui l'avouent ou osent le célébrer dans la rue. Ce qui, au pays des manifestations en tout genre, est déjà une révolution. L'Italie du XXIème siècle semble promise à un «régime présidentiel» d'un genre nouveau. Et imprévisible.
par Elio Comarin
Article publié le 16/05/2001