Italie
Rome tourne une double page historique
En l’espace d’une semaine deux événements historiques ont marqué l’histoire de la République italienne : le pape a été accueilli pour la première fois au Parlement et les Savoie ont été autorisés à fouler de nouveau le sol de la péninsule, après en avoir été chassés en 1946. Une double réconciliation d’une République laïque avec une papauté qui n’a jamais oublié qu’elle lui a enlevé les Etats pontificaux (et Rome) il y a 130 ans, et une monarchie qui a favorisé le régime fasciste, avant de sombrer avec lui.
Que le premier pape non italien depuis des siècles soit aussi le premier à remettre les pieds dans l'un de ses anciens palais, aujourd’hui devenu Parlement, n’est sans doute pas un pur hasard. Que le souverain pontife du Vatican l’ait fait bien après la disparition de la Démocratie chrétienne (DC), emportée en 1994 par une avalanche de scandales, ne l’est pas non plus. Mais qu’il ait été poliment applaudi par les sept cents députés et sénateurs italiens, et presque boudé par les Romains - alors que les médias privés de Berlusconi comme les médias d’Etat (de Berlusconi eux aussi) avaient vraiment mis le paquet - c’est presque du jamais vu. Ou du sabotage ?
Car, il n’y avait que quelques centaines de retraités, jeudi 14 novembre, devant le Palais de Monte Citorio, pour crier «Vive le Pape!», lorsque celui-ci a pénétré pour la première fois depuis la réunification de l’Italie en 1860, dans le Parlement d’un Etat laïc dominé par le Piémont. Un Etat que le Vatican a eu beaucoup de mal à accepter et dont il se sentait, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de la DC, presque «prisonnier», dans les quelque kilomètres carrés que Rome a bien voulu lui laisser lorsqu’elle a été choisi comme capitale de la péninsule.
A l’intérieur du Parlement, pourtant, c’était presque le tout plein. Seule une petite douzaine de réfractaires avaient osé afficher leur dissidence : un député républicain, héritier politique de Garibaldi comme de Mazzini, et deux «vrais communistes» qui n’aiment toujours pas prendre trop de distances vis-à-vis de Joseph Staline, ont dit auparavant qu’il «ne pouvaient vraiment pas» participer à une telle farce. Ainsi que huit femmes, se situant toutes sur la gauche de l’échiquier, qui n’ont pas fait semblant d’oublier les prises de position de Jean-Paul II contre la contraception ou l’avortement.
Mais, personne ou presque n’a remarqué leur absence, lorsque le pape a péniblement prononcé un discours de huit feuillets (et quarante minutes), pour mettre en garde l’Italie - et le monde entier - contre les dangers qui les guettent. Comme d’habitude, son discours a été très bien équilibré : un coup à droite, un coup à gauche. Ainsi, lorsqu’il a salué «la terrible dimension du terrorisme» tout le monde a applaudi. Mais, quand il a dénoncé «les inégalités effrayantes» dans le monde et salué le courage des pacifistes, il n’a été applaudi que par les bancs de gauche ; et lorsqu’il a insisté sur les «racines chrétiennes de l’Europe» et souhaité une «politique en faveur des naissances» en Italie c’est uniquement sur ceux de droite que les applaudissements ont été très nourris.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, que Silvio Berlusconi ait salué ces propos «hauts et nobles». Mais l’important n’était sans doute pas là, mais dans le fait que Rome referme enfin la page douloureuse du long contentieux entre l’Etat du Vatican et l’Etat italien, et conforter la fameuse formule passe-partout : «une église libre dans un état libre». C’est chose faite, mais la ville éternelle d’Auguste et de Saint Pierre était visiblement ailleurs.
Les dernières gaffes des Savoie
Peut-être était-elle plus intéressée par l’autre péplum historique qui semble passionner - et, bien sûr, diviser - les Italiens : le retour annoncé pour le 10 novembre 2002 des mâles de la famille royale de Savoie, interdits de séjour sur la péninsule depuis le référendum de 1946, lorsque les Italiens n’avaient pas encore oublié que le roi avait constamment déroulé le tapis rouge à un certain Benito Mussolini.
Après de longues années de diatribes télévisuelles et d’échauffourées parlementaires autour du retour réclamé par les Savoie, le chef de la famille royale piémontaise, Victor Emmanuel (65 ans) et son fils Emmanuel-Philibert devaient retrouver enfin leur pays ce 10 novembre. Mais, un dernier couac les en a empêché : Victor Emmanuel s’est blessé lors du dernier rallye des Pharaons et a donc décidé de différer le «grand retour» jusqu’à la veille de Noël. Un accident mineur, mais bien à l’image d’une famille royale qui a multiplié les gaffes, ces derniers mois.
Alors que les deux Chambres italiennes s’apprêtaient à voter enfin une loi spéciale autorisant son retour, Victor Emanuel entretenait le flou sur ses intentions. Pour souligner qu’il était désormais favorable au régime républicain, il a appelé «mon président» Carlo Azeglio Ciampi, l’actuel président de la République. Mais sans exclure tout à fait un éventuel retour de la monarchie, et, surtout, dire du mal des autres prétendants à la couronne abandonnée par son père Umberto II, mort en exil au Portugal en 1983.
Quelques jours à peine avant la date fatidique du 10 novembre, la famille royale italienne se permettait de réclamer à l’Etat italien quelques privilèges très royaux : les biens familiaux confisqués en 1946, une escorte, des voitures officielles et l’autorisation d’utiliser les avions de l’Etat pour ses déplacements privés. Alors que nul n’ignore qu’ils vivent constamment entre deux Etats qui ne sont pas limitrophes : la Suisse et le Portugal. Ce qui a aussitôt soulevé un tollé généralisé, tout au long de la péninsule.
De plus, Victor Emmanuel et son épouse Marina étant domiciliés depuis 1987 au Portugal, ils ont fait dire qu’ils comptent continuer à payer leurs impôts dans ce pays. Au même moment la presse suisse écrivait que le même Victor Emmanuel n’aurait pas l’intention de soumettre son patrimoine au fisc italien : en tant que résidant en Suisse il serait en train de négocier un forfait d’impôt annuel dans ce pays…
Enfin, au lendemain de son retour raté, l’héritier de la couronne a regretté la signature des lois raciales par son grand-père Victor Emmanuel III, en 1938, en ajoutant qu’elle était «une tâche indélébile pour l’histoire de la famille». La réaction de la communauté juive d’Italie a été immédiate : «le prince ne peut se limiter à exprimer des regrets ; il doit demander pardon», a dit son porte-parole Amos Luzzato. Celui-ci n’a sans doute pas oublié qu’en 1997 le même prince avait refusé de demander pardon et déclaré : «Je ne dois pas demander des excuses pour ces lois. Et puis, elles n’ont pas été si terribles». Alors que ces lois, voulues par Mussolini et co-signées par le roi le 10 novembre 1938, ont permis la déportation de près de 8 000 Juifs italiens, à partir de 1943.
Car, il n’y avait que quelques centaines de retraités, jeudi 14 novembre, devant le Palais de Monte Citorio, pour crier «Vive le Pape!», lorsque celui-ci a pénétré pour la première fois depuis la réunification de l’Italie en 1860, dans le Parlement d’un Etat laïc dominé par le Piémont. Un Etat que le Vatican a eu beaucoup de mal à accepter et dont il se sentait, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de la DC, presque «prisonnier», dans les quelque kilomètres carrés que Rome a bien voulu lui laisser lorsqu’elle a été choisi comme capitale de la péninsule.
A l’intérieur du Parlement, pourtant, c’était presque le tout plein. Seule une petite douzaine de réfractaires avaient osé afficher leur dissidence : un député républicain, héritier politique de Garibaldi comme de Mazzini, et deux «vrais communistes» qui n’aiment toujours pas prendre trop de distances vis-à-vis de Joseph Staline, ont dit auparavant qu’il «ne pouvaient vraiment pas» participer à une telle farce. Ainsi que huit femmes, se situant toutes sur la gauche de l’échiquier, qui n’ont pas fait semblant d’oublier les prises de position de Jean-Paul II contre la contraception ou l’avortement.
Mais, personne ou presque n’a remarqué leur absence, lorsque le pape a péniblement prononcé un discours de huit feuillets (et quarante minutes), pour mettre en garde l’Italie - et le monde entier - contre les dangers qui les guettent. Comme d’habitude, son discours a été très bien équilibré : un coup à droite, un coup à gauche. Ainsi, lorsqu’il a salué «la terrible dimension du terrorisme» tout le monde a applaudi. Mais, quand il a dénoncé «les inégalités effrayantes» dans le monde et salué le courage des pacifistes, il n’a été applaudi que par les bancs de gauche ; et lorsqu’il a insisté sur les «racines chrétiennes de l’Europe» et souhaité une «politique en faveur des naissances» en Italie c’est uniquement sur ceux de droite que les applaudissements ont été très nourris.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, que Silvio Berlusconi ait salué ces propos «hauts et nobles». Mais l’important n’était sans doute pas là, mais dans le fait que Rome referme enfin la page douloureuse du long contentieux entre l’Etat du Vatican et l’Etat italien, et conforter la fameuse formule passe-partout : «une église libre dans un état libre». C’est chose faite, mais la ville éternelle d’Auguste et de Saint Pierre était visiblement ailleurs.
Les dernières gaffes des Savoie
Peut-être était-elle plus intéressée par l’autre péplum historique qui semble passionner - et, bien sûr, diviser - les Italiens : le retour annoncé pour le 10 novembre 2002 des mâles de la famille royale de Savoie, interdits de séjour sur la péninsule depuis le référendum de 1946, lorsque les Italiens n’avaient pas encore oublié que le roi avait constamment déroulé le tapis rouge à un certain Benito Mussolini.
Après de longues années de diatribes télévisuelles et d’échauffourées parlementaires autour du retour réclamé par les Savoie, le chef de la famille royale piémontaise, Victor Emmanuel (65 ans) et son fils Emmanuel-Philibert devaient retrouver enfin leur pays ce 10 novembre. Mais, un dernier couac les en a empêché : Victor Emmanuel s’est blessé lors du dernier rallye des Pharaons et a donc décidé de différer le «grand retour» jusqu’à la veille de Noël. Un accident mineur, mais bien à l’image d’une famille royale qui a multiplié les gaffes, ces derniers mois.
Alors que les deux Chambres italiennes s’apprêtaient à voter enfin une loi spéciale autorisant son retour, Victor Emanuel entretenait le flou sur ses intentions. Pour souligner qu’il était désormais favorable au régime républicain, il a appelé «mon président» Carlo Azeglio Ciampi, l’actuel président de la République. Mais sans exclure tout à fait un éventuel retour de la monarchie, et, surtout, dire du mal des autres prétendants à la couronne abandonnée par son père Umberto II, mort en exil au Portugal en 1983.
Quelques jours à peine avant la date fatidique du 10 novembre, la famille royale italienne se permettait de réclamer à l’Etat italien quelques privilèges très royaux : les biens familiaux confisqués en 1946, une escorte, des voitures officielles et l’autorisation d’utiliser les avions de l’Etat pour ses déplacements privés. Alors que nul n’ignore qu’ils vivent constamment entre deux Etats qui ne sont pas limitrophes : la Suisse et le Portugal. Ce qui a aussitôt soulevé un tollé généralisé, tout au long de la péninsule.
De plus, Victor Emmanuel et son épouse Marina étant domiciliés depuis 1987 au Portugal, ils ont fait dire qu’ils comptent continuer à payer leurs impôts dans ce pays. Au même moment la presse suisse écrivait que le même Victor Emmanuel n’aurait pas l’intention de soumettre son patrimoine au fisc italien : en tant que résidant en Suisse il serait en train de négocier un forfait d’impôt annuel dans ce pays…
Enfin, au lendemain de son retour raté, l’héritier de la couronne a regretté la signature des lois raciales par son grand-père Victor Emmanuel III, en 1938, en ajoutant qu’elle était «une tâche indélébile pour l’histoire de la famille». La réaction de la communauté juive d’Italie a été immédiate : «le prince ne peut se limiter à exprimer des regrets ; il doit demander pardon», a dit son porte-parole Amos Luzzato. Celui-ci n’a sans doute pas oublié qu’en 1997 le même prince avait refusé de demander pardon et déclaré : «Je ne dois pas demander des excuses pour ces lois. Et puis, elles n’ont pas été si terribles». Alors que ces lois, voulues par Mussolini et co-signées par le roi le 10 novembre 1938, ont permis la déportation de près de 8 000 Juifs italiens, à partir de 1943.
par Elio Comarin
Article publié le 16/11/2002