Italie
Un pacte entre Berlusconi et la mafia ?
Le «numéro deux» de la mafia sicilienne, Antonino Giuffrè, aujourd’hui repenti, a révélé qu’un pacte a bien été conclu entre Cosa nostra et Forza Italia, en 1993, lorsque Berlusconi a décidé de créer ce parti sur les décombres de la Démocraties chrétienne et du Parti socialiste, qui jusque-là avaient été les «référents politiques» de l’organisation mafieuse.
Janvier 1993. Quelques mois à peine après les assassinats retentissants des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, «coupables» aux yeux de Cosa nostra d’avoir fait condamner à la réclusion à vie presque tous les capi de la mafia sicilienne, le «numéro un» de Cosa nostra est à son tour arrêté. Toto’ Riina et son remplaçant Bernardo Provenzano (en fuite depuis près de trente ans) comprennent alors que leur organisation est plus que menacée de disparition. Car leurs deux «parrains politiques» -la Démocratie chrétienne d’Andreotti et le parti socialiste de Craxi- sont très affaiblis par l’opération «mains propres» des juges milanais, et, plus grave, incapables de «respecter les pactes» conclus avec Cosa Nostra.
Pour cela, deux leaders démocrates-chrétiens proches d’Andreotti comme de la mafia sont assassinés. Mais cela ne suffit pas: il faut aussi d’autres «référents» et d’autres «garants», à Rome comme à Milan ou à Turin; mais aussi ouvrir une autre «saison», en changeant de méthode: laisser tomber la «stratégie des attentats» tous azimuts contre l’Etat et ses représentants au profit d’un retour à la «stratégie du silence» ou de l’omerta. Pour continuer à contrôler les trafics et les marchés les plus juteux de l’île méditerranéenne.
Au même moment, des démocrates-chrétiens et des socialistes, littéralement décimés par les juges milanais enquêtant sur la corruption, songent de leur côté à créer un nouveau parti centriste, autour de l’homme d’affaires richissime Silvio Berlusconi, qui ne peut désormais compter ni sur Bettino Craxi (en exil à Hammamet) ni sur Giulio Andreotti (mis en examen à Palerme par les magistrats enquêtant sur Cosa nostra).
Une coïncidence très troublante
Cette coïncidence, plutôt troublante, n’avait guère échappé aux spécialistes de la mafia, mais ceux-ci ne disposaient pas du chaînon manquant. C’est apparemment chose faite depuis le 8 novembre dernier, lorsque Antonino Giuffrè, le «numéro deux» de Cosa Nostra arrêté en avril dernier à la suite d’une dénonciation anonyme, vide son sac et raconte, avec force détails, comment Bernardo Provenzano a établi un nouveau «pacte», cette fois-ci avec Forza Italia. Via une personnalité très proche de Berlusconi: Marcello Dell’Utri, un palermitain aujourd’hui sénateur de Forza Italia, après avoir été le créateur et le président de l’entreprise la plus juteuse de Berlusconi, Publitalia, qui contrôle plus de la moitié de la publicité télévisuelle italienne. Dell’Utri est actuellement poursuivi, à Palerme, pour «association mafieuse», et à cette occasion les juges auraient aimé interroger aussi Silvio Berlusconi lui-même, mais le chef du gouvernement italien a refusé de répondre à leurs questions -comme la loi le lui permet- le 26 novembre dernier.
Toujours selon le repenti Giuffrè, Cosa nostra, avant de conclure un pacte avec Forza Italia, a songé à créer son propre parti: Sicilia libera, une sorte de Ligue du Sud calquée sur celle du Nord dirigée par Umberto Bossi. Mais elle a finalement laissé tomber ce projet, pour ne pas être obligée d’engager des politiciens siciliens déjà «en odeur de mafia» et donc peu crédibles, au moment même où elle optait pour le retour à la stratégie du silence et de «l’immersion dans les affaires», et évitait désormais tout attentat trop bruyant.
Pour cela elle a préféré établir trois canaux différents entre des affiliés de Cosa nostra et Silvio Berlusconi pour mettre au point -mais aussi faire respecter- un pacte devant être appliqué en l’espace de dix ans et portant sur des questions essentielles: révision des tous les grands procès anti-mafia, abolition de la loi portant sur la saisie des biens des mafieux, assouplissement considérable du régime pénitentiaire des capi déjà sous les verrous.
De leur côté Provenzano et ses adjoints ont pris l’engagement formel de faire élire les candidats de Forza Italia, tout en demandant à leurs hommes d’éviter désormais de trop s’afficher aux côtés des candidats de la coalition de Berlusconi, pour «ne pas les salir» aux yeux de la population ni attiser la curiosité des juges à leur égard. «Désormais, nous sommes dans de bonnes mains», a dit Provenzano aux autres membres de la «coupole» de Cosa nostra.
Apparemment les consignes de Provenzano ont été respectées à la lettre, lors du dernier scrutin, en mai 1999: les 61 candidats présentés par la coalition de Berlusconi sur les listes à la proportionnelle ont été tous élus! Un 100% de réussite que même la Démocratie chrétienne a été incapable d’atteindre en près de cinquante années de «collaboration» avec Cosa nostra.
Par contre, si l’on croit certains capi, la coalition au pouvoir n’a pas rempli sa partie du contrat. Dès l’année dernière trois des principaux mafieux détenus -Riina, Bagarella et Aglieri- ont manifesté à plusieurs reprises leur mécontentement. Selon un document officiel des services secrets italiens rendu public cet été, ils lui reprochent de faire des nouvelles lois à sa convenance qui ne «protègent» que ses principaux collaborateurs. «Iddu pensa solo a iddu!» («Il ne pense qu’à lui-même!») ont-ils fait savoir, selon ce document. Par la même occasion, ces capi ont clairement laissé entendre qu’ils peuvent faire des révélations compromettantes pour Silvio Berlusconi.
Est-ce à dire que les révélations de Giuffrè, à l’occasion d’un énième procès impliquant des proches de Berlusconi, ont été «programmées» par Cosa nostra elle-même, en avril dernier, lorsqu’elle a apparemment décidé de faire arrêter son propre «numéro deux», dans le but de rajeunir ses cadres et imposer plus que jamais la «loi de l’omerta»?
Pour cela, deux leaders démocrates-chrétiens proches d’Andreotti comme de la mafia sont assassinés. Mais cela ne suffit pas: il faut aussi d’autres «référents» et d’autres «garants», à Rome comme à Milan ou à Turin; mais aussi ouvrir une autre «saison», en changeant de méthode: laisser tomber la «stratégie des attentats» tous azimuts contre l’Etat et ses représentants au profit d’un retour à la «stratégie du silence» ou de l’omerta. Pour continuer à contrôler les trafics et les marchés les plus juteux de l’île méditerranéenne.
Au même moment, des démocrates-chrétiens et des socialistes, littéralement décimés par les juges milanais enquêtant sur la corruption, songent de leur côté à créer un nouveau parti centriste, autour de l’homme d’affaires richissime Silvio Berlusconi, qui ne peut désormais compter ni sur Bettino Craxi (en exil à Hammamet) ni sur Giulio Andreotti (mis en examen à Palerme par les magistrats enquêtant sur Cosa nostra).
Une coïncidence très troublante
Cette coïncidence, plutôt troublante, n’avait guère échappé aux spécialistes de la mafia, mais ceux-ci ne disposaient pas du chaînon manquant. C’est apparemment chose faite depuis le 8 novembre dernier, lorsque Antonino Giuffrè, le «numéro deux» de Cosa Nostra arrêté en avril dernier à la suite d’une dénonciation anonyme, vide son sac et raconte, avec force détails, comment Bernardo Provenzano a établi un nouveau «pacte», cette fois-ci avec Forza Italia. Via une personnalité très proche de Berlusconi: Marcello Dell’Utri, un palermitain aujourd’hui sénateur de Forza Italia, après avoir été le créateur et le président de l’entreprise la plus juteuse de Berlusconi, Publitalia, qui contrôle plus de la moitié de la publicité télévisuelle italienne. Dell’Utri est actuellement poursuivi, à Palerme, pour «association mafieuse», et à cette occasion les juges auraient aimé interroger aussi Silvio Berlusconi lui-même, mais le chef du gouvernement italien a refusé de répondre à leurs questions -comme la loi le lui permet- le 26 novembre dernier.
Toujours selon le repenti Giuffrè, Cosa nostra, avant de conclure un pacte avec Forza Italia, a songé à créer son propre parti: Sicilia libera, une sorte de Ligue du Sud calquée sur celle du Nord dirigée par Umberto Bossi. Mais elle a finalement laissé tomber ce projet, pour ne pas être obligée d’engager des politiciens siciliens déjà «en odeur de mafia» et donc peu crédibles, au moment même où elle optait pour le retour à la stratégie du silence et de «l’immersion dans les affaires», et évitait désormais tout attentat trop bruyant.
Pour cela elle a préféré établir trois canaux différents entre des affiliés de Cosa nostra et Silvio Berlusconi pour mettre au point -mais aussi faire respecter- un pacte devant être appliqué en l’espace de dix ans et portant sur des questions essentielles: révision des tous les grands procès anti-mafia, abolition de la loi portant sur la saisie des biens des mafieux, assouplissement considérable du régime pénitentiaire des capi déjà sous les verrous.
De leur côté Provenzano et ses adjoints ont pris l’engagement formel de faire élire les candidats de Forza Italia, tout en demandant à leurs hommes d’éviter désormais de trop s’afficher aux côtés des candidats de la coalition de Berlusconi, pour «ne pas les salir» aux yeux de la population ni attiser la curiosité des juges à leur égard. «Désormais, nous sommes dans de bonnes mains», a dit Provenzano aux autres membres de la «coupole» de Cosa nostra.
Apparemment les consignes de Provenzano ont été respectées à la lettre, lors du dernier scrutin, en mai 1999: les 61 candidats présentés par la coalition de Berlusconi sur les listes à la proportionnelle ont été tous élus! Un 100% de réussite que même la Démocratie chrétienne a été incapable d’atteindre en près de cinquante années de «collaboration» avec Cosa nostra.
Par contre, si l’on croit certains capi, la coalition au pouvoir n’a pas rempli sa partie du contrat. Dès l’année dernière trois des principaux mafieux détenus -Riina, Bagarella et Aglieri- ont manifesté à plusieurs reprises leur mécontentement. Selon un document officiel des services secrets italiens rendu public cet été, ils lui reprochent de faire des nouvelles lois à sa convenance qui ne «protègent» que ses principaux collaborateurs. «Iddu pensa solo a iddu!» («Il ne pense qu’à lui-même!») ont-ils fait savoir, selon ce document. Par la même occasion, ces capi ont clairement laissé entendre qu’ils peuvent faire des révélations compromettantes pour Silvio Berlusconi.
Est-ce à dire que les révélations de Giuffrè, à l’occasion d’un énième procès impliquant des proches de Berlusconi, ont été «programmées» par Cosa nostra elle-même, en avril dernier, lorsqu’elle a apparemment décidé de faire arrêter son propre «numéro deux», dans le but de rajeunir ses cadres et imposer plus que jamais la «loi de l’omerta»?
par Valérie Gas
Article publié le 04/12/2002