Italie
L’honneur perdu de «l’inoxydable» Andreotti
Le plus connu - et le plus ambigu - des politiciens italiens, Giulio Andreotti, a été condamné dimanche à 24 ans de prison pour complicité dans l’assassinat en 1979 du journaliste Mino Pecorelli qui s’apprêtait à révéler plusieurs scandales impliquant l’ancien premier ministre italien. Il n’ira pour autant pas en prison, car il est protégé par l’immunité parlementaire; mais il risque désormais d’autres condamnations, notamment pour «complicité avec Cosa Nostra», la mafia sicilienne.
Il est aujourd’hui âgé de 83 ans, mais on l’appelle «l’inoxydable», «l’intouchable», «le bossu», voire «Belzébuth» depuis belle lurette. Ses amis et collaborateurs ne s’adressent à lui qu’en le qualifiant de «Président» - même s’il a définitivement raté en 1992 son élection programmée à la présidence de la République - parce qu’il a été sept fois Président du Conseil des ministres ; après avoir été, en 1946, l’un des «pères» de la constitution italienne. Autant dire que l’histoire de l’Italie de l’après-guerre est indissociable de celle de ce politicien romain proche du Vatican comme de la franc-maçonnerie, partisan des Etats-Unis mais aussi «en odeur de mafia» depuis que le plus connu des repentis de Cosa Nostra, Tommaso Buscetta, l’a indiqué dans les années 80 comme le «référant romain» du clan au pouvoir : les Palermitains de Gaetano Badalamenti.
Ce n’est sans doute pas un hasard si la Cour d’Appel de Pérouse a infligé la même peine de prison à Badalamenti, détenuaux Etats-Unis depuis de nombreuses années, mais acquitté d’autres «capimafia» aussi connus que Pippo Calo’, le trésorier de Cosa Nostra, également ‘ambassadeur’ à Rome des mafieux palermitains. En réalité, le tribunal a pris à la lettre les déclarations de «Don Masino» Buscetta, qui, après avoir dévoilé les secrets de Cosa Nostra, a nommément mis en cause Giulio Andreotti, en rapportant les confidences de Gaetano Badalamenti lui-même, dont il était très proche.
Or celui-ci lui disait que le journaliste Pecorelli avait été littéralement «exécuté» par des hommes de main de Cosa Nostra pour «rendre un service» à Andreotti, préoccupé par d’éventuelles révélations, notamment sur une affaire de corruption liée à un énorme trafic de pétrole. Une «exécution» en partie confirmée par d’autres repentis, membres de la bande romaine dite de la Magliana qui avait été chargée d’éliminer ce journaliste peu commode.
La revanche posthume de Don Masino Buscetta
Cette revanche posthume de Buscetta, mort il y a deux ans et demi après avoir à plusieurs reprises déclaré que, selon lui, «Cosa Nostra a gagné» définitivement la guerre qui l’oppose à l’Etat italien, risque de relancer d’autres affaires en cours, concernant non seulement Giulio Andreotti, mais aussi des proches de l’actuel Premier ministre, voire Silvio Berlusconi lui-même. Ce qui explique la virulence des réactions provoquées immédiatement par la sentence du tribunal de Pérouse. Dans un pays où, théoriquement, la justice est indépendante et régionalisée, et la séparation est totale entre les pouvoirs exécutif et judiciaire.
Pour Berlusconi, lui-même poursuivis depuis 1996 pour corruption de magistrat et faux en bilan, «Andreotti est victime d’une justice folle. La condamnation du sénateur à vie Andreotti est le stade ultime d’un théorème judiciaire à travers lequel des secteurs politisés de la magistrature ont cherché à changer le cours de la politique démocratique et cherchent à réécrire l’histoire de l’Italie». Des déclarations pour le moins surprenantes qui ont été reprises dans des termes semblables par tous ceux qui ont été directement ou indirectement concernés par les enquêtes des juges du pool «Mani pulite» (Mains propres), mais aussi par l’ancien président démocrate-chrétien Scalfaro, l’ancien ministre socialiste des Affaires étrangères Gianni de Michelis ou le cardinal Silvestrini.
Du côté de l’opposition de gauche, la prudence est de rigueur, et on préfère visiblement ne pas trop envenimer une polémique provoquée par une condamnation qui était pourtant plus que prévisible, car l’accusation avait demandé que Giulio Andreotti soit sévèrement condamné.
Cette sentence a provoqué également une certaine stupéfaction dans la plupart des rédaction italiennes, à commencer par celles des médias audio-visuels. Ceux-ci avaient presque tous participé l’année dernière à une sorte de «réhabilitation» de Giulio Andreotti, au lendemain de son acquittement - pour insuffisance de preuves - dans le procès de Palerme, où il est accusé de complicité avec la mafia sicilienne: en quelques jours seulement Giulio Andreotti était devenu la vedette la plus convoitée des émissions les plus populaires. Ce qui lui avait permis de se refaire une certaine virginité politique, tout en faisant oublier que le tribunal de Palerme avait en réalité jugé recevables les aveux de chaque repenti, mais estimé que tout cela ne pouvait être qualifié de «preuve confirmée». En ira-t-il de même, la prochaine fois, lorsque ce procès reviendra en Cour d’Appel ?
La réaction des médias est d’autant plus étonnante que cette affaire concerne tout de même un journaliste qui a été assassiné à cause de ses enquêtes et de ses «scoops». OP, la petite agence de Mino Pecorelli, n’était certes pas neutre. On lui doit notamment les révélations sur le scandale Lockheed qui ont provoqué en 1978 la démission du président de la République italienne Giovanni Leone. Et ce au lendemain de l’assassinat, par le Brigades Rouges, d’Aldo Moro, un événement qui a provoqué de véritables règlements de compte à l’intérieur de la Démocratie chrétienne, certains dirigeants de la DC n’ayant à l’époque pas tout fait pour sauver Aldo Moro.
Andreotti craignait quant à lui la publication par OP des déclarations de Moro aux Brigades rouges à propos d’un scandale pétrolier. Aujourd’hui des nombreux médias italiens critiquent les méthodes de Pecorelli, un journaliste qui travaillait en solo et fréquentait souvent les services de renseignement, mais aussi un général déjà très connu : Carlo Alberto Dalla Chiesa, qui sera exécuté peu après par la mafia. Une chose est sûre : Pecorelli était un journaliste très bien renseigné.
Finalement, la réaction la moins stupéfiante a été celle de Giulio Andreotti lui-même. «J’ai toujours cru et je continue de croire en la justice, même si ce soir j’ai peine à accepter une telle absurdité », a-t-il dit dimanche soir. Toujours fidèle à lui-même, onctueux avec les cardinaux, cynique avec les journalistes et drôle avec ses amis comme avec ses ennemis, Andreotti fait déjà le dos rond, en attendant que la nouvelle tempête passe. Comme souvent dans le passé.
Ce n’est sans doute pas un hasard si la Cour d’Appel de Pérouse a infligé la même peine de prison à Badalamenti, détenuaux Etats-Unis depuis de nombreuses années, mais acquitté d’autres «capimafia» aussi connus que Pippo Calo’, le trésorier de Cosa Nostra, également ‘ambassadeur’ à Rome des mafieux palermitains. En réalité, le tribunal a pris à la lettre les déclarations de «Don Masino» Buscetta, qui, après avoir dévoilé les secrets de Cosa Nostra, a nommément mis en cause Giulio Andreotti, en rapportant les confidences de Gaetano Badalamenti lui-même, dont il était très proche.
Or celui-ci lui disait que le journaliste Pecorelli avait été littéralement «exécuté» par des hommes de main de Cosa Nostra pour «rendre un service» à Andreotti, préoccupé par d’éventuelles révélations, notamment sur une affaire de corruption liée à un énorme trafic de pétrole. Une «exécution» en partie confirmée par d’autres repentis, membres de la bande romaine dite de la Magliana qui avait été chargée d’éliminer ce journaliste peu commode.
La revanche posthume de Don Masino Buscetta
Cette revanche posthume de Buscetta, mort il y a deux ans et demi après avoir à plusieurs reprises déclaré que, selon lui, «Cosa Nostra a gagné» définitivement la guerre qui l’oppose à l’Etat italien, risque de relancer d’autres affaires en cours, concernant non seulement Giulio Andreotti, mais aussi des proches de l’actuel Premier ministre, voire Silvio Berlusconi lui-même. Ce qui explique la virulence des réactions provoquées immédiatement par la sentence du tribunal de Pérouse. Dans un pays où, théoriquement, la justice est indépendante et régionalisée, et la séparation est totale entre les pouvoirs exécutif et judiciaire.
Pour Berlusconi, lui-même poursuivis depuis 1996 pour corruption de magistrat et faux en bilan, «Andreotti est victime d’une justice folle. La condamnation du sénateur à vie Andreotti est le stade ultime d’un théorème judiciaire à travers lequel des secteurs politisés de la magistrature ont cherché à changer le cours de la politique démocratique et cherchent à réécrire l’histoire de l’Italie». Des déclarations pour le moins surprenantes qui ont été reprises dans des termes semblables par tous ceux qui ont été directement ou indirectement concernés par les enquêtes des juges du pool «Mani pulite» (Mains propres), mais aussi par l’ancien président démocrate-chrétien Scalfaro, l’ancien ministre socialiste des Affaires étrangères Gianni de Michelis ou le cardinal Silvestrini.
Du côté de l’opposition de gauche, la prudence est de rigueur, et on préfère visiblement ne pas trop envenimer une polémique provoquée par une condamnation qui était pourtant plus que prévisible, car l’accusation avait demandé que Giulio Andreotti soit sévèrement condamné.
Cette sentence a provoqué également une certaine stupéfaction dans la plupart des rédaction italiennes, à commencer par celles des médias audio-visuels. Ceux-ci avaient presque tous participé l’année dernière à une sorte de «réhabilitation» de Giulio Andreotti, au lendemain de son acquittement - pour insuffisance de preuves - dans le procès de Palerme, où il est accusé de complicité avec la mafia sicilienne: en quelques jours seulement Giulio Andreotti était devenu la vedette la plus convoitée des émissions les plus populaires. Ce qui lui avait permis de se refaire une certaine virginité politique, tout en faisant oublier que le tribunal de Palerme avait en réalité jugé recevables les aveux de chaque repenti, mais estimé que tout cela ne pouvait être qualifié de «preuve confirmée». En ira-t-il de même, la prochaine fois, lorsque ce procès reviendra en Cour d’Appel ?
La réaction des médias est d’autant plus étonnante que cette affaire concerne tout de même un journaliste qui a été assassiné à cause de ses enquêtes et de ses «scoops». OP, la petite agence de Mino Pecorelli, n’était certes pas neutre. On lui doit notamment les révélations sur le scandale Lockheed qui ont provoqué en 1978 la démission du président de la République italienne Giovanni Leone. Et ce au lendemain de l’assassinat, par le Brigades Rouges, d’Aldo Moro, un événement qui a provoqué de véritables règlements de compte à l’intérieur de la Démocratie chrétienne, certains dirigeants de la DC n’ayant à l’époque pas tout fait pour sauver Aldo Moro.
Andreotti craignait quant à lui la publication par OP des déclarations de Moro aux Brigades rouges à propos d’un scandale pétrolier. Aujourd’hui des nombreux médias italiens critiquent les méthodes de Pecorelli, un journaliste qui travaillait en solo et fréquentait souvent les services de renseignement, mais aussi un général déjà très connu : Carlo Alberto Dalla Chiesa, qui sera exécuté peu après par la mafia. Une chose est sûre : Pecorelli était un journaliste très bien renseigné.
Finalement, la réaction la moins stupéfiante a été celle de Giulio Andreotti lui-même. «J’ai toujours cru et je continue de croire en la justice, même si ce soir j’ai peine à accepter une telle absurdité », a-t-il dit dimanche soir. Toujours fidèle à lui-même, onctueux avec les cardinaux, cynique avec les journalistes et drôle avec ses amis comme avec ses ennemis, Andreotti fait déjà le dos rond, en attendant que la nouvelle tempête passe. Comme souvent dans le passé.
par Elio Comarin
Article publié le 18/11/2002