Inde
Le choc des élections
(Photo : AFP)
Au lendemain du séisme électoral qui vient de secouer la plus grande démocratie du monde, l’Inde est encore sous le choc. Tous les journaux, ce matin, titrent bien sûr sur la surprise qu’ont réservé les électeurs à leurs politiciens en élisant le parti du Congrès, alors que la coalition menée par le BJP du Premier ministre sortant, Atal Behari Vajpayee, était donnée gagnante dans tous les sondages. Le «scrutin aux milles surprises», le «Waterloo des sondeurs»: les formules abondent pour qualifier les résultats totalement inattendus. La défaite du BJP est en effet sans appel: sa coalition perd près d’une centaine de sièges à l’Assemblée. Symbole de la déroute, une dizaine de ministres ont perdu leur mandat de député au cours de ce scrutin. Désavoué, M. Vajpayee a démissionné dès vendredi soir. Une victoire totale, donc, pour le Congrès, qui revient au pouvoir après huit ans passés sur les bancs de l’opposition.
Comment expliquer ce retournement de situation? La déroute de certains alliés régionaux du BJP est en partie responsable, notamment dans le sud du pays. Au Tamil Nadu, notamment, le BJP et son allié local n’ont pas remporté un seul siège. En Andrah Pradesh, également, la défaite est quasi-totale. Pour autant, le BJP semble surtout avoir souffert d’un «vote sanction» dans les campagnes, payant le prix fort pour sa campagne électorale - menée sous le slogan «Shining India» («L’Inde qui brille») -, jugée provocatrice par les centaines de millions de paysans indiens.
Misant sur la bonne santé économique du moment, incarnée par un taux de croissance à 8%, le BJP a en effet mené campagne quasi-exclusivement sur les questions économiques, promettant de faire de l’Inde une «superpuissance économique». Problème: le boom économique en cours ne bénéficie, dans les faits, qu’aux zones urbaines et aux classes moyennes. Or 70% du milliard d’Indiens continuent de vivre dans les campagnes, dans des conditions souvent moyen-âgeuses, sans eau courante ni électricité. Se sentant exclus, les paysans ont donc abandonné le BJP. Effrayés par les émeutes intercommunautaires qui ont ensanglanté l’Etat du Gujarat en 2002, les musulmans, qui comptent pour 12% de la population, on également fait bloc contre les nationalistes hindous.
L’effet Gandhi
Le Congrès, lui, a bénéficié du mécontentement des milieux ruraux, et de l’entrée en scène de la quatrième génération Nehru-Gandhi. Veuve de l’ancien Premier ministre Rajiv Gandhi, la chef du parti, Sonia Gandhi, a en effet jeté ses enfants dans la bataille à l’occasion de ce scrutin. L’aîné, Rahul Gandhi, vient de se faire élire pour la première fois député, à 33 ans. Et si sa petite sœur, Priyanka, ne s’est pas présentée, elle a néanmoins été très active au sein de la campagne du Congrès. A eux deux, les deux jeunes Gandhi ont attiré des foules monstres dans les rallyes, jouant bien sûr sur l’émotion liée au souvenir de leurs ancêtres: leur arrière grand-père, Nehru, premier chef de gouvernement de l’Inde indépendante, leur grand-mère, Indira Gandhi, qui régna sur le pays pendant près de 20 ans, et enfin leur père, Rajiv Gandhi, adulé des foules avant de se faire assassiner par les séparatistes tamouls, en 1991.
Dans l’immédiat, pourtant, c’est leur mère qui devrait être nommée Premier ministre. Du moins si ses alliés ne s’y opposent pas. En l’absence d’une majorité claire, le Congrès doit en effet bâtir une coalition afin de pouvoir former un gouvernement. Il devrait bénéficier du soutien des forces communistes qui, avec un total de 63 sièges à l’Assemblée, lui permettrait d’obtenir une majorité absolue. Selon la rumeur, Sonia Gandhi aimerait toutefois trouver d’autres alliés, notamment au sein des partis régionaux, afin d’assurer la stabilité de son gouvernement sur le long terme. Dans ce pays où les changements d’alliance sont incessants, mieux vaut en effet avoir plusieurs partenaires, afin de parer à l’éventuelle désertion d’un allié en cours de mandat.
La grande question, désormais, est de savoir si ces partenaires accepteront la nomination de Sonia Gandhi comme chef de gouvernement, certains étant susceptibles de s’y opposer en raison de ses origines étrangères. Agée de 57 ans, la présidente du Congrès est en effet Italienne de naissance. Bien qu’elle vive en Inde depuis plus de trente ans, elle n’a adopté la nationalité indienne qu’en 1984, lorsque son mari était sur le point de devenir Premier ministre. Après avoir encaissé des insultes à n’en plus finir sur sesorigines étrangères, notamment de la part du BJP, «Sonia l’Italienne» semble toutefois sur le point de prendre sa revanche. Destin étonnant que celui de cette femme qui, née dans un petit village des environs de Turin, risque de se retrouver bientôt à la tête de la plus grande démocratie du monde.
par Pierre Prakash
Article publié le 14/05/2004 Dernière mise à jour le 14/05/2004 à 09:56 TU