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Inde-Pakistan

La «diplomatie du cricket» en marche

Après s’être affrontés trois fois en un quart de siècle –dont deux fois pour le territoire himalayen du Cachemire– et après avoir évité il y a deux ans une guerre nucléaire, l’Inde et le Pakistan semblent aujourd’hui sur le chemin de la réconciliation. Les deux rivaux, qui avaient massé en 2002 un million d’hommes de part et d’autre de la Ligne de contrôle qui divise le Cachemire, ont en effet choisi il y a quelques mois d’amorcer une politique de détente et de dialogue. Signe du réchauffement des relations entre ces deux frères ennemis, l’équipe indienne de cricket a entamé mercredi une tournée historique au Pakistan, une première depuis près de quinze ans.
La dernière tournée au Pakistan d’une équipe indienne de cricket remonte à 1989, l’insurrection armée déclenchée la même année par les séparatistes cachemiris soutenue par les autorités d’Islamabad ayant depuis mis fin à un événement qui de tous temps a déclenché les passions des deux côtés de la frontière. Car comme aiment à le rappeler les commentateurs sportifs des deux pays, le cricket concerne aujourd’hui encore «beaucoup de gens en Inde et au Pakistan». «C’est le seul héritage colonial qui subsiste. C’est presque une religion laïque dans la péninsule», explique ainsi le Pakistanais Omar Qureishi qui n’a raté que deux séries de rencontres depuis la première qui s’est tenue en 1952, cinq ans après l’indépendance. Depuis les liens sportifs entre les deux pays n’ont cessé d’être tributaires de la politique mise en vigueur par les gouvernements. C’est ainsi qu’il n’y a pas eu de matches de cricket entre les deux rivaux de l’Asie du Sud de 1960 à 1978, une période qui a été marquée par deux des trois guerres indo-pakistanaises concernant le Cachemire et l’indépendance du Pakistan oriental devenu le Bangladesh.

L’arrivée d’une équipe indienne de cricket au Pakistan ne constitue donc pas à ce titre uniquement un événement sportif. Certains observateurs estiment ainsi que «la diplomatie du cricket» est désormais à l’œuvre entre les deux nations ennemies, l’espoir étant que la compétition, qui doit se dérouler durant les cinq semaines prochaines, puisse jouer un rôle similaire à celui joués par les pongistes américains qui s’étaient rendus dans les années 70 en Chine. A l’époque on avait évoqué une «diplomatie du ping-pong» qui avait, grâce au sport, ouvert la voie à la normalisation des relations entre Pékin et Washington.

Le capitaine de l’équipe indienne de cricket est d’ailleurs loin d’être insensible à cet aspect diplomatique de la tournée qu’il vient d’entreprendre au Pakistan avec ses joueurs. Il a en effet déclaré avant de quitter New Delhi que les sportifs ont «toujours été des ambassadeurs de l’Inde à l’étranger». «Mais cette fois-ci, a-t-il ajouté insistant sur le caractère symbolique de ce voyage, les gens voient cette tournée d’un œil différent car nous allons au Pakistan». «Quand les deux pays essaient de devenir amis, d'apaiser les tensions, le cricket joue un rôle thérapeutique, il devient un ciment qui les lie», a pour sa part déclaré l’une des légendes du cricket pakistanais, Imran Khan. «Ca transcende le sport, c'est beaucoup plus que le cricket, il s'agit de passion», a même ajouté avec enthousiasme l'ancien capitaine de l'équipe championne du monde en 1992.

Une tournée sous haute sécurité

Mais à la différence des rencontres précédentes largement nourries par l’animosité traditionnelle qui existe entre les populations des deux pays, cette tournée intervient dans un contexte de réchauffement des relations entre New Delhi et Islamabad. Les autorités pakistanaises insistent d’ailleurs largement sur cet aspect des choses. «Les victoires et les défaites sont une question secondaire. Ce qui est important c’est que le cricket contribue à favoriser la paix et l’amitié», a ainsi souligné le ministre de l’Information Sheikh Rachid Ahmed. «Je suis persuadé que l’événement va consolider le processus de normalisation en cours», a-t-il ajouté espérant que «la diplomatie du cricket donnera de bons résultats dans la quête d’une ère nouvelle de relations pacifiques».

Après être passés à deux doigts d’une guerre nucléaire il y a deux ans, les deux frères ennemis ont créé la surprise en novembre dernier en annonçant un cessez-le-feu au Cachemire, le long de cette Ligne de contrôle de part et d’autre de laquelle ils avaient pourtant massé un million d’hommes. Les deux pays se sont ensuite mis d’accord pour engager «un dialogue global», portant sur tous les problèmes, y compris l’épineux dossier du Cachemire divisé et revendiqué par les deux parties. Début janvier des lignes aériennes ainsi que des lignes de bus reliant les deux territoires ont été rétablies. Et si la suite des négociations reste vraisemblablement suspendue aux résultats des élections législatives anticipées prévues le mois prochain en Inde, le feu vert du Premier ministre Atal Behari Vajpayee à une tournée de l’équipe de cricket au Pakistan demeure un signe fort de la volonté de rapprochement.

Dans le souci d’éviter tout dérapage autour d’un sport qui déchaîne les passions aussi bien en Inde qu’au Pakistan, les autorités d’Islamabad ont entouré la tournée de l’équipe indienne de mesures de sécurité draconiennes. Les quinze joueurs qui ont atterri mercredi à Lahore, dans l’est du pays, ont ainsi été emmenés à leur hôtel dans un car blindé escorté par des commandos. Le premier match doit se dérouler samedi prochain à Karachi et les 33 500 places se sont envolées quelques heures après leur mise en vente. Le stade national avait été assailli dès l’aube dimanche dernier par des dizaines de milliers de fans venus acheter leurs tickets et la police pakistanaise avait dû faire usage de la force pour calmer les ardeurs des supporters. Signe que le cricket fait décidément des miracles, des milliers de fans indiens ont obtenu des visas pour se rendre au Pakistan, parmi eux des stars de Bollywood, d’anciennes gloires du cricket et aussi des hommes politiques. Rahul et Priyanka, les deux enfants de la présidente du Parti du Congrès Sonia Gandhi sont notamment du voyage.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 10/03/2004