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Inde-Pakistan

Dégel de printemps

Le sous secrétaire d’État américain Richard Armitage effectue une tournée asiatique au cours de laquelle les deux principales escales prévues sont Islamabad, jeudi, et New Delhi, ce week-end. Depuis deux semaines environ, l’Inde et le Pakistan multiplient les signes de bonne volonté pour normaliser leurs rapports, fortement dégradés depuis décembre 2001. Il est désormais question de rétablir des relations diplomatiques et sportives normales, de restaurer les liaisons aériennes, routières et ferroviaires. Il a même été question, pendant un court moment, d’examiner le désarmement nucléaire des deux États. Pourtant aujourd’hui, au fond, rien n’est réglé. Le Cachemire demeure un territoire convoité de part et d’autre et, avec le retour du printemps, les opérations militaires ont repris sur la «ligne de contrôle».
«Le premier pas consiste à faire baisser la température entre les deux pays, et c'est important, même si l'on ignore quel sera le deuxième pas concernant le Cachemire», déclarait en début de semaine à l'AFP un ancien général des services de renseignements militaires pakistanais. Le dossier en est là, en effet, dix-sept mois après l'incident initial qui mit une nouvelle fois le feu aux poudres entre les deux voisins nucléaires, avec l'attaque du parlement indien par des séparatistes venus du Pakistan. Il s’en est fallu de peu qu’une nouvelle guerre n’éclate et, au plus fort de la crise, un million de soldats avaient été massés des deux côtés de la frontière où les incidents étaient quotidiens, graves et meurtriers.

New Delhi accuse toujours Islamabad d’entretenir le séparatisme cachemiri et rien n’autorise à penser que la position de l’un ou l’autre a évolué. Il s’agit en effet d’un différend profond qui touche à ce qu’un pays compte de plus inaliénable: la souveraineté territoriale, irréductible par définition. En raison de la capacité atomique des armées pakistanaise et indienne, et malgré l’apparition de nouveaux foyers de tension, nombre de pays et d’organisations internationales, notamment sous-régionales, ont œuvré auprès des deux capitales pour contenir le conflit dans des limites raisonnables. Et il semble qu’ils y soient parvenus, jusqu’à présent.

La tournée du sous-secrétaire d’État américain s’inscrit dans cette logique. Richard Armitage était à Islamabad ce jeudi. Après une escale à Kaboul, il est attendu ce week-end à New Delhi. Son voyage coïncide avec, à la fois, l’expression d’une volonté de dégel, tant côté indien que pakistanais, et, paradoxalement, la persistance des incidents armés. Selon le ministre indien de la Défense, entre novembre et avril, 570 rebelles musulmans infiltrés et 72 soldats indiens ont été tués du fait des infiltrations de combattants en provenance, selon lui, du Pakistan. Et, signe de la permanence du conflit, dans la nuit de mercredi à jeudi, cinq séparatistes musulmans et un soldat indien ont péri lors d’affrontements dans cette région disputée du Cachemire, alors que la veille vingt personnes au moins avaient été tuées lors d’incidents armés survenus de part et d’autre de la «ligne de contrôle» qui sépare les deux pays dans la région de l’Himalaya.

La ligne de front est une ligne de crête

Car la période est propice. C’est une guerre dont la ligne de front est parfois située à cinq mille mètres d’altitude où le souffle est court, les risques d’effets secondaires sur les combattants importants et où, surtout, l’hiver est long. Le printemps est donc, tous les ans depuis le début de la crise, l’occasion d’une nette reprise de l’activité militaire, conformément à ce que l’on observe actuellement.

Pourtant, même si dans le fond rien n’est réglé, les uns et les autres ont multiplié au cours de ces derniers jours les déclarations de bonnes intentions et, jusqu’à ces dernières heures il a même été question d’envisager (à terme bien sûr) la dénucléarisation militaire de la région puisque, lundi, Islamabad laissait entrevoir une possibilité de destruction de son arsenal atomique si, de son côté, New Delhi en faisait autant. Proposition rejetée ce jeudi par le Premier ministre indien au nom du fait que le programme atomique de son pays n’est pas spécifiquement dirigé contre son voisin. On s’en doutait. Si, effectivement, l’équilibre de la terreur est l’un des instruments qui permet à New Delhi de ne pas risquer à tout moment l’invasion d’une partie de son territoire, la bombe atomique indienne est davantage un outil de souveraineté dont le rayon d’action politique va bien au-delà de sa sphère régionale.

Depuis une semaine en tout cas les belligérants s’envoient des signaux amicaux, inhabituels dans le contexte particulièrement tendu de ces derniers mois: proposition de rétablissement des liaisons routières, ferroviaires, aériennes, ainsi que des relations sportives (notamment les matchs de cricket et de hockey, très populaires parmi les deux peuples); proposition de rétablissement de relations diplomatiques pleines et entières; enfin invitation en voyage officielle à Islamabad du Premier ministre indien.

On ne peut évidemment manquer d’établir un lien de cause à effet entre la tournée régionale du sous-secrétaire d’État américain et ce soudain réchauffement, et en conclure que l’avis de Washington compte tant à New Delhi qu’à Islamabad. On se souvient également que la dégradation de la situation entre les deux capitales avait correspondu à la montée en puissance de la guerre américaine contre le terrorisme, après le 11 septembre, et l’intervention de Washington dans la région, en Afghanistan. New Delhi avait, à l’époque, tenté de détourner les États-Unis du Pakistan, en raison de ses connivences avec le fondamentalisme islamique, tandis qu’Islamabad, fragilisée, protestait de sa bonne foi auprès de son allié et de la communauté internationale. Aujourd’hui, alors que Washington, sûre de sa puissance, manifeste une totale liberté en matière de choix de ses partenaires, chacun, pour le ménager, semble vouloir lui offrir son meilleur profil.



par Georges  Abou

Article publié le 08/05/2003