Liban
Victoire du Hezbollah aux municipales
AFP
De notre correspondant au Liban.
C’est un étonnant paysage politique qui se dessine au lendemain de la troisième et avant-dernière phase des élections municipales au Liban. Ce scrutin, qui s’est déroulé sans incidents majeurs et dans une ambiance relativement démocratique, préfigure sans doute de ce que sera la prochaine étape dans le pays: montée en puissance du Hezbollah, appuyé par la Syrie et l’Iran, affaiblissement de l’opposition chrétienne radicale militant pour le retrait syrien, et baisse de l’influence des deux principaux piliers du régime de l’après-guerre, le président de la Chambre Nabih Berry et le Premier ministre Rafic Hariri, hostiles à des degrés différents à une éventuelle prorogation du mandat du président Emile Lahoud.
Bête noire des Israéliens et des Américains, classé sur la liste des organisations terroristes par l’administration américaine, le Hezbollah a profité de ce scrutin pour montrer qu’il n’était pas seulement un parti prônant la résistance armée contre l’Etat hébreu, mais aussi une formation politique bien ancrée dans le paysage politique libanais et jouissant d’une forte popularité au sein de la communauté chiite.
Lors des deux précédents tours, le Parti de Dieu avait totalement évincé le mouvement Amal, son rival chiite modéré dirigé par le président de la chambre Nabih Berry. Il avait remporté 28 des 30 conseils municipaux dans la vallée de la Bekaa, dont celui de Baalbeck. En 1998, sa liste avait été battue dans cette ville qui accueille tous les ans le célèbre festival international. Le parti islamiste a également raflé toutes les municipalités de la banlieue sud de Beyrouth, où Amal n’est presque plus présent. Ce dimanche, il a consolidé ses positions en s’imposant dans 5 des 7 principales villes du Liban-Sud et dans plusieurs dizaines d’autres localités de moindre importance.
Certes, les observateurs s’attendaient à un véritable raz-de-marée du Hezbollah au Sud, libéré en l’an 2000 de l’occupation israélienne grâce à la résistance armée menée par le parti islamiste. Mais Nabih Berry a limité les dégâts en gardant le contrôle de la ville de Tyr et de sa région. Quoi qu’ilen soit, ces élections municipales ouvrent une page nouvelle dans le paysage libanais car, fait sans précédent, un parti se réclamant de l’islam politique contrôle plus d’une centaine de localités. Ce qui n’est pas sans inquiéter les chrétiens. Toutefois, l’expérience passée a montré que le Hezbollah ne s’est rendu coupable d’aucune «dérive islamique» dans les municipalités qu’il contrôlait depuis 1998, dont celle de Ghobeiri dans la Banlieue-Sud, la deuxième plus importante du Liban.
Le rôle syrien
Pour comprendre ce bouleversement majeur dans la configuration politique libanaise, c’est en Syrie qu’il faut aller chercher l’explication. Ces douze dernières années, Damas, qui jouit d’une grande influence au Liban, a toujours prôné l’entente entre les deux grandes formations chiites lors des élections municipales et législatives. Cette fois-ci, les calculs des autorités syriennes étaient différents. En s’abstenant d’imposer l’entente, elles ont voulu, d’une part, accorder une légitimité populaire à un Hezbollah que les Etats-Unis souhaitent voir démantelé. D’autre part, Damas semble vouloir réduire l’influence de Nabih Berry à qui il reproche, entre autres, son alliance indéfectible avec Rafic Hariri qui n’est pas très apprécié au sommet du régime syrien.
La défaite du Premier ministre dans sa ville natale de Saïda tombe aussi à point nommé pour la Syrie. Certains affirment même que l’alliance des forces politico-familiales qui a battu le richissime homme d’affaires a été inspirée par les Syriens. Ces derniers mois, les relations entre Damas et Hariri n’ont cessé de se dégrader, à cause notamment de l’hostilité affichée par le chef du gouvernement à un éventuel renouvellement du mandat du président Lahoud, une option sérieusement envisagée par la Syrie.
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, Damas a pu assister, satisfait, à la débâcle de l’opposition chrétienne radicale, son principal ennemi au Liban. Rassemblée autour des partisans du général Michel Aoun, en exil en France, cette opposition a été battue à Jezzine, la ville chrétienne la plus importante au Liban-Sud. Déjà au Mont-Liban, ces mêmes opposants avaient essuyé une cuisante défaite, dimanche 2 mai, devant les listes appuyées par des personnalités proches du pouvoir.
par Paul Khalifeh
Article publié le 24/05/2004 Dernière mise à jour le 24/05/2004 à 10:31 TU