Côte d'Ivoire
La rébellion se disloque
(Photo : AFP)
Il est indéniable que la rébellion du nord (les Forces nouvelles), connaît en son sein une fracture avec la naissance de plusieurs courants dont les intérêts divergent. Depuis le renvoi de certains ministres du gouvernement de réconciliation nationale, dont Guillaume Soro, par le président de la République, les relations se sont continuellement dégradées au sein des Forces nouvelles. Guillaume Soro, le secrétaire général des Forces nouvelles, a alors brandi la menace de la sécession comme ultime voie de salut pour la rébellion. Mais les gardiens de la ligne pure et dure du mouvement reprochent à Guillaume Soro son «dérapage». Pour eux la rébellion n’a pas pour objet de proclamer une indépendance unilatérale d’une partie du pays.
A la faveur de cette contestation sont apparus une série de reproches et de griefs contre les méthodes du secrétaire général à qui certains ont cru devoir rappeler sa mission : celle d’accompagner l’insurrection. Guillaume Soro n’a pas d’assise populaire, mais il a su créer autour de lui un groupe d’intérêts dans lequel les gens sont mutuellement obligés. L’idéal révolutionnaire s’éloigne peu à peu laissant la place à l’affairisme des leaders. Par ailleurs, à Paris, Ibrahim Coulibaly (IB), un des inspirateurs de la rébellion est toujours en liberté sous contrôle judiciaire et interdit de quitter le territoire français. Coupé des contacts directs avec le terrain, il a néanmoins multiplié les initiatives pour s’afficher comme le chef absolu des Forces nouvelles. Il a notamment condamné Guillaume Soro pour certaines prises de position et a émis des doutes sur le braquage de la BCEAO à Bouaké qui ne serait que le fait de quelques voyous.
IB accusé de collusion avec Gbagbo
IB n’a pas caché ses intentions de retourner au pays et de demander des comptes à ses alliés qui s’éloignent des idéaux du départ «dès que la justice française me blanchira des accusations dont je fais actuellement l’objet», précise t-il. Un climat de suspicion règne à Bouaké entre chefs rebelles d’une part et leur base d’autre part. De nombreux chefs de guerre ont alors manifesté leur soutien à IB pour «une reprise en main de la rébellion», ce qui a eu pour effet direct de fragiliser l’autorité de Guillaume Soro qui, à son tour, cherche à s’attacher la confiance de certains officiers. Mais l’un et l’autre, communicant par des intermédiaires (contrôle judiciaire d’IB oblige), s’assurent mutuellement de leurs meilleures intentions, laissant le soin à d’autres de porter les accusations.
C’est dans ce climat que s’est déroulée l’attaque de Gohitafla, que l’état-major des Forces nouvelles a dans un premier attribué aux fidèles d’Ibrahim Coulibaly, avant de parler «d’éléments incontrôlés» issus de la rébellion. IB dément toute implication dans de tels actes, mais toujours est-il que l’homme est très populaire dans le nord de la Côte d’Ivoire où les populations n’apprécient guère les attitudes de Guillaume Soro, qui s’affiche de plus en plus comme le patron de la rébellion et comme un chef d’Etat. Au sein des Forces nouvelles, la fracture est aussi nette, deux camps et deux conceptions sont opposés et finissent par s’affronter.
Sur la route de Korhogo, le 20 juin, le convoi de Guillaume Soro, composé de plusieurs véhicules essuie quelques tirs. A Bouaké, Guillaume Soro et les siens sont aussi attaqués. Un calme précaire revient dans les quartiers de Bouaké et des tentatives de réconciliation des frères ennemis est amorcée, mais Kassoum Bamba, dit Kass, chef de guerre proche d’IB est pris au piège et abattu par les hommes du sergent-chef Chérif Ousmane, un autre chef de guerre. L’état-major des Forces nouvelles annonce l’arrestation de «plusieurs éléments» qui auraient affirmé appartenir à des «milices proches du pouvoir» d’Abidjan. Les mêmes sources font état d’une collusion entre IB et Laurent Gbagbo. Mais à Paris, les amis d’Ibrahim Coulibaly semblent plus préoccupés par l’éventuelle levée des poursuites judiciaires que par l’animation d’une gué-guerre fratricide. En tout cas, l’éventualité d’un retour de l’inspirateur de la rébellion agite tous les protagonistes du conflit ivoirien. La chambre de l’instruction du tribunal de Paris, qui devait se prononcer le 22 juin sur la relaxe ou non d’IB et cinq de ses présumés complices, vient de repousser au 2 juillet sa décision.par Didier Samson
Article publié le 22/06/2004 Dernière mise à jour le 22/06/2004 à 16:00 TU