Corée du Sud
« Pourquoi nous ? »
(Photo : AFP)
Nathalie Tourret, correspondante de RFI à Séoul, a co-écrit un livre sur la société coréenne, La Corée dévoilée, à paraître la semaine prochaine chez l’Harmattan. Elle décrypte la réaction de la population sud-coréenne face à ce drame.
RFI : Les Coréens sont sous le choc, à qui en veulent-ils ?
N.T. : La population condamne unanimement cet acte barbare. Les Coréens en veulent avant tout aux terroristes. Ils s’interrogent « pourquoi nous ? » La Corée du Sud ne pèse pas lourd sur l’échiquier diplomatique international et elle a toujours aidé l’Irak dans le domaine des infrastructures, même sous Saddam Hussein. La population comprend d’autant moins que les terroristes s’en prennent à un de leurs compatriotes que les 660 militaires sud-coréens déjà présents sur place depuis avril 2003 sont des ingénieurs et des médecins. Ils n’ont pas été envoyés dans un contexte militaire, mais concentrent leurs efforts sur l’aide à la reconstruction de l’Irak. Il s’agissait d’une première. Ayant peu d’expérience dans le domaine de l’aide humanitaire, comme d’autres, ils se retrouvent victimes. Emotifs et nationalistes, tout ce qui a trait à leur pays touche énormément les Sud-Coréens. Il leur faudra un peu de temps pour prendre le recul nécessaire pour comprendre que cet acte ne visait pas forcément la Corée du Sud précisément, mais aurait aussi pu arriver à un autre membre de la coalition, à un Japonais par exemple.
RFI : Mais les terroristes n’ont-ils pas justement voulu viser la Corée du Sud car elle soutient l’action américaine en Irak ?
N.T. : C’est en effet le discours des ravisseurs qui rejettent directement la faute sur le gouvernement coréen. Mais je pense que même si la population est en très grande partie hostile au déploiement de troupes en Irak depuis le début de la guerre, les Coréens comprennent que leur gouvernement n’avait pas vraiment le choix.
RFI : La Corée du Sud a-t-elle maintenu sa décision d’envoyer des troupes en Irak sous la pression américaine ?
N.T. : Il est vrai que la marge de manœuvre du gouvernement coréen est relativement étroite. Il a besoin du soutien américain dans le conflit avec la Corée du Nord. Aujourd’hui, 37 000 soldats américains sont toujours présents dans la péninsule en rempart aux velléités du voisin du Nord. Le gouvernement a envoyé des troupes en Irak dans le cadre d’une alliance militaire avec les Etats-Unis qui stipule que les deux pays doivent se soutenir mutuellement en cas de crise. Mais je ne suis pas sûre que la pression américaine soit très forte pour que la Corée envoie des troupes en Irak. Les Américains pourraient facilement se passer des médecins et des ingénieurs coréens.
RFI : Si la pression américaine n’explique pas tout, pourquoi la Corée du Sud est-elle alors restée si intransigeante sur ses engagements ?
N. T. : Le gouvernement, déjà très impopulaire en ce moment pour des raisons de politique intérieure, se devait de faire preuve de fermeté. Il ne pouvait pas aller dans le sens des terroristes. Renoncer à l’engagement d’envoyer 3 000 Sud-Coréens supplémentaires en Irak prochainement, lui aurait fait perdre tout crédit.
RFI : Les Sud-Coréens restent-ils mobilisés contre la participation de leur pays à la guerre d’Irak ?
N.T. : Oui, il y a toujours des manifestations sporadiques. La majorité de la population a condamné le gouvernement à plusieurs reprises : quand il a pris la décision de participer à la guerre, d’envoyer les premières troupes puis les troupes supplémentaires. Aujourd’hui, la mobilisation n’a pas faibli, surtout parmi les jeunes, qui sont les fers de lance des manifestations. En réalité, toutes les couches de la population se mobilisent. On peut voir des familles entières manifester ensemble dans les rues de Séoul.
par Propos recueillis par Sarah Oliveira
Article publié le 23/06/2004 Dernière mise à jour le 23/06/2004 à 15:14 TU