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Corée du Sud

Redéploiement américain

En mars 2003, les soldats américains se livraient à des exercices militaires avec leurs homologues sud-coréens. 

		( Photo : AFP )
En mars 2003, les soldats américains se livraient à des exercices militaires avec leurs homologues sud-coréens.
( Photo : AFP )
Washington annonce le retrait d’ici la fin 2005 du tiers de ses effectifs de Corée du Sud. Ce retrait intervient dans un contexte de redéploiement global et d’interventions ciblées des troupes américaines dans le monde. Cette annonce survient au moment où les relations entre Pyongyang et Séoul enregistre une relative détente, alors que le sentiment anti-américain progresse dans le sud de la péninsule, en dépit de la menace que continue de faire peser dans la région le programme nucléaire nord-coréen.

Le retrait du Pentagone s’inscrit dans un vaste plan de redéploiement des troupes américaines dans le monde. L’annonce du projet de retrait de 12 500 soldats du contingent américain de Corée n’en est pas moins spectaculaire en raison de l’importance de l’effectif annoncé et du caractère symbolique du lieu. C’est en effet le tiers des troupes américaines qui est concerné et la Corée du Sud constitue l’un des principaux « fronts » de l’engagement extérieur de Washington, héritier de la guerre froide. Les quelque 37 000 soldats américains qui garantissent la paix armée qui règne depuis plus d’un demi-siècle sur place, ont été déployés lors de la guerre inter-coréenne de 1950-1953.

Néanmoins, contrairement au « front » européen léthargique depuis l’effondrement du rideau de fer, la présence des soldats de Washington sur la péninsule coréenne continuait de trouver sa justification dans le comportement de Pyongyang, jugé menaçant. La politique militaire nucléaire de la Corée du Nord et les soupçons qui pèsent sur ses capacités de dissémination de l’arme atomique ont en effet placé ce pays au centre des préoccupations de la communauté internationale, et des Etats-Unis et de ses alliés régionaux en particulier. L’échec des négociations visant au désarmement nucléaire dans la région a relancé les craintes de ses voisins en même temps que la course aux armements. Le Japon, notamment, s’est engagé dans un programme visant à restaurer ses capacités d’intervention et développe, en partenariat avec les Etats-Unis, un système anti-missiles balistiques visant à écarter la menace d’une attaque de son territoire par les engins à moyenne portée dont dispose la Corée du Nord.

Montée du sentiment anti-américain

En Corée du Sud, la nouvelle est diversement appréciée. Les autorités de Séoul ne cachent pas qu’elles préféraient un retrait étalé sur dix ans, plutôt que sur deux ans comme le souhaite Washington, et qu’en tout état de cause, elles ne veulent pas baisser la garde avant la résolution de la question nucléaire nord-coréenne. Le sentiment dominant, à Séoul, est que ce départ massif de l’allié américain dans un délai si court augmenterait la vulnérabilité de la Corée du Sud.

Il n’en demeure pas moins qu’on assiste, depuis quelques années en Corée du Sud, à l’émergence, d’un sentiment nationaliste coréen qui prend parfois une tournure nettement anti-américaine. Une fraction de plus en plus importante de la population commence à rejeter le discours visant à diaboliser les compatriotes du nord au nom du principe que, même communiste, ce sont Coréens. Des incidents se sont multipliés au cours de ces dernières années entre Sud-Coréens et soldats américains et des cas de harcèlements d’écolières ont exaspéré les conflits. Parallèlement, les relations bilatérales inter-coréennes connaissent une très nette accalmie. La semaine dernière, Pyongyang et Séoul, toujours officiellement en guerre, ont signé un accord visant à prévenir la répétition des graves incidents en mer Jaune, où les deux pays se disputent la souveraineté de zones riches en poissons. Selon les termes de l’accord, Séoul devrait également livrer cette année 400 000 tonnes de riz à Pyongyang et les deux pays rétabliront, d’ici 2005, des liaisons ferroviaires et routières. Accord dont le principe avait été conclu en… 2000 !

Washington sur tous les fronts

La semaine dernière le quotidien américain New York Times annonçait que Washington envisageait de réduire sa présence militaire en Allemagne et de redéployer ses effectifs vers d’autres pays européens, pour répondre aux nouvelles menaces. Selon le journal, deux divisions (infanterie et blindée) étaient concernés, soit 20 à 25 000 hommes. Washington avait déployé quelque 70 000 hommes sur le territoire allemand, à l’époque où l’Allemagne faisait face aux divisions soviétiques.

Le pentagone justifie sa volonté de redéploiement en invoquant la modernisation de l’arsenal déployé sur place, l’accroissement des capacités de défense nationale coréennes et une meilleure coordination entre les deux alliés. Mais la question fondamentale de l’interventionnisme américain figure aussi parmi les paramètres incontournables du problème. La doctrine américaine selon laquelle les forces armées de Washington sont les nouveaux gendarmes du « monde libre » nécessite, dans l’environnement turbulent que nous connaissons, une grande capacité de réaction et de projection. Or, sauf à faire un usage immodéré de mercenaires, les forces que les Etats-Unis sont en mesure de mobiliser sans creuser ses déficits budgétaires, ni choquer son opinion publique, ne sont pas illimitées. Le Pentagone doit donc intégrer dans ses calculs stratégiques un part de comptabilité. D’ailleurs, parmi les soldats dont le retrait est envisagé, 3 600 doivent, dès cette année, rejoindre l’Irak.

Limite des capacités américaines

Enfin ce retrait s’inscrit dans le débat sur le déploiement d’un contingent sud-coréen en Irak. L’insécurité qui règne dans ce pays et les réticences de l’opinion publique sud-coréenne contribuent vraisemblablement aux hésitations dont font preuve les autorités de ce pays. L’importance du dossier sud-coréen sur l’échiquier politique international, avec les risques que Pyongyang continue de faire peser sur la sécurité régionale, ne peut certainement pas faire l’objet d’un chantage à l’engagement au sein de la coalition déployée sur le champ de bataille irakien. L’annonce américaine n’a donc certainement pas pour objectif de punir Séoul de ses atermoiements. D’autant que Séoul a confirmé le déploiement prochain de 3 600 soldats en Irak, dans le Kurdistan, pour mener des opérations humanitaires et de reconstruction.

Mais, tout en manifestant son inquiétude sur l’absence de règlement de la question nucléaire nord-coréenne et en réaffirmant son extrême vigilance, Washington vient d’envoyer un signal clair sur les limites de ses capacités d’engagement de l’Amérique sur les théâtres d’opération.



par Georges  Abou

Article publié le 07/06/2004 Dernière mise à jour le 07/06/2004 à 14:50 TU