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Corée

Pyongyang veut dissuader

Pyongyang déclare vouloir posséder des armes de destructions massives, et notamment atomiques, afin de réduire ses forces conventionnelles et consacrer les moyens ainsi dégagés à améliorer les conditions de vie des Nord-Coréens.
Dans cette crise, en dépit de leur faiblesse, les Nord-Coréens ont su prendre et garder l’initiative. Encore une fois, ce sont eux qui relancent l’affaire par une série de nouvelles déclarations qui ne manquera pas de provoquer son lot de réactions, répliques, inquiétudes et, finalement, d’appels à la négociation. Tout d’abord la Corée du Nord désigne toujours les États-Unis comme responsable de la situation : «Nous n’avons pas d’autre option que la dissuasion nucléaire tant que les États-Unis poursuivent leur politique hostile et continue d’exercer une menace nucléaire sur la RDPC (République démocratique et populaire de Corée)». «Nous ne cherchons pas à posséder l’arme nucléaire pour faire du chantage mais nous essayons de réduire notre arsenal conventionnel et de consacrer nos ressources humaines et financières au développement économique et à l’amélioration du niveau de vie du peuple», poursuivait ce lundi l’agence officielle nord-coréenne KCNA. Enfin, Pyongyang suggère vouloir se doter d’autres armes de destruction massives en renforçant «un outil de dissuasion physique puissant, qui coûte moins cher mais peut paralyser toute arme nucléaire ou de technologie avancée».

Cette nouvelle déclaration de Pyongyang s’inscrit évidemment dans le contexte du bras de fer qui oppose depuis le mois d’octobre 2002 les États-Unis et la Corée du Nord, après que cette dernière eut confié au secrétaire d’État adjoint James Kelly sa volonté de réactiver son programme de fabrication de combustible nucléaire dont l’usage peut facilement être détourné à des fins militaires. Avec cette déclaration, c’est l’ensemble de l’échafaudage diplomatique, patiemment élaboré au fil des années pour garantir un minimum de stabilité régionale et internationale, qui s’effondre. La Corée du Nord est un pays inquiétant : avec ses alliés de l’époque (la Chine et l’Union Soviétique), elle est à l’origine d’une guerre d’invasion du sud de la péninsule qui fut l’un des premiers grands défis à relever pour l’Organisation des Nations unies naissante, qui laisse un terrible souvenir dans la mémoire des Coréens et dont on célèbre actuellement le cinquantième anniversaire.

Aujourd’hui, sur le plan politique, le monde s’est radicalement transformé. Mais pas la Corée du Nord où subsiste une dictature stalinienne héréditaire dont l’habillage communiste permet surtout à la classe dirigeante de ne pas justifier la faillite devant son peuple. Et c’est également l’une des constantes de ce dossier : outre le fait qu’il est menacé et menaçant, ce pays est exsangue et fait surtout face à une crise énergétique dans laquelle le chantage nucléaire joue sa part, tant il est vrai qu’une centrale nucléaire ne produit pas exclusivement du plutonium militaire, mais également du courant électrique. Cette ambiguïté, sur laquelle joue la Corée du Nord, lui a permis de parvenir à un accord, en 1994, aux termes duquel la communauté internationale lui accorde une aide énergétique en échange du gel et de la mise sous surveillance internationale de son programme nucléaire.

«L’ennemi»

La Corée du nord aurait ainsi pu demeurer longtemps contenu hors de l’espace-temps international. Mais, outre le fait que selon Pyongyang toutes les clauses du contrat n’ont pas été respectées, et notamment celles ayant trait à une normalisation des relations avec Washington et à la construction d’une centrale, avec l’arrivée de George W. Bush à la Maison Blanche le régime nord-coréen s’est brusquement vu hissé au rang de pays de l’axe du mal par le président des États-Unis en personne, avec l’Irak et l’Iran. Perspective inquiétante de nature à reconsidérer le modus vivendi en vigueur et ne laissant aux dirigeants Nord-coréens d’autres choix que se suicider politiquement ou s’inscrire dans une stratégie non plus de négociation mais de confrontation atomique.

Stratégie du faible au fort comme ne cessent de le proclamer les Nord-Coréens qui avancent la faiblesse de leurs moyens pour justifier leurs choix. Car, selon les dernières déclarations de l’agence nationale KCNA, Pyongyang attend de la bombe atomique et des autres systèmes d’armes de destruction massive qu’ils réduisent les dépenses de défense nationale conventionnelle et fasse entrer le pays dans l’ère de la dissuasion. Car ce pays entretient une armée de plus d’un million d’hommes, pour la plupart postés à la frontière entre Nord et Sud, sur la ligne de démarcation. Et l’idée serait alors d’investir les ressources ainsi dégagées dans des programmes de développement économique et d’amélioration du niveau de vie des citoyens. Ce qui signifie également qu’il vaut mieux disposer d’une défense basée sur la production d’armes de destruction massive, à la fois plus efficaces et moins coûteuses, que d’une défense classique.

Enfin, depuis le mois d’octobre, date de début des hostilités diplomatiques, l’attitude de Pyongyang provoque une vive recrudescence de la tension régionale. Ses alliés et partenaires traditionnels, la Chine et la Russie, ne lui manifestent plus le soutien inconditionnel d’autrefois. La crise a retardé la réconciliation avec le Japon et la normalisation avec la Corée du Sud marque le pas. Lors d’une rencontre à Tokyo, les chefs d’État des deux pays ont jugé intolérable ce week-end la fabrication d’armes nucléaires par la Corée du Nord. D’autre part, les États-Unis sont désormais soulagés de leur front proche-oriental avec la fin de la guerre en Irak et ils devraient désormais avoir les coudées beaucoup plus franches pour examiner la façon la plus judicieuse de régler les problèmes posés par les deux autres membres de l’axe du mal, l’Iran et la Corée du Sud. Washington dispose de 37 000 soldats en Corée du Sud. Début juin, le secrétaire d’État adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz, expliquait que la tactique américano-sud-coréenne face à Pyongyang consistait à exploiter les points faibles de «l’ennemi» pour en tirer parti.



par Georges  Abou

Article publié le 09/06/2003