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Corée

Washington revoit sa stratégie

Alors que les négociations entre la Corée du Nord, les Etats-Unis et la Chine organisées voilà deux semaines à Pékin ont débouché sur une impasse, Washington semble avoir redéfini ses priorités dans cette crise nucléaire, en s’efforçant désormais d’empêcher le régime de Pyongyang d’exporter les matériaux nucléaires vers d’autres pays.
Les premiers pourparlers entre la Corée du Nord et les Etats-Unis avaient tourné court. Après seulement deux journées des discussions sur les trois initialement programmées, les deux délégations avaient décidé de quitter Pékin sans fixer une nouvelle date pour se revoir. Une information de taille filtrait pourtant de cette rencontre. Selon Washington, le chef de la délégation nord-coréenne, Li Gun, en aurait profité pour annoncer à son interlocuteur américain James Kelly, secrétaire d’Etat adjoint, que son pays détenait bien l’arme nucléaire. Un aveu sur lequel les autorités chinoises revenaient très rapidement, déclarant que la Corée du Nord n’avait jamais fait une telle déclaration. Loin de lever les incertitudes, Pyongyang décidait à son tour de s’exprimer publiquement sur le sujet. Dans une déclaration officielle en date du 30 avril, la Corée du Nord accusait les Américains de l’avoir «contrainte à choisir de posséder la force de dissuasion indispensable et à la rendre effective».

Cette formulation énigmatique, qui semble bien confirmer que Pyongyang possède l’arme nucléaire, fait des Nord-Coréens, selon le secrétaire d’Etat américain Colin Powell, les «maîtres de l’ambiguïté». Interviewé dimanche sur la chaîne de télévision NBC, il a expliqué: «Tous ce qu’ils ont eu en réponse à ces déclarations, ce sont des condamnations. Tous leurs voisins leur ont répondu qu’ils ne cèderaient pas au chantage, que cela mènerait la Corée du Nord à rien hormis un plus grand isolement». Les Etats-Unis s’étaient montrés sceptiques la semaine dernière à l’égard de l’offre de la Corée du Nord visant à mettre fin à ses programmes nucléaires et balistiques en échange de larges concessions économiques et politiques. Refusant de détailler ces requêtes, des responsables américains ont simplement indiqué que la liste des demandes nord-coréennes était assez longue et qu’elle reprenait des propositions déjà anciennes

Les Etats-Unis n’attendent en fait pas grand chose de ce marché qu’ils connaissent depuis longtemps. Ils savent qu’il est vain d’essayer d’empêcher la Corée du Nord de se doter d’une arme nucléaire qu’elle semble déjà posséder. Et ils veulent désormais surtout concentrer leurs efforts sur la lutte contre la prolifération nucléaire. Une nouvelle ligne dont le président américain George Bush a notamment discuté ce week-end avec le Premier ministre australien John Howard qu’il recevait dans son ranch du Texas. «Le président a dit que l’inquiétude centrale n’était pas ce qu’ils avaient, mais où cela va», a ensuite déclaré au quotidien New York Times un responsable de l’administration Bush. «Il est très pragmatique à ce sujet, et la réalité, c'est que nous ne connaîtrons probablement pas l'étendue de ce qu'ils sont en train de produire. Par conséquent, il faut s’efforcer d’empêcher le transfert de plutonium».

La centrale de Yongbyon au cœur de la crise

La politique américaine consistant à empêcher par tous les moyens la Corée du Nord d'acquérir l'arme nucléaire remonte à 1994, date à laquelle les deux pays avaient conclu un accord prévoyant l’échange de capacités énergétiques contre gel des programmes atomiques. En octobre 2002, Washington avait accusé la Corée du Nord de poursuivre un programme nucléaire et avait notamment suspendu la livraison annuelle de 500 000 tonnes de fioul. En réaction, Pyongyang avait réactivé la centrale nucléaire de Yongbyon qui produit du plutonium pouvant servir à la fabrication d’une bombe, arguant alors de la nécessité de relancer cette centrale pour produire du courant électrique. Et la Corée du Nord annonçait dans la foulée qu’elle choisissait de quitter le traité de non-prolifération nucléaire (TNP), un retrait devenu effectif le 10 avril.

Le retraitement au cours des derniers mois des quelque 8 000 barres de combustible usagé de la centrale de Yongbyon explique l’inquiétude des Américains. La plupart des experts pensaient jusque-là que la Corée du Nord possédaient une dizaine de kilos de plutonium lui permettant de faire une ou deux bombes atomiques de la puissance de celle utilisée à Hiroshima. Mais la donne serait désormais complètement différente. Selon des informations publiées par le quotidien sud-coréen Hankyoreh, le retraitement des barres de la centrale de Yongbyon aurait permis à la Corée du Nord d’extraire entre 29 et 35 kilos de combustible, de quoi fabriquer quatre ou six armes nucléaires. Et cette dictature stalinienne pourrait surtout désormais exporter du plutonium vers d’autres pays. Une menace que les Américains prennent très au sérieux. D’autant que le régime de Pyongyang a prédit que la crise nucléaire allait empirer tant que Washington poursuivrait «sa politique hostile» à son égard.



par Olivier  Bras

Article publié le 05/05/2003