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Corée

Le pays du matin calme s’efforce à la sérénité

Malgré la tension nucléaire entre Pyongyang et Washington, les Coréens du Sud veulent croire que le pire est impensable.
De notre correspondant à Séoul

«Météo sur la péninsule coréenne; orageux pour les étrangers mais calme pour les Coréens», a titré le quotidien de Séoul Donga Ilbo, il y a quelques jours alors que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) décidait de porter le dossier du nucléaire nord-coréen devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Cet étrange bulletin météo, un éditorial en fait, évoque la différence de perception du péril nord-coréen entre la communauté internationale alarmée par les déclarations du dernier régime stalinien de la planète et la tranquillité des Coréens du Sud, pourtant les premières victimes en cas de crise grave.

Dans la capitale de la Corée du Sud, la crise actuelle n’est pas vécue comme celle des années 1993/94 qui avait abouti à un accord entre l’administration Clinton et les autorités nord-coréennes. «À l’époque, c’était la panique», se rappelle une journaliste de Séoul, les boutiques avaient été dévalisées et la population s’était préparée au pire. Aujourd’hui, les 12 millions d’habitants vivent et travaillent pas plus agités qu’a l’accoutumé. «En 1993, le régime de Pyongyang avait menacé directement la Corée du Sud, poursuit cette journaliste. Cette fois, ce sont plutôt les Etats-Unis qui sont visés. Puis entre-temps, il y a eu la ‘sunshine policy’ -la politique d’ouverture vers le Nord– menée par le président sortant Kim Dae-Jung. Nos relations se sont beaucoup améliorées au cours de ces dernières années.»

Le krach de 1997 toujours présent dans les esprits

Malgré les hauts et les bas de la «sunshine policy», les résultats sont là. Pendant qu’à Vienne, par 31 voix et deux abstentions, l’AIEA saisit le Conseil de sécurité de l’ONU de la violation par la Corée du Nord de ses obligations de non-prolifération nucléaire - une saisine qui peut ouvrir la voie à des sanctions contre Pyongyang – la zone démilitarisée entre Nord et Sud, hermétiquement close aux civils depuis 1953, s’ouvre pour la première fois pour laisser passer 498 touristes dont la destination est le Mont Kumgang, un lieu qui occupe une place privilégiée dans la mythologie coréenne. Il y a trois ans, l’entreprise sud-coréenne Hyundai, une des plus importantes du pays, a eu l’idée d’y organiser des voyages touristiques. Un projet loin d’être rentable; jusqu’à ce jour le trajet s’effectuait par bateau et les autorités du nord pour qui c’est une entrée de devises non négligeable font payer un prix exorbitant le droit de passage, mais hautement emblématique, symbole du rapprochement entre les deux états. De la même manière alors que le régime stalinien menace de frapper les intérêts américains partout dans le monde en cas de sanctions, une délégation de Nord-coréens est reçue à Séoul pour discuter de projets de développements communs.

Il y a pourtant un bémol à cette apparente tranquillité, l’attachement du monde des affaires sud-coréen à une politique économique ambitieuse. La Corée du Sud s’est fixé pour objectif d’intégrer le G7 à moyen terme et toute mauvaise nouvelle économique est une catastrophe nationale. Car si la crise de 1993/94 est loin, le spectre du krach financier de 1997 est encore bien présent dans les esprits. Aussi l’annonce, cette semaine, par l’agence new-yorkaise d’évaluation financière Moody’s, agence qui fait la pluie et le beau temps dans le monde de la finance et qui a émis des doutes sur les perspectives économiques du pays a créé un frisson de panique dans les milieux d’affaires. En suggérant que les investisseurs pourraient se décourager en raison des tensions dues aux menaces de réactivation du programme nucléaire nord-coréen, les Séouliens ont pris conscience que la crise pouvait provoquer des dommages financiers collatéraux. «C’est un signal d’alarme», a-t-on lu dans un quotidien. «Restons sereins, les fondamentaux de l’économie sont solides mais le gouvernement doit prendre la crise à sa juste mesure.»

«Crevette entourée de quatre baleines; Russie, Chine, Japon et États-Unis», la Corée tient un rôle géostratégique important dans l’Asie du Nord-Est dont la complexité est loin d’être dénouée. Le président Roh Moo-hyun qui prend officiellement ses fonctions le 25 février a promis de continuer la politique d’ouverture de son prédécesseur. Il a appelé le président Bush à trouver une solution diplomatique avec Pyongyang. La semaine qui vient, la frontière maudite va à nouveau s’ouvrir, cette fois pour une rencontre entre des familles séparées depuis plus de 50 ans. Aussi, pour l’instant, pour les Coréens du sud, le pire est impensable.



par Alain  Devalpo

Article publié le 17/02/2003