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Corée

Dialogue de sourds et géométrie variable

La remise en service des installations nucléaires et l’expulsion annoncée des inspecteurs internationaux a relancé une tension déjà très vive. Les Etats-Unis continuent de montrer un embarras qui trahit une attitude à géométrie variable selon qu’ils s’adressent à Bagdad ou à Pyongyang.
La détérioration des relations entre Pyongyang et le reste de la communauté internationale continue d’aller bon train. Ces derniers jours ont été marqués par de nouvelles péripéties et déclarations qui soulignent à la fois la gravité de la situation et la perplexité des acteurs face à ce cas de figure inédit et aberrant: un chantage nucléaire venant d’un pays exsangue. Et c’est précisément ce dernier aspect qui provoque la plus vive inquiétude, notamment de la part des voisins directes de la République populaire et démocratique de Corée (RPDC). Le Japon, la Chine, la Russie et la Corée du sud mesurent en effet mieux que quiconque toutes les conséquences, aux plans humain, économique et militaire de l’ouverture d’un conflit avec un régime qui, le dos au mur, joue sa survie en orchestrant une crise internationale.

La crise est ouverte depuis le mois d’octobre, date de la révélation par les autorités nord-coréennes à l’envoyé spécial américain James Kelly à Pyongyang qu’elles poursuivaient un programme de fabrication de combustible nucléaire à usage militaire. Elle s’est accélérée la semaine dernière avec l’annonce par Pyongyang de la levée des scellées sur ses installations nucléaires sensibles. Cette mesure entre dans la logique de la dénonciation de l’accord de 1994, qui instaurait un contrat d’échange: capacités énergétiques contre gel des programmes atomiques.

Elle s’accompagne de l’expulsion, qui devrait intervenir mardi 31 décembre, des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) chargés de vérifier le respect du cahier des charges, côté nord-coréen. Le 12 décembre, Pyongyang annonçait la relance d’un réacteur expérimental et confirmait que le combustible irradié, jusqu’alors stocké et surveillé par l’AIEA, était en voie de rechargement dans une centrale. Officiellement pour palier le déficit lié à l’interruption de l’approvisionnement pétrolier (500 000 tonnes par an) garanti par l’accord de 1994.

Depuis le début de la crise, les Etats-Unis cachent mal leur embarras et minimisent. «C’est un problème grave. Nous le prenons au sérieux. Mais nous ne pensons pas qu’une atmosphère de crise se développe», déclarait dimanche, contre toute logique, le secrétaire d’Etat américain. Colin Powell a également confirmé qu’une attaque américaine de la Corée du Nord n’était pas envisagée à ce stade: «nous pensons qu’il y a d’autres moyens auxquels nous pouvons avoir recours en cette période grave à part menacer quelqu’un avec une arme», a dit le secrétaire d’Etat. En effet les Américains, qui ne peuvent rester sans rien faire non plus, envisageraient des sanctions économiques selon des modalités baptisées «Endiguement sur mesure». Il s’agirait notamment d’empêcher la Corée du Nord d’exporter, et en particulier de tarir sa principale source de devises: la vente de missiles balistiques. Car, à part ça, on voit mal de quoi la communauté internationale pourrait priver Pyongyang, qui souffre déjà du manque de tout.

Pyongyang estime de son côté qu’elle n’a pas obtenu la juste rétribution de sa coopération avec les Etats-Unis dont elle attendait, depuis 1994, la signature d’un pacte de non-agression, voire la normalisation de leurs relations diplomatiques. C’est désormais une affaire urgente en raison de la menace que la situation économique du pays fait peser sur une classe dirigeante héritière de l’une des pires dérives staliniennes que le vingtième siècle ait pu enfanter. Les dirigeants nord-coréens auraient peut-être pu s’accommoder plus longtemps de leur faillite et de la misère dans laquelle ils ont plongé leur peuple mais, depuis près de deux ans, la RPDC figurent désormais, avec l’Irak et l’Iran, sur la liste du «tiercé perdant» américain des trois pays de «l’axe du mal», stigmatisés par le président George W.Bush dans un discours resté fameux. Et l’Histoire montre qu’être sur la liste n’est pas sans conséquence! D’une certaine manière, c’est un sentiment de dépit amoureux qu’expriment les Nord-Coréens à l’égard des Américains.

Deux poids, deux mesures

Mais, dans cette affaire, c’est évidemment aussi l’ambivalence américaine qui pose question. Selon les Etats-Unis et l’AIEA, Pyongyang détient plusieurs bombes atomiques. Or Washington s’apprête à entrer en guerre contre l’Irak au prétexte qu’il fabrique des armes de destruction massive, sans toutefois pouvoir le prouver; et s’apprête à négocier avec la RPDC dont la capacité à en produire est démontrée. La différence de traitement devient suffisamment choquante pour être relevée par tous. Pourquoi ? Certains observateurs finissent par s’interroger sur la réalité même de l’arsenal des Nord-coréens et des capacités opérationnelles qu’on leur prête. Le caractère négligeable de la menace expliquerait ainsi la patience de Washington. D’autres estiment que la crainte d’une guerre dévastatrice est suffisamment dissuasive pour qu’on se dispense de réactions inconsidérées. Ce qui, d’un point de vue pédagogique, est contre-productif car une telle attitude conforte évidemment la thèse qu’il vaut toujours mieux disposer du feu atomique. Mais, surtout, tous les voisins de Pyongyang appellent à la négociation à l’exclusion de tout autre moyen, militaire ou sanctions.

Tokyo, à portée des missiles nord-coréens, ne veut pas envenimer la situation alors que le Premier ministre japonais vient d’effectuer, cet automne, une visite historique à Pyongyang. Junichiro Koïzumi pensait, cette fois, avoir enfin posé la première pierre de la réconciliation entre les deux pays. Séoul est tétanisée à l’idée d’avoir à affronter une guerre avec le Nord, et ses conséquences, alors que les signes de détente se multipliaient ces dernières années. La Chine et la Russie, ultimes soutiens de Pyongyang, sont à la fois très inquiètes et très sollicitées pour user de leur influence auprès de leur turbulente alliée. Les chancelleries annoncent qu’au cours des semaines qui viennent des émissaires de haut niveau parcourront la région à la recherche de solution commune.

Pourtant, en dépit d’un mode de communication qui peut paraître maladroit (l’usage du chantage), Il faut souligner que les communiqués de Pyongyang contiennent également le plus souvent des appels à la négociation, signe que le régime est en attente de signaux positifs. Les premiers effets de la crise sont d’ores et déjà palpables au niveau régional. La Bourse de Tokyo, très affectée par les événements internationaux, et régionaux, a clôturé la dernière séance de l’année 2002 en enregistrant sa plus forte baisse annuelle depuis dix ans: -18,6% au cours de ces douze derniers mois.

Ecouter également:

Hélène Da Costa est l'Invitée de la rédaction (30 déc. 2002, 4'50")



par Georges  Abou

Article publié le 30/12/2002 Dernière mise à jour le 29/12/2002 à 23:00 TU