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Corée

Un ancien défenseur des droits de l’homme président

En élisant le réformateur Roh Moo-Hyun, les Sud-coréens ont choisi de faire le pari de l’avenir. Cet ancien défenseur des droits de l’Homme, âgé de 56 ans, incarne en effet la nouvelle Corée du Sud, celle des réformes économiques et de la coupe du monde de football. Il a en outre largement bénéficié de la vague d’anti-américanisme qui secoue le pays depuis plusieurs mois, son challenger, le conservateur Lee Hoi-Chang, ayant notamment fait l’erreur de soutenir la fermeté prôné par Washington contre le régime de Pyongyang. Mais au-delà d’un duel gauche-droite, cette élection aura été marquée par un conflit de génération, celui d’une Corée moderne voulant s’affranchir de la tutelle de l’oncle Sam opposée à une Corée plus conservatrice, toujours reconnaissante à l’égard des Etats-Unis pour leur intervention en 1950.
Jamais le choix proposé aux électeurs sud-coréens pour une élection présidentielle n’aura été aussi clair. Tout séparait en effet les deux principaux candidats, leur personnalité comme leur programme. Agé de 56 ans, le centriste de gauche Roh Moo-Hyun, vainqueur de cette élection, est un homme du peuple –il est fils de paysan– tandis que son rival Lee Hoi-Chang, âgé de 67 ans, fait partie de l’élite traditionnelle du pays. Le Premier est un avocat «autodidacte» –il a étudié le droit, seul, le soir. Ancien défenseur des droits de l’homme et des syndicalistes, il est, comme des milliers d’autres militants sud-coréens, descendu dans la rue pour s’opposer au régime autoritaire du général Chum doo-Hwan. Il a même fait un bref séjour en prison pour sa participation à un conflit social. Tout aussi brillant, le parcours de Lee Hoi-Chang reste toutefois plus traditionnel. Nommé à 46 ans le plus jeune juge à la Cour suprême, il y a acquis une réputation de droiture et d’intégrité qui lui a permis de gravir les échelons de sa formation politique, le Grand parti national, qu’il représente une première fois à la présidentielle de 1997.

Opposés par leur personnalité, les deux hommes ont en outre présenté des programmes radicalement différents. Sur le plan économique et social, ils ont ainsi défendus des positions opposées qui, au-delà du clivage gauche-droite, paraissent presque caricaturales. Alors que Roh Moo-Hyun veut limiter la puissance des «chaebols», ces conglomérats familiaux comme notamment Daewoo, dont l’expansion incontrôlée a largement contribué à la crise financière de 1997-1998, son rival conservateur, très proche des milieux d’affaires, s’est lui déclaré opposé à toute intervention de l’Etat dans l’économie sud-coréenne. Il s’est engagé en outre à réduire les impôts sur les sociétés, à réprimer les grèves illégales et à opérer des privatisations, notamment dans le secteur bancaire pour favoriser la croissance.

Mais pour importantes qu’elles soient, ses considérations économique et sociale ont toutefois été largement éclipsées dans cette campagne électorale par des contingences internationales. Ainsi les positions des deux candidats sur notamment la menace nucléaire nord-coréenne ont largement joué dans un contexte marqué par la vague d’anti-américanisme qui secoue le pays depuis plusieurs mois.

Présidentielle sur fond d’anti-américanisme

La campagne présidentielle sud-coréenne a ainsi largement été dominée par la Corée du Nord, Pyongyang ayant annoncé une semaine avant le scrutin la reprise de son programme nucléaire. Si les deux candidats ont appelé leur dangereux voisin à renoncer à ses ambitions militaires, ils ont en revanche préconisé deux attitudes encore une fois radicalement opposées. Accusé par son rival de complaisance à l’égard de Pyongyang, Roh Moo-Hyun a ainsi prôné la poursuite de la politique d’ouverture vis-à-vis du régime de Kim Jong-Il. Il met ainsi en garde contre un «retour à la guerre froide», estimant notamment qu’une intransigeance de Séoul face à Pyongyang ferait monter dangereusement la tension dans la péninsule. Plus ferme, Lee Hoi-Chang estime lui que l’approche conciliatrice a échoué. Il s’est déclaré prêt à couper toute aide financière à la Corée du Nord tant qu’elle n’aura pas abandonné ses velléités nucléaires, soutenant ainsi implicitement la politique de Washington pour qui le régime de Pyongyang fait partie de «l’axe du mal».

C’est sans doute pour avoir notamment partagé la position de George Bush sur la Corée du Nord que le candidat conservateur s’est vu sanctionné par les électeurs sud-coréens. Son rival, qui lors de la campagne avait notamment déclaré qu’il n’irait pas «se prosterner à Washington», a en effet bénéficié de la montée du sentiment anti-américain qui secoue depuis plusieurs mois le pays et qui a été renforcée le mois dernier après l’acquittement par une cour martiale américaine de deux GI’s dont le blindé avait écrasé, en juin dernier, deux collégiennes âgées de 14 et 15 ans. Environ 300 000 personnes se sont mobilisées à travers le pays pour réclamer des excuses à George Bush. En outre, selon une étude dirigée par l’ancienne secrétaire d’Etat, Madeleine Albright, la Corée du Sud a été listée parmi les pays ou la cote de popularité des Etats-Unis a le plus chuté.

Au-delà du clivage gauche-droite, cette élection présidentielle sud-coréenne a surtout révélé un conflit de générations. Plus critiques, les 30-40 ans veulent désormais s’affranchir de la tutelle américaine et compte sur leur nouveau président pour demander une révision des conditions de stationnement des 37 000 GI’s dans le pays. Pour eux la Corée qui a organisé la coupe du monde de football n’a pas dette envers Washington. Un avis que ne partagent pas les plus de 50 ans qui ressentent encore à l’égard des Etats-Unis une reconnaissance pour leur intervention lors de la guerre de Corée en 1950.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 19/12/2002