Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Corée

La longue marche vers la normalisation

Les éléments du dossier nord-coréen se bousculent. La visite du premier ministre japonais à Pyongyang a marqué une étape historique du rapprochement entre les deux pays. Simultanément s’ouvre le chantier de l’ouverture de la frontière entre les deux Corée.
La prudence s’impose toujours lorsqu’on évoque l’évolution de ce dossier en raison des multiples rebondissements auxquels on a assisté au cours de ces dernières années dans la voie d’une normalisation des relations entre Pyongyang et le reste de la communauté internationale. C’est l’un des derniers contentieux, et certainement le plus «chaud», de la guerre froide. La Corée du nord compte parmi les trois pays de «l’axe du mal», cité par le président américain cette année aux côtés de l’Iran et l’Irak. Elle terrorise ses voisins, et le Japon en particulier, depuis qu’elle a engagé un programme militaire nucléaire et produit un missile balistique capable d’atteindre l’archipel voisin.

Le Japon et la péninsule entretiennent de très mauvaises relations depuis l’invasion japonaise de 1910 et les cruautés endurées par les Coréens, dont l’épisode des «femmes de réconfort», offertes aux soldats d’occupation japonais, fut l’une des dernières et des plus tragiques illustrations. L’invasion japonaise ne prit fin qu’en 1945 et, jusqu’à ces dernières heures la repentance était encore l’un des principaux dossiers en suspend. A peine sortie d’une brutalité historique, la Corée n’allait pas connaître de répit avec l’entrée en guerre froide, la partition du pays et une guerre qui n’allait s’achever qu’en 1953 avec l’érection de frontières hermétiques jusqu’à ces dernières heures, encore une fois.

Le sud, massivement aidé par les Occidentaux, se reconstruit autour des principes capitalistes, sacrifiant même à l’affairisme et à la corruption. Le nord, soutenu par l’Union Soviétique et la Chine, se forge un régime de fer, caricature de démocratie populaire calquée sur les pires modèles du catalogue stalinien d’époque. Il est actuellement dirigée par un dictateur, Kim Jong-Il, lui-même fils-héritier du précédent, Kim-Il Sung, et tous deux extrêmement jaloux de leur pouvoir. Au point d’avoir fait de leur pays une sorte de citadelle quasi-interdite aux observateurs. Un régime fermé jusqu’à la dissimulation des souffrances endurées par une population régulièrement victime de disette, voire de famine, aujourd’hui encore. Mais un régime toujours offensif à l’égard de Tokyo et à la susceptibilité intacte sur la question de la reconnaissance du martyr lié à l’invasion. Cette hostilité s’est également traduite par une étrange affaire d’enlèvements de citoyens japonais lors d’opérations menées par les services secrets coréens, au Japon et à l’étranger, au cours des années 70 et 80. Officiellement ils ont été onze à disparaître mystérieusement. En dépit des soupçons, Pyongyang avait toujours démenti, jusqu’à ces dernières heures, là encore.

Déminage de la zone démilitarisée

Mais cette fois, en dépit de toutes les précautions d’usage, il convient de constater qu’il vient de s’accomplir, au cours de ces dernières vingt-quatre heures, un pas considérable vers le règlement de tous les contentieux qui empoisonnaient, depuis près d’un siècle, la coexistence pacifique des peuples de la région et, depuis un demi-siècle, l’ensemble de la communauté internationale. Au cours de sa visite-éclair de mardi, le chef du gouvernement japonais a réédité auprès des Nord-coréens le geste qu’il avait accompli à Séoul il y a quelques années, et que tous les citoyens de la péninsule attendaient de lui : il a présenté des excuses officielles pour la responsabilité de son pays dans les malheurs dont le peuple coréen avait été victime sous l’occupation. Un geste qui ouvre la voie à une aide substantielle : il est question de dix milliards de dollars. De son côté, son homologue nord-coréen a levé le voile sur les disparitions en avouant que son pays avait bien été à l’origine des enlèvements, le déplorant et s’en excusant, promettant que les survivants recensés, au nombre de quatre, pourraient retourner chez eux. Dans la foulée, les deux pays sont convenus de travailler à l’établissement de relations diplomatiques, perspectives inimaginables quelques heures auparavant.

Mais le bref sommet entre les deux hommes n’a pas eu que des vertus bilatérales. Pyongyang a également annoncé l’extension, au-delà de la date préalablement fixée à 2003, de son moratoire sur ses essais de missiles balistiques. Un geste attendu, notamment à Washington, dont Kim Jong-Il a confié à Junichiro Koizumi qu’il était ouvert à un dialogue avec les Etats-Unis. Tous les pas ne sont pas encore franchis : les inspecteurs de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique ne sont pas encore autorisés à travailler dans ce pays.

Enfin, heureux hasard du calendrier, c’est ce mercredi qu’ont eu lieu les cérémonies marquant l’ouverture du chantier de restauration des voies de communications routières et ferroviaires entre les deux Corée. Dès jeudi, les armées des deux pays vont mettre leurs forces en commun, pour la première fois depuis la partition du pays, et démarrer les opérations de déminage de la fameuse «zone démilitarisée», matérialisée par un no man’s land de 250 kilomètres sur 4, truffé de mines et de barbelés, et qui coure tout le long du 38ème parallèle.

C’est la qualité des réactions qui évoque que, cette fois, les gestes traduisent bien une volonté commune. Parmi les pays-membres du conseil de sécurité, la Chine a salué l’événement ; la Russie, par la voie du président Poutine, se déclare «profondément satisfaite de cette avancée significative et symbolique». Les Etats-Unis n’ont pas encore réagi officiellement, mais un responsable du département d’Etat interrogé par l’AFP s’est montré vivement intéressé des résultats de cette visite et des perspectives qu’elle ouvrait. Washington avait approuvé le projet de visite de son allié japonais à ce pays de «l’axe du mal».

A lire également :
Irak, Corée du Nord, même combat
Chronique Asie de Hélène Da Costa (18/09/2002).



par Georges  Abou

Article publié le 18/09/2002 Dernière mise à jour le 17/09/2002 à 22:00 TU