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Cour pénale internationale

Les Etats-Unis privés d’exemption

Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan.  

		(Photo: AFP)
Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan.
(Photo: AFP)
En dépit d’intenses pressions diplomatiques, les Etats-Unis n’ont pas obtenu le renouvellement d’une résolution de l’ONU qui aurait exempté leurs personnels engagés dans des opérations de maintien de la paix de toute poursuite de la Cour pénale internationale. Ce camouflet est une conséquence du scandale d’Abou Ghraib.

De notre correspondant à New York (Nations unies)

Les États-Unis ont essuyé une gifle diplomatique à l’ONU qui ne trouve d’équivalent que dans le refus du Conseil de sécurité d’entériner la guerre en Irak. Après de longues semaines de négociations, de pressions puis de compromis, ils ont été forcés de retirer un projet de résolution qui prévoyait le renouvellement d’une résolution qui exemptait les soldats engagés dans des opérations de maintien de la paix contre des poursuites de la Cour pénale internationale (CPI). Cette résolution était impopulaire depuis son adoption il y a deux ans.

A l’époque, pour les États-Unis, il s’agissait davantage de marquer une opposition idéologique à la nouvelle cour, que de protéger leurs hommes contre des poursuites –juridiquement, les chances de voir un soldat américain jugé à La Haye sont très minces. Mais depuis le début, l’administration Bush accuse la cour d’être partiale et dangereuse. Pour obtenir l’exemption il y a deux ans, Washington avait menacé d’utiliser son veto, pour paralyser toutes les opérations de l’ONU. Cette année, les menaces n’ont pas suffi. Et à la surprise générale, Washington a essuyé une retentissante défaite.

D’une voix blanche, l’ambassadeur adjoint des Etats-Unis à l’ONU, James Cunningham, a annoncé hier la nouvelle : «Les États-Unis ont décidé de ne pas aller plus loin concernant l’adoption du projet de résolution, pour éviter de s’engager dans un long débat qui aurait divisé le Conseil» a-t-il dit. Après un rapide tour de table dans la matinée, il n’avait pu que constater qu’il n’avait pas les neuf voix sur quinze nécessaires au passage de sa résolution. La veille pourtant, Washington avait proposé une solution de compromis, en proposant le renouvellement de son exemption pour un an non renouvelable. La délégation américaine n’avait accordé que quelques heures aux autres délégations pour prendre une décision quant à leur vote. Plusieurs pays, comme la Roumanie, le Chili et l’Algérie ont été tangents jusqu’à la dernière minute, mais face à la détermination des Européens, et notamment de l’Espagne qui s’en est tenue à son abstention, le Conseil est resté ferme, refusant aux États-Unis ce qu’il avait accepté une première fois il y a deux ans, et une seconde fois l’an dernier.

La «leçon» de la Chine à Washington

Le changement de rapport de force s’explique principalement par le scandale de la prison irakienne d’Abou Ghraib. «Cela a touché une nerf, en donnant l’impression que la loi ne s’appliquait pas de la même manière pour tout le monde» explique Richard Dicker, de Human Rights Watch. Pour un pays comme l’Algérie, il aurait été difficile de voter un texte qui semblait offrir aux États-Unis une impunité pour ce type d’actes –semblait, car l’Irak n’ayant pas ratifié les statuts de la Cour pénale internationale, cette dernière n’aurait de toutes les façons pas pu se saisir de l’affaire. Humiliation suprême, les États-Unis se sont entendu donner des leçons de droits de l’Homme par la Chine, dont le refus de soutenir le texte américain a été le véritable déclencheur de la fronde du Conseil de sécurité. «La Chine était sous pression à cause des scandales et de la couverture médiatique des sévices sur les prisonniers, et pour cela, il était très difficile pour mon gouvernement de soutenir la résolution» a déclaré l’ambassadeur chinois à l’ONU Wang Guangya, précisant qu’il ne pouvait «donner un chèque en blanc aux États-Unis concernant le comportement de ses forces».

La France l’Allemagne et l’Espagne ont justifié leur opposition au texte en affirmant qu’il était incompatible avec leur adhésion au traité de Rome fondant la CPI, et d’une légalité douteuse. Ils ont cette année trouvé en Kofi Annan un allié de poids. Le secrétaire général de l’ONU a remis en question la valeur juridique de la résolution américaine. «Je pense qu’étant donné les sévices sur les prisonniers en Irak, il est malencontreux de pousser pour une telle exemption. (…) Il serait peu judicieux de la part du Conseil de sécurité de l’accorder. Cela discréditerait le Conseil et les Nations unies qui incarnent le respect de la loi» avait-il déclaré. Passée l’euphorie générale après la défaite du mastodonte américain, les diplomates du Conseil de sécurité ont commencé à craindre la réplique de Washington.

Voilà deux ans, les États-Unis n’avaient pas hésité à faire usage de leur droit de veto pour paralyser l’ONU. Cette année, les menaces étaient plus voilées. Mais lorsque un journaliste a demandé au représentant américain si il allait bloquer le renouvellement de certaines missions de maintien de la paix, ce dernier a délivré un «no comment» glacial. «Les États-Unis ont trop besoin de l’ONU en ce moment pour tenter quoi que ce soit» estime un diplomate. Mais ils pourraient exiger des exemptions à l’égard de la CPI au cas par cas, résolution par résolution.

Cette défaite pourrait toutefois remettre en cause la politique américaine à l’égard de la cour, jugée désastreuse pour l’administration Bush et génératrice de rancœurs dans le monde entier. Mais dans les faits, la levée de l’exemption dont ils bénéficiaient jusque-là ne devrait pas changer grand-chose pour les États-Unis. Pour qu’un Américain soit poursuivi à La Haye, il faudrait qu’il ait commis un crime très grave –crime de guerre, génocide ou crime contre l’humanité– que ce crime ait été commis sur le territoire d’un pays ayant ratifié le statut de la Cour (moins d’une centaine l’ont ratifié), que le pays en question n’ait pas accordé d’exemption bilatérale aux États-Unis (près d’une centaine l’ont fait), et que la justice américaine ou du pays où le crime a été commis n’ait entrepris aucune poursuite. La guerre que mènent les États-Unis à la CPI semble d’autant plus d’arrière garde que celle-ci fonctionne désormais. Son procureur, l'Argentin Luis Moreno-Ocampo, a annoncé hier que sa première enquête porterait sur les crimes commis en République démocratique du Congo depuis le 1er juillet 2002. Il enquêtera sur des massacres, des viols collectifs, des tortures et du cannibalisme rituel.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 24/06/2004 Dernière mise à jour le 24/06/2004 à 15:16 TU