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Justice internationale

Nouvelles tensions transatlantiques sur la CPI

La création d’une Cour pénale internationale demeure une importante source de préoccupations pour les Américains qui poursuivent leur offensive diplomatique visant à torpiller le traité de Rome. Washington tente d’obtenir discrètement la prorogation de la résolution 1422, qui assure l’impunité aux membres des missions de maintien de la paix dont les pays n’ont pas ratifié le traité. D’autre part, des responsables américains accusent l’Union européenne d’exercer des pressions sur de futurs pays-membres afin qu’ils ne s’engagent dans des traités bilatéraux avec Washington accordant l’immunité aux soldats américains susceptibles d’être traduits devant la CPI.
Cela fera tout juste un an le premier juillet prochain que le traité portant création de la Cour pénale internationale entrait en vigueur. Pour la première fois de son histoire, l’humanité dispose d’un tribunal criminel permanent, et indépendant, chargé d’enquêter et de juger les individus accusés de violations massives du droit international et des droits de l’homme. Pourtant, un an après, la communauté internationale butte toujours sur les mêmes obstacles et notamment les appréhensions de Washington de voir ses citoyens traînés devant la cour en raison de l’implication des Américains dans les opérations de guerre ou les missions de maintien de la paix.

L’année dernière, il s’en était fallu de peu que Washington renonce à ses obligations internationales après l’entrée en vigueur de la CPI. Après trois semaines d’une très vive bataille de procédure, l’ONU avait finalement adopté le 12 juillet la résolution 1422 établissant que la CPI ne peut engager de poursuites contre des membres des opérations de maintien de la paix non signataires du traité l’ayant créée. La résolution s’appliquait pour un an et le Conseil de sécurité précisait alors son intention de renouveler chaque année cette immunité temporaire aussi longtemps que nécessaire. En échange, Washington renonçait à son chantage de retirer ses forces des contingents internationaux et d’opposer son veto aux prolongations des missions de maintien de la paix de l’ONU. La mission des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine, qui en aurait été la première victime, était prorogée jusqu’au 31 décembre.

Aujourd’hui, il faut remettre l’ouvrage sur le métier car d’ici un mois, soit une nouvelle résolution (une 1422 bis) sera adoptée comme le souhaite Washington afin de prolonger le régime spécial qui protège ses soldats en opérations extérieures, soit il faudra se priver des services de l’armée américaine pour les opérations extérieures de maintien de la paix. Les États-Unis savent l’impopularité de leur combat pour mettre leurs soldats à l’abri du sort commun. En conséquence, ils souhaiteraient que l’affaire soit traitée aussi discrètement que possible et s’opposent donc à la tenue d’un nouveau débat public au sein du Conseil, comme l’ont demandé la Nouvelle-Zélande, le Canada, la Jordanie, la Suisse et le Liechtenstein. D’ailleurs, un texte est d’ores et déjà prêt et il s’en est fallu de peu qu’il n’ait été mis au vote dès vendredi, malgré les réserves de l’Allemagne et de la France. Et si le débat reste feutré parmi les nations, on peut en revanche compter sur les organisations non-gouvernementales pour lui donner de la consistance: selon l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty international, la résolution 1422 est illégale et «il est extrêmement troublant que les États-Unis pressent le Conseil de sécurité d’approuver sa proposition sans avoir débattu de sa légalité auparavant en réunion publique».

Deux conceptions du monde

Mais Washington n’en reste pas à ce traitement multilatéral du problème. Face au danger que semble constituer pour les États-Unis la mise en place d’une justice supranationale potentiellement hostile envers ses ressortissants, les responsables américains usent de toute leur influence pour obtenir des pays les mieux disposés à leur égard des accords bilatéraux exemptant les citoyens américains d’éventuelles poursuites devant la CPI. Le 10 juin, le département d’État annonçait que deux nouveaux pays avaient rejoint le club des États-signataires de l’Article 98 du statut de Rome, portant ainsi à trente-sept (officiellement) le nombre de pays s’engageant à ne pas traduire des Américains devant la CPI. Parmi eux, il y a des pays candidats à l’adhésion au sein de l’Union européenne et cette dernière défend résolument la CPI dont elle entend promouvoir l’action dans le monde, déclarait mercredi un porte-parole du commissaire européen aux Relations extérieures.

Si le conflit d’intérêt est patent, l’UE réfute les accusations américaines selon lesquelles Bruxelles fait pression sur des États afin d’empêcher ce type d’accord. La Roumanie et l’Albanie, qui ont vocation à faire partie de l’UE, comptent parmi les signataires. La plupart des nations balkaniques sont sollicitées. La Bosnie a déjà franchi les premiers pas sans états d’âmes compte tenu de la reconnaissance qu’elle éprouve à l’égard des États-Unis pour le soutien apporté lors de la guerre (1992-95). Pour d’autres, telle que la Serbie, c’est un vrai dilemme en raison de l’hostilité qui a prévalu entre Washington et Belgrade lors des conflits de ces dernières années.

Washington dispose d’excellents arguments pour convaincre de nouveaux partenaires, et notamment celui d’une promesse d’intégration au sein de l’organisation militaire transatlantique OTAN, perspective particulièrement attractive, davantage peut-être que l’adhésion au sein de l’UE pour les ex-pays membres de l’alliance militaire soviétique dite du «pacte de Varsovie».

Dans le contexte d’après-guerre d’Irak, et alors que les uns et les autres recherchent de bonnes raisons de se retrouver, cette affaire risque au contraire d’approfondir le fossé transatlantique plutôt que le combler. En dépit des manifestations de sympathie visant à minimiser l’écart et à rassurer les opinions publiques, ce sont bien deux conceptions du monde qui continuent de s’affronter.

A ce jour, cent trente-huit pays ont signé le statut portant création de la Cour pénale internationale et quatre-vingt dix l’ont ratifié.



Article publié le 11/06/2003