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Justice internationale

La CPI en ordre de marche

Ce 11 mars, la Cour pénale internationale installe ses dix-huit juges à La Haye. Dans quelques semaines un procureur sera désigné et d’ici la fin de l’année, le premier tribunal criminel international permanent entrera en fonction. Mais cette installation s’inscrit dans un contexte marqué par une multiplication des interventions militaires extérieures, et l’accroissement des risques suscite des oppositions acharnées à la CPI.
La marche se poursuit inéluctablement en dépit des aléas et d'un contexte international franchement défavorable. L'installation des dix-huit juges, ce mardi, ne marque qu'une étape. Elle est indispensable, mais c'est la prochaine qui sera déterminante, lorsque sera désigné le procureur, dont le processus de désignation s'ouvre le 24 mars et devrait aboutir un mois plus tard.

Pourtant l'étape d'aujourd'hui n'en est pas moins essentielle et déjà riche d'enseignements sur l'accueil réservé par la communauté internationale à sa toute première cour criminelle permanente. D'abord, le succès : 143 pays ont signé le traité de Rome, constitutif de la Cour pénale internationale (CPI), parmi lesquels 87 l’ont ratifié et sont donc qualifiés d’«Etats-parties». D’autre part, la rapidité de la mise en œuvre : le traité de Rome n’est en vigueur que depuis le 1er juillet 2002 et, outre le nombre important de pays qui l’ont rejoint, quelque deux cents plaintes attendent déjà le futur procureur.

Il est également étonnant de constater la rapidité avec laquelle l’idée même d’une justice internationale indépendante, et n’accordant aucune immunité, a pénétré les consciences. C’est désormais un concept en circulation jusque dans les conférences internationales pour souligner les exigences de la bonne gouvernance, voire un moyen de pression pour faire rentrer dans le rang un membre récalcitrant. Comme l’a montré Jacques Chirac lors du dernier sommet France-Afrique, à propos des escadrons de la mort ivoiriens.

Son succès se mesure aussi, paradoxalement, à l’acharnement dont ses adversaires font preuve pour tenter d’en minimiser ou d’en différer les effets. Avec succès, il est vrai, d’autant que le chef de file de la fronde est incarné par la première puissance mondiale, les Etats-Unis qui, depuis l’arrivée de l’administration républicaine à la Maison Blanche, dépensent une énergie diplomatique et législative considérable à tenter de neutraliser la CPI. De toute évidence, les Américains ne veulent pas prendre le risque de voir leurs soldats en missions extérieures traînés devant un tribunal international et ils sont déjà parvenus à des résultats très encourageants.

Arsenal anti-CPI

Sur le plan international : brandissant la menace d’un retrait de leur contribution aux opérations de l’Onu en cours, ils ont tout d’abord obtenu du Conseil de sécurité qu’il accorde aux soldats des Etats non-parties (dont les Etats-Unis) un engagement à ne pas être poursuivi. Sur le plan bilatéral : Washington a signé avec vingt-deux Etats, dont le dernier en date est le Rwanda, des accords garantissant qu’aucun citoyen américain ne serait transférer devant la CPI. Enfin au niveau national, ce dispositif est complété par une loi, signée le 2 août 2002, qui annonce clairement que «les Etats-Unis refusent toute compétence de la Cour sur leurs nationaux» et interdit toute coopération américaine avec la CPI. La loi prévoit notamment l’interdiction de toute assistance militaire avec la plupart des Etats ayant ratifié le Statut de Rome (sauf alliés stratégiques comme, par exemple, les membres de l’OTAN). Une loi dont l’aspect le plus caricatural, et le plus révélateur du sentiment «unilatéraliste» qui anime les dirigeants américains, est sans doute l’évocation d’une attaque du tribunal de la Haye pour y délivrer des citoyens américains captifs de la CPI !

Face au tumulte, les Etats-parties ont poursuivi leur travail, conformément au calendrier fixé, et jusqu’à présent respecté, et dans le souci de préserver les grands équilibres dont dépend la crédibilité de l’ensemble de l’édifice. Depuis le début de l’aventure, en 1998, le sentiment dominant n’a pas changé : tôt ou tard les Américains rejoindront la CPI. Mais ce combat contre la CPI ne cessera que lorsque le tribunal aura fait la démonstration qu’il présente toutes les garanties d’impartialité, notamment politique. Il faut donc qu’il fonctionne le plus rapidement possible. Selon les prévisions, les premières affaires devrait être examinées d’ici la fin de l’année mais les premiers procès ne sont pas attendus avant la fin de l’année 2004. D’ici là, le travail de préservation des équilibres va se poursuivre. Il a été entamé avec la désignation des juges : 3 pour l’Afrique, 3 pour l’Asie ; 7 pour l’Europe de l’Ouest et les Etats assimilés ; 1 pour l’Europe de l’Est et 4 pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Il y a 11 hommes et 7 femmes, dont 10 pénalistes et 8 spécialistes de droit international.

Le prochain grand choix de la CPI concernera donc le procureur. Le choix devra être le fruit d’un consensus entre les Etats-parties. Comme on l’a vu, il pèsera sur les épaules de ce procureur toute la charge symbolique d’avoir à asseoir l’autorité de la Cour dans ce paysage international toujours très marqué par un usage massif de la coercition. Un haut fonctionnaire du ministère suisse des Affaires étrangères, cité par le journal le Monde, a annoncé l’intention de son pays de demander l’examen de la candidature de la procureure des Tribunaux pénaux internationaux, Carla Del Ponte. Mais, selon une source proche de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, l’impérieuse nécessité du consensus orienterait plutôt le choix vers un candidat non-occidental.

A écouter :
Claude Jorda
Ancien président du TPI de la Haye et actuellemnet juge de la CPI (Invité de Valérie Lehoux, le 11/03/2003).



par Georges  Abou

Article publié le 10/03/2003