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Justice internationale

Guantanamo: Powell critique le Pentagone

Les autorités américaines vont libérer au cours de cette semaine une quinzaine de prisonniers incarcérés à la base navale de Guantanamo après avoir été capturés en Afghanistan. Qualifiés par Washington de «combattants illégaux», ces détenus ne bénéficient pas des protections prévues par la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre, ce que les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent vigoureusement depuis plus d’un an. La situation des personnes détenues à Guantanamo semble aujourd’hui représenter un nouveau point d’achoppement entre le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et le secrétaire d’Etat Colin Powell qui dans une lettre au Pentagone a vivement critiqué les décisions prises par les militaires concernant ces prisonniers.
C’est un article de l’hebdomadaire américain US News and World Report qui a relancé aux Etats-Unis le débat sur les prisonniers de Guantanamo. Le journal y évoque une lettre «vigoureuse» de Colin Powell au secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld dans laquelle il l’avertit des retombées diplomatiques, dommageables selon lui pour la coopération internationale contre le terrorisme, de la détention prolongée de ces prisonniers. Officieusement quelque 660 personnes de 42 nationalités différentes ont été transférées sur la base navale de Guantanamo depuis janvier 2002. Aucun de ces détenus n’a pour l’instant été inculpé. Dans sa lettre, le chef de la diplomatie américaine fait ainsi état des plaintes de huit pays, alliés des Etats-Unis, qui réclament en vain que leurs ressortissants leur soient remis. Parmi ces pays, figurent la Grande-Bretagne, la Russie, l’Espagne, le Pakistan ou encore la France. Colin Powell évoque également la situation de cinq adolescents âgés de 13 à 16 ans et celle de deux hommes âgés respectivement de 88 et 98 ans. Les organisations de défense des droits de l’homme ont vivement dénoncé leur détention prolongée et réclamé qu’ils soient libérés ou pour le moins qu’ils puissent avoir accès à des avocats.

Hasard ou non, peu après la parution de l’article de l’hebdomadaire américain, un responsable du Pentagone annonçait, sous couvert de l’anonymat, la prochaine libération de 12 à 15 détenus de la base de Guantanamo. Il a justifié cette décision en faisant valoir que ces personnes «ne représentaient aucun intérêt d’un point de vue du renseignement ou n’étaient pas considérées comme représentant une menace» pour les Etats-Unis. Ces prisonniers sont pour la plupart Afghans et devraient être confiés aux autorités de leur pays au courant de la semaine. Ce n’est pas la première fois que les autorités américaines libèrent des détenus de Guantanamo. Vingt-trois personnes sur ces quelque 660 incarcérées ont été remises en liberté, parmi lesquelles un homme âgé de 70 ans et un autre diagnostiqué fou.

Des tribunaux militaires bientôt opérationnels

Cette prochaine libération d’une quinzaine de détenus n’aurait aucun lien avec les récentes critiques du secrétaire d’Etat américain. C’est en tout cas ce que soutient le Pentagone en affirmant que cette décision avait été prise depuis plusieurs semaines et que dans ce contexte il ne peut s’agir que d’«une pure coïncidence». Interrogé sur CNN, Donald Rumsfeld a pour sa part abonder dans ce sens, en niant vigoureusement toute divergence au sein de l’administration américaine concernant les détenus de Guantanamo. Il a reconnu que les procédures les concernant étaient trop longues. «Cela prend du temps d’examiner ce que les enquêteurs ont récolté», a-t-il expliqué. «Cela prend également du temps de déterminer quel type de procédure judiciaire conviendrait», a-t-il ajouté. Il a toutefois reproché à Colin Powell de ne pas avoir négocié avec les pays concernés des accords d’extradition garantissant que ces détenus passeraient bien en jugement. Donald Rumsfeld a également implicitement rejeté la responsabilité de cette lenteur sur les services de renseignement et de police chargés d’interroger les détenus et de se prononcer sur chacun d’eux. Il a notamment précisé que des agents du FBI, du département de la Justice, de la CIA et du renseignement militaire étaient tous impliqués dans l’interrogatoire de ces prisonniers.

Certains détenus sont incarcérés à Guantanamo depuis 16 mois et les autorités américaines, ouvertement critiquées pour l’état de non droit dans lequel ils sont maintenus, semble prendre enfin conscience que cette situation ne peut pas durer indéfiniment. C’est sans doute dans ce contexte qu’il faut replacer l’annonce faite la semaine dernière par le Pentagone qui se dit «techniquement prêt» à faire comparaître des étrangers suspectés de terrorisme devant des tribunaux militaires. Ces instances pourront siéger aux Etats-Unis ou à l’étranger, y compris donc sur la base américaine de Guantanamo. Selon les juristes qui ont travaillé à leur mise en place, elles offrent «plus de souplesse» et moins de garanties pour la défense que les cours martiales classiques. Le droit à l’appel est en effet limité. Les prisonniers auront toutefois le droit d’être assistés par des avocats civils américains. Et selon les cas, les auditions seront soit publiques, soit à huis clos. Les autorités militaires américaines auraient d’ores et déjà opéré une première sélection des détenus susceptibles d’être traduits devant ces juridictions d’exception dont le fonctionnement devrait être une nouvelle cible de critiques.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 06/05/2003