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Justice internationale

Quel sort pour les prisonniers irakiens ?

Depuis l’effondrement du régime de Saddam Hussein, douze responsables irakiens, parmi lesquels le vice-Premier ministre Tarek Aziz, ont été arrêtés ou se sont rendus aux forces de la coalition. Aucune indication n’a été donnée sur leur lieu de détention et si la Croix rouge internationale a pu rendre visite à quelques uns des 7 300 prisonniers militaires, elle n’a en revanche pas pu rencontrer ces dignitaires de l’ancien régime. Quel est aujourd’hui le statut de ces responsables tout comme celui des soldats aux mains des troupes américano-britanniques ? Quelle sera l’institution habilitée à les juger ? Si les Américains maintiennent volontairement le flou sur leurs intentions, de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme demandent la mise en place de tribunaux internationaux et mettent en garde contre une répétition des abus observés pour les prisonniers enfermés à Guantanamo.
«Le jour de la libération de l’Irak sera également un jour de justice», avait affirmé il y a quelques semaines George W. Bush, promettant implicitement aux Irakiens que le régime de Saddam Hussein serait jugé pour les nombreux crimes commis à l’encontre de sa population. Mais depuis la chute de Bagdad et l’arrestation de certains hauts dignitaires irakiens rien de concret n’a pour l’instant été entrepris pour définir le sort de ces «prises de guerre». Une chose est toutefois sûre, le flou juridique qui entoure les prisonniers de Guantanamo, qualifiés de «combattants hors-la-loi» et ne bénéficiant donc pas de la protection des dispositions de la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre, ne sera pas réédité pour l’Irak. Surpris par la résistance des troupes irakiennes dans le sud du pays, les Américains avaient en effet brandi cette Convention et appelé le régime de Bagdad au respect des lois de la guerre. Aujourd’hui les quelque 7300 soldats irakiens arrêtés par les troupes de la coalition américano-britannique ont donc de facto le statut de prisonniers de guerre.

Les Américains avaient prévenu que les crimes de guerre dont les troupes irakiennes se rendraient coupables à l’encontre des soldats de la coalition seraient jugés par des cours martiales ou des tribunaux militaires américains. De telles instances sont d’ores et déjà opérationnelles et des enquêtes sont en cours pour clarifier diverses violations des «us et coutumes de la guerre» comme notamment le fait de combattre en tenue civile ou d’utiliser des ambulances pour transporter des troupes. De nombreux juristes, notamment américains, ont toutefois remis en cause la légitimité et la crédibilité de ces tribunaux composés uniquement d’Américains. David Scheffer, qui a fait partie de l’administration Clinton, a notamment observé que les Etats-Unis devraient au moins insérer dans ces instances «des juges ou des procureurs britanniques, australiens, voire arabes», afin d’asseoir un peu mieux leur crédibilité. Un conseil que le Pentagone ne semble pas vouloir prendre en compte.

Que faire des «gros poissons» ?

Bon ou mauvais, le sort des militaires irakiens a le mérite d’avoir été clarifié. Ce n’est en revanche pas le cas de celui des dignitaires du régime à l’origine d’atrocités commises pendant plus de 20 ans de dictature. Dans ce contexte, plusieurs organisations des droits de l’homme, comme la FIDH ou Human Rights Watch , ont plaidé pour qu’une justice internationale puisse s’exercer en raison notamment de la gravité des exactions commises, certaines méritant à leurs yeux les qualifications de génocide et de crimes contre l’humanité. La toute nouvelle cour pénale internationale ne peut toutefois en aucun cas être saisie par les poursuites concernant les dignitaires irakiens puisqu’elle n’est compétente que pour les crimes commis après le 1er juillet 2002. Ni les Etats-Unis, ni l’Irak n’ont en outre adhéré à cette instance. C’est pourquoi les organisation des droits de l’homme souhaitent la création par l’ONU d’un tribunal ad hoc, du type de ceux mis en place pour juger les crimes perpétrés au Rwanda ou en ex-Yougoslavie.

Mais cette proposition est loin d’enchanter les Américains qui veulent à tout prix éviter de long procès au cours desquels les dignitaires du régime déchu auraient tout loisir pour décrire les liens privilégiés qu’ils ont pu entretenir avec les différentes administrations américaines. D’autres pays comme la France et la Russie n’ont également aucun intérêt à voir déballer les appuis qu’ils ont longtemps apportés au régime de Saddam Hussein.

Sans l’avouer ouvertement, l’administration Bush souhaiterait que les Irakiens exercent leur justice eux-même. La Maison Blanche a organisé à ce propos, il y a une quinzaine de jours, un séminaire auquel ont participé une trentaine de juristes irakiens en exil pour officiellement examiner les différentes options possibles. Car sur les 55 personnalités irakiennes les plus recherchées ou déjà arrêtées, toutes ne seront pas poursuivies pour les mêmes motifs. Deux catégories semblent en effet se dessiner avec d’une part les personnes passibles de procès pour crimes de guerre et d’autres part celles pouvant coopérer ou servir de témoins à charge. Mais de nombreux juristes contestent d’ores et déjà la mise en place d’une telle juridiction irakienne, faisant notamment valoir que les juristes locaux ont largement été compromis avec le régime.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 25/04/2003