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Justice internationale

CPI : l’heure des représailles américaines

Les États-Unis ont annoncé mardi la suspension de leur aide militaire à 35 pays en représailles pour leur refus d’accorder l’immunité aux Américains qui seraient inculpés par la Cour pénale internationale chargée de juger les crimes de guerre ou contre l’humanité.
Après la diplomatie, c’est donc l’heure des représailles. Faute d’avoir pu les convaincre, Washington a annoncé mardi la suspension de son aide militaire aux 35 pays qui n’ont pas accordé l’immunité aux citoyens américains devant la Cour pénale internationale (CPI). Le Congrès des États-Unis avait fixé l’échéance au 1er juillet, soit un an après l’entrée en vigueur du statut de Rome. Au cours de cette année, ce dossier n’est jamais resté très longtemps absent des grands titres de l’actualité diplomatique. Peu de grandes réunions internationales ont fait l’impasse sur le sujet, traduisant ainsi son importance aux yeux des responsables américains et de leurs interlocuteurs. L’administration américaine (et l'actuelle davantage encore que la précédente) manifeste une opposition farouche à l’égard de cette première cour criminelle internationale en raison du risque, selon elle, de détournement systématique de l’institution contre les intérêts américains dans le monde et notamment contre les militaires américains déployés à l’étranger.

Pour ne pas avoir à affronter une telle perspective, l’administration américaine était tout d’abord parvenue, il y a un an, à faire adopter par le conseil de sécurité une résolution décrétant une immunité a priori pour les soldats des pays non signataires en opération sous mandat de l’ONU. C’est à ce prix, malgré les protestations des organisations de défense des droits de l’homme, que la communauté internationale put reconduire la mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine qui arrivait à son terme. Cette résolution a été renouvelée à la mi-juin 2003, mais à l’issue d’un débat, contrairement aux souhaits des Américains qui auraient préféré une reconduction automatique.

Après avoir tenté tous les recours pour limiter la portée de la CPI, et perdu cette bataille, Washington n’a jamais renoncé. L'administration américaine a entamé une nouvelle étape qui, pour l’essentiel, vise à convaincre ses partenaires de conclure des accords bilatéraux afin de soustraire ses ressortissants à toute menace d’extradition devant la justice internationale. L'article 98 du statut de la Cour autorise en effet un pays à ne pas agir en contradiction avec les accords internationaux qu'il a conclus. Et lui permet donc, en conséquence, d’échapper à ses obligations d’extrader un suspect de crimes de guerre, contre l’humanité, de génocide, de massacre.

Mesure spectaculaire pour impact limité

Et, pour parvenir à ses objectifs, la Maison Blanche a su convaincre puisque sur les quelque quatre-vingt dix pays ayant signé le traité instituant la CPI, quarante-quatre ont conclu avec les États-Unis des accords bilatéraux de non-extradition de ressortissants américains et sept autres l’ont fait secrètement, selon Washington. Pour les observateurs attentifs aux rebondissements de ce dossier, la bataille a été rude entre les Européens, principaux défenseurs de la CPI, et les Américains. Washington a exercé des pressions sur nombre de pays qui ont provoqué de vives réactions de la part des pays de l’Union européenne (UE), très attachés au principe de la CPI quel que soit le soutien qu’ils manifestent par ailleurs à la politique américaine. Ainsi, sous la pression de l’Union, les États ayant vocation a intégrer l’UE ont dû clarifier leur position et réaffirmer leur attachement au statut de Rome et certains, comme la Bulgarie, en payent aujourd’hui le prix.

Pourtant, si sur le plan symbolique la contre-attaque américaine est spectaculaire, et aura un impact politique important, la portée des représailles reste toutefois limitée. D’une part sont exclus de la liste les pays membres de l’alliance militaire OTAN et ceux qui, plus généralement, sont considérés comme des alliés essentiels de Washington. D’autre part, la sanction américaine affectera peu l’aide militaire fournie aux pays en question en raison de son application tardive dans l’année fiscale américaine en cours, qui s’achève le 1er octobre. Aujourd’hui moins de cinquante millions de dollars sont en jeu. Enfin le porte-parole du ministère américain des Affaires étrangères a insisté sur le fait que son administration pourrait faire preuve de souplesse afin d’inciter ses partenaires à revenir sur leurs positions. «Notre objectif n’est pas rigide. Certains pays pourraient obtenir des exemptions en signant un accord dans les prochaines semaines ou mois», a déclaré Richard Boucher.



La liste des 35 pays soumis à la suspension de l’aide militaire américaine :

- Dix pays africains:
Bénin, République centrafricaine, Lesotho, Malawi, Mali,
Namibie, Niger, Afrique du Sud, Tanzanie, Zambie.

- Neuf pays européens:
Bulgarie, Croatie, Estonie, Lituanie, Lettonie, Malte,
Serbie-Montenegro, Slovaquie, Slovénie.

- Quatorze pays américains:
Antigua, Barbade, Belize, Brésil, Colombie, Costa Rica,
Dominique, Equateur, Paraguay, Pérou, St Vincent et Grenadines,
Trinidad et Tobago, Uruguay, Venezuela.

- Deux pays de la région Asie/Pacifique:
Fidji, Samoa.

Consulter le texte du statut de Rome de la CPI (au format PDF)



par Georges  Abou

Article publié le 02/07/2003