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Mexique

La population dit non à la violence

Une vue de Mexico. La délinquance est le problème numéro un de cette mégapole de 20 millions d’habitants. 

		(Photo : AFP)
Une vue de Mexico. La délinquance est le problème numéro un de cette mégapole de 20 millions d’habitants.
(Photo : AFP)
«Sauvons Mexico», c’est le mot d’ordre lancé par 80 associations civiles pour convoquer, ce dimanche 27 juin, les Mexicains à une grande marche contre l’insécurité. La délinquance est le problème numéro un de cette mégapole de 20 millions d’habitants, un motif d’angoisse pour la population qui ne croit plus dans la police, dans la justice ni dans les hommes politiques qui les représentent.

De notre correspondant à Mexico

Les Mexicains en ont assez et veulent montrer leur mécontentement. Ils devraient être des milliers à descendre dans la rue pour conspuer les politiciens qui leur avaient promis de faire de la lutte contre la délinquance leur priorité. Lors de cette marche, les Mexicains veulent renvoyer dos à dos les deux responsables les plus importants de la vie politique mexicaine : le président Vicente Fox et le maire de la capitale, Andres Manuel Lopez Obrador. L’un appartient au PAN, la droite conservatrice, l’autre au PRD, de centre gauche. En trois ans de pouvoir, (ils ont été élus lors des mêmes élections de juillet 2000), ces deux politiciens ont montré leur incapacité à travailler ensemble pour engager une lutte frontale contre l’insécurité.

Depuis, les Mexicains assistent, impuissants, à une bataille de chiffonniers que se livrent les deux hommes, mais la grande réforme de la sécurité publique et du système judiciaire est en panne, le nettoyage de la police que l’on sait responsable de la plupart des délits est en cours mais aucune mesure drastique n’a véritablement été prise. Le crime organisé, la violence, l’incompétence et la corruption des institutions ont donc libre cours. Toutes les enquêtes démontrent une grande inquiétude de la population face à l’incapacité de la classe politique à combattre l’impunité.

La phobie de l’enlèvement

La délinquance est importante à Mexico mais il s’agit d’un phénomène identique à celui qui touche la plupart des mégapoles du monde. «Statistiquement» cette ville n’est pas plus dangereuse que Washington, Tokyo ou Le Caire. Cependant, il existe un délit spécifique, typiquement latino-américain : l’enlèvement. Il inquiète l’ensemble de la population parce qu’il touche toute les classes sociales : il se termine parfois en tragédie comme celle de ces deux frères assassinés dont la découverte des corps dans un terrain vague a révolté l’opinion publique.

Il y a  deux sortes de kidnappings : l’habituel qui touche les plus riches, une opération minutieusement montée pour réclamer une importante rançon. L’autre, qui est en vogue, est l’enlèvement express. Il s’agit d’enlever quelqu’un dans la rue, devant un distributeur de billets ou dans un taxi complice : la famille doit alors verser une rançon de 1 000 à 10 000 euros si elle veut revoir la personne enlevée. La somme est suffisamment raisonnable pour que tout se fasse très vite, sans que la police ait le temps d’intervenir. Une opération plus facile et moins dangereuse que d’attaquer une banque qui possède des systèmes d’alarme et des gardes de sécurité. Rafael Macedo de la Concha, le Procureur Général, estime qu’il y en a 1 500 par an dont seulement un tiers sont dénoncés. Ces enlèvements express sont l’exacte réponse à l’absence de l’Etat de droit et c’est le thème qui motive la manifestation de dimanche. La majorité des victimes ne se risque pas à dénoncer les délits considérant que c’est une perte de temps.

L’absence d’un Etat de droit

Malgré tous les discours officiels dans les forums internationaux sur le rétablissement de l’Etat de droit et la nouvelle démocratie, la justice mexicaine reste incroyablement pourrie, soit parce que ses membres sont corrompus, soit parce qu’elle est utilisée par le pouvoir politique qui s’en sert ouvertement. L’absence de justice est devenu un véritable business pour de nombreux cabinets d’avocats spécialisés, qui utilisent leurs réseaux d’influences politiques, moyennant des honoraires exorbitants que ne peuvent payer que les gens très riches : dès que l’on a l’ombre d’un pouvoir ou un peu d’argent, il est toujours facile de s’arranger avec le juge ou le policier. On voit même fleurir des sociétés de «négociations» avec les ravisseurs qui se targuent, moyennant un pourcentage important de la rançon, de faire mieux que la police.

Cette manifestation populaire est donc la dénonciation de cette impunité, produit direct de l’inefficacité politique. Son organisation a failli tourner à l’échec. En effet, les initiateurs du mouvement appartiennent à l’extrême droite. Tout laisse penser qu’il s’agissait au départ d’une manifestation contre M. Lopez Obrador, le maire de Mexico. Celui-ci est du reste immédiatement monté au créneau pour dénoncer un nouveau complot contre l’action de son gouvernement. L’affaire a fait grand bruit, les principaux journaux internationaux ont parlé de la politisation à l’extrême de la lutte contre la délinquance au Mexique, soulignant tous les profondes failles de la justice. Devant le mécontentement populaire, aucun parti, pas même celui du gouvernement, ne se sent une autorité morale pour rejeter la faute sur son adversaire politique. Tout est rentré dans l’ordre, 80 associations civiles ont rejoint le mouvement demandant sa dépolitisation. Elles appellent les citoyens à descendre dans la rue ce dimanche pour exiger une action coordonnée contre la délinquance.

par Patrice  Gouy

Article publié le 26/06/2004 Dernière mise à jour le 26/06/2004 à 14:48 TU