Soudan
Ballet diplomatique au Darfour
(Photo : AFP)
Après le Rwanda de 1994 et le retrait prématuré des casques bleus dont il avait la charge, Kofi Annan ne veut plus se laisser prendre en défaut d’assistance à personnes en danger de génocide. Washington non plus, à quelque mois d’une présidentielle sur laquelle pèse déjà le fardeau irakien. Il n’est pas sûr toutefois que qualifier ou non de génocide la chasse donnée aux populations du Darfour par les troupes gouvernementales et les miliciens modifie en quoi que ce soit leur sort funeste de déplacés ou de réfugiés affamés. L’Onu décrit déjà la situation comme la pire qui soit au monde. Et la saison des pluies qui approche menace de contrarier l’acheminement des secours internationaux auxquels le président Al-Béchir vient de donner son feu vert après de nouvelles sommations de Washington. Cette fois Khartoum n’invoque plus l’état de guerre «légitime» avec les deux rébellions du Darfour. Mais celles-ci n’ont pas encore désarmé et la flambée diplomatique et médiatique actuelle joue plutôt en leur faveur.
Les juristes ne voient pas de génocide
En route pour l’Indonésie, le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell a fait escale mercredi à Khartoum pour menacer le gouvernement soudanais d’une intervention internationale s’il ne mettait pas fin aux exactions des milices arabes janjawid qu’il entretient et aux obstacles qu’il pose à l'aide humanitaire. Le secrétaire d’Etat américain estime avoir obtenu gain de cause auprès de son homologue soudanais, Moustafa Osman Ismaïl. Ce dernier fait d’ailleurs d’autant moins de difficultés à déclarer les Janjawid «hors-la-loi» que Khartoum n’a jamais admis être le commanditaire de la destruction des villages negro-africains du Darfour qu’ils ont presque tous réussi à raser complètement. Fort de ces promesses officielles déjà formulées la semaine précédente, mais aussi sans doute moyennant un marchandage officieux, Washington s’est contenté le 30 juin d’exiger un embargo international sur les armes et d’une interdiction de voyage frappant spécifiquement les milices. Le gouvernement soudanais échappe ainsi aux sanctions et au discrédit qui les aurait accompagnées. Quant à la qualification de génocide circulant à propos des événements du Darfour, Colin Powell a demandé «l’avis de [ses] juristes».
«Sur la base de ce que nous voyons, il y a des indicateurs mais certainement pas tous les indicateurs d'une définition légale du génocide conforme aux traités sur ce sujet», conclut-il. Mais le département d’Etat n’en ménage pas moins ses arrières vis-à-vis d’un Soudan certes pétrolier mais source possible d’incommodantes images sanglantes pendant le scrutin présidentiel. Ce 30 juin, un nouveau communiqué annonce que «le gouvernement américain a reçu des informations sur des menaces terroristes visant des intérêts américains et occidentaux au Soudan». «Bien que les deux parties impliquées dans le plus long conflit civil (en Afrique) négocient un accord de paix pour mettre fin à la guerre, voyager dans le Sud est encore dangereux», prévient le département d'Etat américain, qui met aussi bien évidemment les voyageurs en garde contre l’insécurité qui règne au Darfour. De fait, l’avertissement s’adresse aussi bien à Khartoum, pressé de normaliser ses relations avec Washington.
«Nous combattrons toute milice et les janjawid afin d'assurer la protection des civils», assure le chef de la diplomatie soudanaise qui promet aussi d’ouvrir des négociations avec les deux rébellions armées. Celles-ci ont lancé l’offensive en février 2003, se réclamant des populations negro-africaines du Darfour maltraitées par Khartoum selon elles. Mais la concordance des temps avec la finalisation de l’accord entre le gouvernement et sa rébellion sudiste suggère d’autres motivations à l’heure du partage des richesses entre anciens belligérants d’une guerre de vingt ans. En tout cas, les affrontements dans le Darfour auraient déjà fait au moins 10 000 morts et plus d’un million d’habitants se déclarent aujourd’hui encore découragés de revenir dans leurs villages brûlés et pillés avant, pendant et après le cessez-le-feu signé le 8 avril dernier. Mais de nouvelles négociations sont prévues ce 2 juillet à Ndjamena, au Tchad où Kofi Annan devait s’envoler après sa tournée des camps de réfugiés du Darfour et une rencontre vendredi avec le président Al-Béchir
Menaces sur la Centrafrique
250.000 déplacés sont regroupés dans 15 camps dans la région du Darfour-Nord visitée par Kofi Annan le 1er juillet. La veille il avait reçu de nouvelles promesses de coopération du vice-président soudanais Ali Osmane Mohamed Taha et du ministre des Affaires humanitaires, Ibrahim Mahmoud Hamed. De concert avec Colin Powell, Kofi Annan avait lui-aussi menacé Khartoum, déclarant que «si le gouvernement soudanais n'est pas capable de protéger ses citoyens ou refuse de le faire, la communauté internationale doit agir». Dans son rapport du 30 juin sur la Centrafrique, il avait également mis en avant les menaces de métastases du conflit du Darfour déjà exporté au Tchad. «La persistance de cette crise poussera inexorablement vers la République centrafricaine nombre de réfugiés soudanais installés dans des camps aménagés à moins de 50 kilomètres de la frontière tchado centrafricaine», note Kofi Annan, estimant q’un «tel scénario aurait de fâcheuses répercussions sur la vie des populations centrafricaines déjà éprouvées par des tensions politiques internes et une situation socioéconomique nationale précaire».
Kofi Annan s’est assis sous un arbre poussiéreux du camp de Zamzam, près d’Al-Facher, pour palabrer avec des déplacés en détresse qui se plaignent du manque de vivres, de soins, mais aussi d’écoles et surtout de sécurité. A défaut de lui expliquer le mobile et le moteur de l’épuration ethnique effective dans le Darfour, le gouverneur de la province lui a répété que «le gouvernement n'a pas utilisé les Janjawid, ne combat pas à leurs côtés et n'a rien à voir avec eux». «Nous nous préparons à les pourchasser», a-t-il juré une fois de plus. Pendant ce temps, à Khartoum, un émissaire de Tripoli, le général Abou Bakr Younès, membre de la direction libyenne participait aux célébrations du quinzième anniversaire du coup d'Etat qui a porté le général Al-Béchir au pouvoir, l’occasion d’offrir au président soudanais l’aide libyenne «pour résoudre la crise au Darfour».
La mission de bons offices libyens est soutenue par Washington, comme l’a indiqué la semaine dernière la conseillère à la sécurité du président américain George Bush, Condoleezza Rice. «Nous travaillons avec d'autres, avec les Libyens, pour essayer d'ouvrir une troisième route pour faire entrer des approvisionnements au Darfour», avait-elle expliqué tandis qu’en visite à Tripoli, le secrétaire d’Etat adjoint William Burns saluait «les efforts libyens concernant la situation tragique dans la région soudanaise du Darfour». Une avancée peut-être sur la voie rocailleuse du Grand Moyen-Orient manière américaine.
De son côté, la diplomatie française avait dépêché son secrétaire d'Etat, Renaud Muselier, au Darfour, du 20 au 23 juin. Un entretien avec le président Al-Béchir lui avait aussi permis de recueillir les premières promesses présidentielles de désarmement des milices. Après Khartoum, Renaud Muselier s'est rendu à Kurmuk, au Sud-Soudan où il a été reçu par John Garang, président du Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS). «L'entretien a porté sur le processus de paix entre Khartoum et la rébellion sudiste, dont la conclusion paraît proche», explique Paris qui refuse en revanche de confirmer ou d’infirmer l’annonce d’une rencontre entre belligérants du Darfour dans la capitale française.
par Monique Mas
Article publié le 01/07/2004 Dernière mise à jour le 12/07/2004 à 16:11 TU