Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Soudan

La transition sur les rails

Carte de Soudan. Les trois zones Abyei, les Monts Nouba, et le Nil Bleu méridional font partie du Nord mais se sont ancrées au Sud. 

		(Carte : Nathalie Guillemot/RFI)
Carte de Soudan. Les trois zones Abyei, les Monts Nouba, et le Nil Bleu méridional font partie du Nord mais se sont ancrées au Sud.
(Carte : Nathalie Guillemot/RFI)
Le gouvernement soudanais et la SPLA ont signé cette nuit à Naïvasha au Kenya trois protocoles qui viennent fixer les derniers détails de la transition à l’issue de laquelle le Sud dira s’il veut ou non son indépendance. Cette signature est la dernière marche avant un accord de paix. Pour que les armes se taisent, il faudra cependant encore convaincre les oubliés de cet accord, et faire taire les divisions qui déchirent le Sud.

Les trois protocoles qui viennent d’être signés ne sont pas encore l’accord de paix qui lancera la transition. Avant de signer cet accord, les deux parties doivent encore travailler à la façon dont elles mettront en oeuvre les 6 textes signés depuis 2002, et discuter d’un nouveau cessez-le-feu. Mais sur le papier tout est maintenant prêt pour mettre en route cette périodede six ans et demi : institutions, partage du pouvoir, statut des régions contestées, statut de la capitale. Les accords signés hier apportent les derniers détails sur le contenu de la transition.

Autant dire que cette signature est historique, et elle l’est à double titre. D’abord parce qu’au travers de ces protocoles (les 3 signés mercredi soir et les précédents) c’est la première fois qu’on pose de véritables fondements pour mettre fin à la guerre qui a resurgi en 1983, et cela même si de nombreuses inconnues demeurent. Ensuite parce que depuis l’indépendance, ça n’est que la deuxième fois que sont signés des textes mettant en place une véritable solution pour le Sud. Pour retrouver l’équivalent de ce qui vient d’être paraphé, il faut remonter aux accords d’Addis Abeba en 1972.

Huit ans de blocage

En 1994, l’IGAD, l’organisation qui parraine ces pourparlers, avait réussi à obtenir des deux parties une déclaration de principe, sans pour autant réussir à aller plus loin. Les négociations ont longtemps marqué le pas. En raison de désaccords, mais aussi parce que Khartoum a essayé à l’époque de marginaliser la SPLA en jouant la carte d’autres mouvements rebelles.

Il faut attendre 2002 pour assister à la relance, par l’IGAD, de ce processus. Les discussions reprennent à Machakos au Kenya sous la houlette du nouvel envoyé spécial de l’IGAD, le général kenyan Lazaro Sumbeiywo, et cet homme va être le véritable artisan de la réussite des négociations.

Plutôt que de rechercher tout de suite un compromis général, les médiateurs vont procéder par étapes, par marches successives qui doivent, au bout du compte conduire à un accord de paix général entre Khartoum et la SPLA.

Rappel des étapes successives:

- 20 juillet 2002 / Le protocole de Machakos. Ce protocole plante le cadre général des négociations: la SPLA voit confirmer, noir sur blanc, le droit à l’autodétermination du Sud, il y aura un référendum après 6 ans et demi d’une période de transition. Le gouvernement soudanais, lui, obtient de pouvoir conserver la charia au Nord.

- 25 septembre 2003 / Les questions de sécurité. C’est la deuxième étape de ce processus. Dans la ville de Naïvasha, le chef de la SPLA John Garang et le vice-président soudanais Ali Osman Taha négocient en face à face, directement, un accord sur les questions de sécurité pendant la période de transition.

- 7 janvier 2004/ Le partage des ressources. Un peu plus de trois mois plus tard, la SPLA et le gouvernement soudanais signent un accord sur le partage des ressources. La principale disposition de cet accord est le partage des revenus du pétrole tirés des puits du Sud à 50-50 entre le gouvernement national et celui du sud, après qu’on ait donné 2% des revenus à l’Etat où le pétrole a été produit.

Depuis, les négociations se sont consacrées à la question de trois zones contestées: Abyei, les monts Nouba, et le Nil Bleu méridional, ainsi qu’à la question du partage du pouvoir. Ces trois régions posent problème parce qu’en théorie, elles font partie du Nord, si on s’en tient à la frontière qui a été choisie comme référence pour les négociations, celle de 1956. Mais toutes les trois, pour des raisons plus ou moins différentes, se sont ancrées au Sud, et ont choisi la SPLA comme avocat.

Les trois protocoles qui viennent d’être signés règlent le statut de ces trois régions et la question du partage du pouvoir.

Des inconnues pour la paix

L’espoir généré par cette signature est immense, mais pour autant, la paix au Sud-Soudan ne sera pas automatique. Elle dépendra d’abord de la bonne volonté de Khartoum et de la SPLA dans la mise en œuvre de ces 6 protocoles. Les discussions à venir sur les modalités d’application de ces textes seront une bonne indication.

Mais la paix dépendra aussi de la capacité du gouvernement et de la SPLA à rassembler les autres parties en présence autour de cet accord. Ces négociations ont été un tête-à-tête entre Khartoum et la SPLA: comment les autres groupes armés du Sud-Soudan vont-ils réagir? Dans un rapport récent, l’Institute for security studies marque son inquiétude par rapport aux milices regroupées au sein du SSDF, le South Sudan Defence Force, soutenues par le gouvernement de Khartoum. «Dans le long terme, explique le texte, les divisions entre le SSDF et la SPLA/M, qui recoupe dans une certaine mesure des différences tribales et politiques menacent la sécurité au Sud, et du coup la viabilité et la légitimité du processus de paix».

Autre point d’interrogation: la SPLA saura-t-elle rester unie pour gérer la future période de transition? Les questions ethniques vont-elles refaire surface en temps de paix? Quelle sera l’attitude du dirigeant Dok-Nuer Riek Machar qui a successivement été allié aux rebelles, puis au gouvernement avant de revenir au sein de la SPLA? «Il faudra voir également comment les populations des trois régions contestées accueillent le texte de l’accord qui les concerne, explique un spécialiste du dossier. Car dans ce type de négociations donnant-donnant, on ne peut pas avoir tout ce que l’on voulait au départ.» Pour obtenir, la paix, le Sud Soudan devra aussi réussir le désarmement de ses combattants dans les années à venir: «Après 21 ans de conflit, explique ce spécialiste, vous avez des personnes qui sont nées avec la guerre, qui ont grandi avec une arme, qui ont pris l’habitude de l’utiliser pour obtenir ce qu’elles veulent. Il faudra des financements importants pour un désarmement efficace.»

Les protocoles qui viennent d’être signés sont l’aboutissement de très longues négociations, ponctuées par de nombreux effets d’annonce. Le chantier de la paix, lui, est loin d’être terminé.



par Laurent  Correau

Article publié le 27/05/2004 Dernière mise à jour le 27/05/2004 à 13:28 TU