Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Soudan

Accord nord-sud sur le partage des richesses

Dans un document de 24 pages signé le 7 janvier, à Naivasha (Kenya), le régime islamique du président Omar El-Béchir et la rébellion sudiste de l’Armée de libération du Soudan (SPLA) de John Garang se sont engagés sur un partage des richesses économiques entre le futur gouvernement «national» et le gouvernement autonome du Sud dont les deux parties ont déjà convenu en 2002 qu’ils administreraient les régions nord et sud délimitées selon la cartographie britannique de 1956. Le texte de l’accord prévoit en particulier une répartition à 50-50 des revenus pétroliers des puits du Sud qui concentrent actuellement l’essentiel de la production d’or noir. Les ex-belligérants doivent maintenant s’entendre sur le partage du pouvoir dans le cadre d’un gouvernement de transition et sur le découpage administratif de trois régions litigieuse au centre du pays. Ils se sont promis un accord de paix global d’ici fin janvier. Restera à ramener la paix dans le Darfour (à l’Ouest) dont un important chef de guerre aurait été tué lundi selon Khartoum.
C’est une guerre du pétrole qui a démarré en 1983 avec le soulèvement armé du Sud, animiste et chrétien, contre le régime militaire islamique du Nord. Trois ans plus tôt, la première découverte d’or noir par la compagnie américaine Chevron avait lancé l’épreuve de force pour le contrôle des champs pétroliers et de leurs populations. En vingt ans, le conflit a tué près de deux millions de civils, essentiellement en provoquant la famine. La guerre a aussi produit quatre millions de déplacés et tout particulièrement dévasté le Sud qui recèle les principaux gisements d’or noir. Nerf de la guerre, le pétrole est aussi le pilier du développement et du pouvoir que les anciens belligérants ont convenu de partager pour une période transitoire de six ans, lorsqu’ils ont signé l’accord de cessations des hostilités de Machakos (Kenya), en octobre 2002. Mercredi, à Naivasha, ils se sont finalement entendus sur la gestion du pactole pétrolier, sur une nouvelle formule d’autorité monétaire et sur la reconstruction des régions affectées par la guerre. Ils ont en particulier décidé que «les revenus pétroliers provenant des puits du Sud seront partagés à 50-50» entre Khartoum et le futur gouvernement autonome sudiste, après reversement de 2% à l’Etat fédéré (le Soudan en compte 26) où sera extrait le pétrole.

Les deux parties prévoient également la création d’une commission conjointe chargée notamment de négocier les contrats d’exploitation pétroliers et de veiller à ce que les populations du Sud puissent bénéficier des retombées pétrolières. Une autre commission ad hoc devra vérifier que la moitié des recettes fiscales prélevées au Sud par Khartoum alimentera désormais le trésor public du gouvernement autonome. De leur côté, des commissions foncières s’efforceront de régler les litiges portant sur la propriété ou l’usage des terres au Sud, éventuellement par des compensations financières. L’objectif étant que le Sud rattrape le Nord en terme de développement, des fonds spéciaux lui seront alloués ainsi qu’à d’autres régions tout aussi ravagées par la guerre. Par ailleurs, l’accord garantit la «libre circulation des biens, des services, du capital et du travail» et organise un double système bancaire rattaché à la Banque centrale pour prendre en compte la spécificité islamique du Nord qui interdit l’usure (la pratique des intérêts financiers). Enfin, une monnaie aux couleurs de la diversité culturelle soudanaise est également prévue.

"Haute priorité"

Les anciens belligérants affichent un optimisme partagé. Le vice-président soudanais Ali Osman Mohamed Taha estime que l’accord marque «la fin d'un long épisode de guerre et confirment la volonté mutuelle de poursuivre le processus» de paix. Le chef historique de la rébellion sudiste, John Garang, répète en écho qu’il «nous rapproche d'une paix juste et durable pour notre pays». De fait, depuis 1994 les négociations piétinaient, sous l’égide de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), qui regroupe sept pays de la région. Il aura fallu attendre 2002 et le rebondissement de Machakos pour voir se dessiner un plan de paix global. Déjà, le 25 septembre dernier à Naivasha, les deux parties s’étaient accordées sur les questions de sécurité en programmant un retrait des forces gouvernementales du Sud parallèlement au déploiement d’un petit contingent de la SPLA à Khartoum, pour protéger les futurs dignitaires sudistes. Des unités militaires conjointes doivent également assurer la sécurité des régions du Nil bleu méridional et des Monts Nouba.

Le partage des ressources économiques constituaient un cap important qui vient d’être franchi. Reste le partage du pouvoir dans la transition au terme de laquelle les Sudistes pourront demander un référendum d’autodétermination. Pour sa part, John Garang se déclare désormais plutôt favorable à un Soudan uni. Il n’empêche que c’est justement essentiellement sur des questions de souveraineté territoriale que les deux parties buttent encore. Le chef sudiste briguait une présidence tournante (entre lui et Omar Al-Béchir) pendant la transition. Il devra se contenter d’une vice-présidence dont le tenant du titre, Ali Osman Mohamed Taha, glissera vraisemblablement vers la Primature. La position géosymbolique de Khartoum est également un enjeu, le chef sudiste réclamant qu’elle échappe à la loi islamique imposée par le régime Al-Béchir qui revendique la souveraineté dans la capitale fédérale située au Nord. Le marchandage s’annonce tout aussi serré concernant l’administration des trois régions centrales et négro-africaines d’Abeyi, du Nil bleu méridional et des monts Nouba, revendiquées par les deux camps.

Les partenaires soudanais de Naivasha ont promis à l’administration Bush de finaliser leur accord d’ici fin janvier. Une «haute priorité», selon Washington et les compagnies pétrolières occidentales qui se poussent déjà du coude pour se redéployer au Soudan où leurs pairs chinois en particulier leur ont damé le pion ces dernières années. Pendant ce temps, la guerre continue dans les trois Etats du Darfour frontaliers du Tchad où un Mouvement pour la libération du Soudan (MLS) a ouvert les hostilités en mars 2003 pour dénoncer eux aussi la sinistre condition des populations locales. Selon l’Onu, ce conflit a déjà fait 3 000 morts, surtout parmi les civils, et déplacé «600 000 personnes sur un total de un million d’habitants qui ont dû abandonner leurs villages». Une médiation est en cours, avec l’entremise du Tchad.

«Ils feront une erreur s’ils croient qu’en signant cet accord, tout sera réglé», déclarait un porte-parole du MLS mercredi, à propos du round économique de Naivasha. Parallèlement, Khartoum expliquait le renforcement de sa présence militaire dans le Darfour par ses efforts pour sécuriser la livraison d’aide humanitaire dans la région. Le pouvoir El-Béchir annonce aujourd’hui que le commandant de la branche armée du MLS, Abdallah Abbaker, a été tué lundi en même temps qu’un nombre indéterminé de ses compagnons d’arme dans une bataille avec les forces gouvernementales. Ces dernières assurent qu’elles contrôlent «totalement» la situation dans le Darfour. Khartoum ajoute que, dans cette région excentrée comme dans le reste de l’immensité soudanaise, «les problèmes de sécurité seront résolus dans les prochains jours et une paix durable conclue». Reste qu’en faisant exclusivement part à deux, Khartoum et la SPLA suscitent aussi des grincements de dents politico-militaires au Soudan.



par Monique  Mas

Article publié le 08/01/2004