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Soudan

L’islamiste Hassan al-Tourabi libéré

L’ancienne éminence grise du régime soudanais a été libérée lundi après plus de deux années et demi passées en détention dans une résidence du gouvernement. Hassan al-Tourabi a été accueilli dans la liesse par les militants de son parti, le Congrès national populaire, dont les activités ont été réautorisées le même jour. Sa libération, estiment de nombreux observateurs, s’apparente plus à un gage à la communauté internationale de la volonté d’ouverture du régime de Khartoum qu’à une réponse aux demandes pressantes de l’opposition.
Paradoxalement et alors qu’il a longtemps été et demeure sans doute encore la bête noire de l’administration américaine, l’ancien idéologue du régime islamiste de Khartoum, Hassan al-Tourabi, doit sans doute sa libération aux pressions de Washington sur le gouvernement d’Omar al-Béchir. Dans le cadre des négociations intersoudanaises qui se tiennent depuis plusieurs mois au Kenya dans le but de mettre fin à une guerre civile qui en 20 ans a déjà coûté la vie à quelque deux millions de personnes, les autorités de Khartoum se sont en effet engagées en août dernier à libérer tous les prisonniers politiques du pays. La levée de l’assignation à résidence du plus populaire d’entre eux obéit donc bien à la volonté du gouvernement soudanais de convaincre Washington de ses bonnes intentions. D’autant plus que cette libération s’accompagne de la levée de l’interdiction des activités du Congrès national populaire, interdit depuis l’arrestation en février 2001 de son leader. Le journal du parti a également été autorisé à paraître de nouveau.

Drapé dans sa dignité d’opposant au régime, alors qu’il avait lui-même aidé le général al-Béchir à renverser le régime en place en 1989, Hassan al-Tourabi, qui a été acclamé par ses partisans, s’est très vite lancé dans une diatribe contre le pouvoir. «Cette décision de me libérer n’obéit pas à une logique mais à des pressions», a-t-il déclaré depuis son domicile. Selon lui en effet, des pressions ont été exercées sur le gouvernement par la communauté internationale du fait de la situation dans le Sud et dans l’Ouest qui «ont affaibli le pouvoir en place». Dans une menace à peine voilée à son ancien compagnon de route Omar al-Béchir, l’opposant âgé aujourd’hui de 71 ans a déclaré vouloir continuer à travailler pour les mêmes principes que ce pour lesquels il avait été arrêté: «la démocratie, la liberté d’expression et les droits de l’homme». Des propos qui laissent dubitatif lorsque l’on se souvient que l’homme avait tenté de mettre en place une internationale islamiste depuis Khartoum et avait même offert l’asile à Oussama Ben Laden au début des années 90 lorsque ce dernier avait été déchu de sa nationalité saoudienne.

Crime d’Etat

Avant d’être écarté du pouvoir, Hassan al-Tourabi a, dix ans durant, été l’éminence grise du régime du général Omar al-Bachir qu’il a aidé à s’emparer du pouvoir. Il a par la suite joué un rôle de premier plan au sein du gouvernement islamique mis sur pied après le coup d’Etat de 1989 et fruit d’une alliance stratégique entre l’armée et les islamistes. Mais très vite la rivalité croissante entre les deux hommes pour le contrôle du pays mettra fin à cette association de circonstance. Président du parlement, Hassan al-Tourabi tentera en effet de réduire les pouvoirs du général-président. La réponse d’Omar al-Béchir à ce coup de force ne se fait pas attendre. Il dissout le 12 décembre 1999 le parlement, accusant son ancien allié devenu rival de diriger une administration parallèle. Il déclare également l’Etat d’urgence.

Mais la rupture sera définitivement consommée lorsque le parti du leader islamiste signera un mémorandum d’entente avec les rebelles sudistes de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) de John Garang, en lutte depuis 1983 pour obtenir une plus grand autonomie du sud du pays, essentiellement chrétien et animiste. Cet accord, signé à l’initiative de l’homme qui désormais se présentera comme «un fervent défenseur de la démocratie», appelait à «la résistance pacifique et populaire pour amener le régime de Khartoum à abandonner sa politique totalitaire». Accusé de «tentative de sédition» Hassan al-Tourabi sera arrêté en février 2001 pour crime contre l’Etat et incarcéré dans un centre de détention avant d’être transféré dans une maison appartenant au gouvernement où il sera maintenu sous une stricte surveillance.

Ecarté du pouvoir pour avoir tendu la main aux rebelles sudistes, l’ancien maître à penser du régime de Khartoum voit aujourd’hui, ironie du sort, «sa faute» reproduite par le gouvernement même d’Omar al-Béchir. Soumises à des pressions internationales et notamment américaines, les autorités soudanaises ont signé en 2002 au Kenya un protocole d’accord pour la paix à venir, établissant notamment une période de transition de six ans, suivie d’un référendum d’autodétermination chargé de décider du sort des populations du Sud. Les négociations de paix ont certes franchi une étape décisive fin septembre avec la signature d’un accord sécuritaire. Mais le chemin est encore long avant de parvenir à un accord complet même si Omar al-Bachir affirme pouvoir signer un tel document avant la fin de l’année. De nombreuses questions épineuses restent en effet à régler comme notamment le partage des ressources pétrolières, celui du pouvoir ou encore le statut de trois régions contestées, situées géographiquement au Nord mais qui réclament leur rattachement au Sud.

Dans ce contexte, la libération de Hassan al-Tourabi, dont le parti a d’ores et déjà violemment critiqué l’accord sécuritaire signé en septembre, risque d’être une gêne pour le pouvoir. Après plus de deux ans et demi de silence, le vieil opposant, qui continue à avoir une audience importante au sein de la population, compte bien rattraper le temps perdu.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 14/10/2003