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Soudan

Les absents de Naïvasha

Carte du Soudan. 

		Carte: Marc Verney/RFI
Carte du Soudan.
Carte: Marc Verney/RFI
Les accords de paix sur le point d’être conclus à Naïvasha entre le Nord et le Sud ouvriront une période de transition tumultueuse. Seules deux signatures vont orner le document qui met fin à 20 ans de guerre.
Réfugiés du Darfour. 

		(Photo: AFP)
Réfugiés du Darfour.
(Photo: AFP)

Il y a des absents à Naïvasha. Et ils sont nombreux. Pour la liste des absents, il suffit dans un premier temps de se référer à une autre liste: celle des conflits en cours sur le territoire soudanais. Au Nord-Est, à la frontière érythréenne, les Béja (Congrès Beja) divisés entre les pro-gouvernementaux et les adhérents de l’opposition, l’Alliance démocratique nationale (ADN). Au Nord-Ouest, le Darfour, où l’Armée de libération du Soudan (ALS) et le Mouvement pour l’équité et la justice (JEM) se sont rebellés contre le pouvoir central. A l’Est, dans le Haut-Nil, des membres du Mouvement pour la libération des peuples du Soudan-unifié (SPLM-U) affrontent d’autres membres, aujourd’hui soutenus par le gouvernement. Un peu plus au Sud, vers l’Ethiopie, les Anuak des deux côtés de la frontière bataillent. Les tribus Dinka du Centre viennent tout juste de se calmer après une série de razzia. Dans la partie méridionale, les illuminés de l’Armée de résistance de dieu (LRA) massacrent la population ougandaise en prenant pied dans l’Etat de l’Equatoria.

Certes, le Soudan n’est pas le seul pays du monde aux prises avec plusieurs fronts. Néanmoins, cet éclatement met en lumière la complexité du problème soudanais en renvoyant à son espace géographique et son histoire. En outre, il rappelle que les conflits religieux, sociaux, économiques et politiques dont on affublait la seule opposition Nord -Sud, depuis l’indépendance en 1956 (avec un intermède pacifique de dix ans, entre 1972 et 1983), sont inhérents à la société, et à la gestion des pouvoirs au sein du plus vaste pays du continent africain, où vivent quelques 600 communautés différentes, dont 200 dans le Sud.

Le Premier ministre Mohamed Taha, surnommé «Barre de fer»

Lorsqu’en janvier 2002, les stratèges de la paix voient, dans l’accord sur l’accès aux régions centrales des Monts Nuba, isolées depuis bientôt 10 ans, une ouverture pour des négociations plus larges, ils s’engouffrent dans la brèche. Lutte anti-terrorisme oblige, les Américains mènent la danse et mettent au point rapidement un projet de négociations entre le Nord et le Sud en juillet. Derrière ces mots «Nord» et «Sud», ils n’identifient alors que deux entités: le gouvernement de Khartoum, représenté après quelques séances préliminaires par le Premier ministre Mohamed Taha (surnommé dans le passé «Barre de fer» pour avoir mené une campagne de répression contre des étudiants nordistes), et le Mouvement de libération des peuples soudanais, incarné par John Garang, vaguement socialiste à ses débuts, et qui s’est taillé une réputation d’autocrate au fil des années, emprisonnant et éliminant physiquement ses opposants. Deux «gentlemen» qui attendent des «autres» qu’ils se rallient.

Tous les partis et mouvements d’opposition du Nord sont écartés des négociations qui débutent au mois d’août 2002, sous l’égide de l’Autorité intergouvernementale de développement (IGAD). L’Alliance Démocratique Nationale, l’unique pont entre Sudiste et Nordiste, qui regroupe six partis et mouvements (aujourd’hui 5), proteste du bout des lèvres: le SPLM étant l’un de ses membres, elle se contentera de cette participation pour ne pas gâter le processus. Paradoxalement, Khartoum a plus d’alliés sudistes quand elle arrive au Kenya. En effet, dans les premières années de la rébellion (1983), John Garang et ses commandants se sont distingués par leurs violences à l’égard des populations locales du Sud, qui ne sont pas de son ethnie Dinka, voire de son clan.

En 1995, Garang fait face à 17 fronts intérieurs

Des groupes armés surgissent: forces Dinka du Bahr-El-Ghazal, Mundari, Didinga, milices Murle et Fertit. En août 1991, l’Armée de libération du peuple soudanais (SPLA) éclate. Riek Machar, Lam Akol, Gordon Chol quittent les rangs et forment le Mouvement pour l’indépendance du Sud Soudan (SSIM). Une série de massacres en territoire Nuer consomme la rupture. Un an plus tard, William Nyuong, l’un des piliers du SPLM/A prend le maquis. En 1995, Riek Machar prend la tête du SSIM et Lam Akol, du SPLM-unifié. L’Equatoria Defence Force émerge. Elle formera les troupes de la Lord Resistance Army (l’Armée de résistance du Seigneur), active des deux côtés de la frontière avec l’Ouganda. A cette époque, John Garang aura à faire à quelque 17 fronts intérieurs.

Les Nordistes ne ratent pas l’occasion: ils viendront soutenir militairement et financièrement tous les dissidents sudistes, intègreront les commandants dans l’armée gouvernementale, et nommeront des ministres sudistes, après un accord signé en 1997 avec l’organisation-ombrelle, les Forces de défense du Sud Soudan (SSDF). Les divisions continuent à l’intérieur du SSIM. Certains commandants -qui ont l’allure de bandits de grand chemin-, font l’aller-retour entre le Nord et le Sud. Finalement, Riek Machar, déçu de Khartoum, rejoint le SPLM en 1999, en laissant son organisation éclatée en huit factions, prêtes à faire du zèle quand l’armée vient à la rescoussede l’une ou de l’autre pour nettoyer le terrain des exploitations pétrolières -c’est ce qui se passera en parallèle aux discussions kenyanes. Lam Akol l’imite en octobre 2003. Sa défection fait des dégâts sur le terrain, entre chefs militaires, dans le Haut Nil.

Ici, on attend la paix avec le Sud et la fin de la guerre au Darfour

Le SSDF, qui contrôle une grande partie du Sud Soudan et assure la sécurité des villes occupées par l’armée de Khartoum, a très tôt manifesté son intérêt pour les négociations de l’IGAD. Il est vrai que son influence n’est pas négligeable. De plus, il possède une «identité» de revendications politiques grâce aux Nordistes. Non sans arrière-pensée, le SPLM a fait bon accueil à sa demande de participation aux séances en avril 2003, mais Khartoum a renvoyé ses alliés à l’accord de 1997. Pour eux, l’affaire est close. Cependant, les questions de sécurité et de démilitarisation qui se posent en même temps que celles du partage du pouvoir et des richesses, ont raidi l’attitude du SPLM à l’égard des autres sudistes, John Garang reprenant ses habitudes dictatoriales. Lorsque les délégués SSDF pénètrent dans la salle des négociations en octobre dernier pour parler «sécurité militaire», la mémoire de leurs déboires avec le SPLM leur revient très vite. Ils n’y sont pas revenus. Cela n’a pas empêché l’EDF d’annoncer son ralliement (et de rompre avec la LRA) en début d’année.

Dans le Nord, le choc de l’ouverture des négociations a été précédé en 2000 de la défection du parti Oumma de l’ADN. Parti qui s’est lancé comme médiateur dans l’aventure du Darfour, où il a des appuis solides, mais qui a été renvoyé dans ses foyers par le gouvernement. Quelques personnalités des autres partis nordistes ont lâché l’ADN depuis le début des négociations, mais rien de grave. Ici, on attend. La paix avec le Sud d’un côté. La fin de la guerre au Darfour, de l’autre.


par Marion  Urban

Article publié le 22/05/2004 Dernière mise à jour le 22/05/2004 à 10:52 TU