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Soudan

Coup d’arrêt au processus de paix

Il a suffi que les «rebelles» sud-soudanais dirigés par John Garang occupent ce week-end la ville de Torit - située près de la frontière avec l’Ouganda - pour que les négociations entamées le 12 août dernier à Machakos (Kenya) soient aussitôt plongées dans l’impasse.
Lundi matin le gouvernement central a annoncé qu’il se retirait de ces négociations «car l’occupation de la ville de Torit est incompatible avec le processus de paix», a précisé le ministère soudanais des Affaires étrangères. Peu de temps avant le commandement général des forces armées de Khartoum avait annoncé la mobilisation générale de toutes ses forces pour combattre les «rebelles» de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) de Garang, en précisant que l’armée soudanaise «va intensifier la guerre dans toutes les zones de combat», parce que «ce qui s’est passé à Torit montre que Garang ne veut pas la paix».

Le chef de l’APLS a aussitôt répliqué au général Souleimane : «la mobilisation générale, c’est leur affaire, nous ne sommes pas concernés mais nous riposterons, en particulier s’ils essaient de reprendre Torit» a dit un porte-parole de l’APLS, avant d’ajouter que les forces gouvernementales «bombardent très intensivement toute la ville». Celle-ci abritait autrefois le quartier général des «rebelles» sudistes, avant d’être reprise par Khartoum en 1992, et permet de contrôler l’une des principales routes qui mènent à Juba, la capitale du sud du pays.

Ce coup d’arrêt au nouveau processus de paix, qui devait prendre fin à la mi-septembre, intervient alors que toutes les ambiguïtés de l‘accord signé (au forceps) en juillet remontaient à la surface au fur et à mesure que le statut du Sud du pays était discuté. L’autonomie accrue voire le droit à la sécession par voie référendaire évoqué en juillet, ont apparemment disparu de l’agenda des pourparlers de Machakos. Tout récemment des journaux arabes ont fait état de différentes «idées» envisagées sur le partage du pouvoir au Soudan. Les négociateurs (Etats-Unis, Grande-Bretagne et Kenya, via une structure intergouvernementale de développement, l’IGAD) auraient proposé que le président soit un musulman et le vice-président un chrétien ; tandis que le Parlement, qui compte actuellement 360 membres, accueillerait 183 nouveaux députés représentant l’APLS de John Garang. Des propositions qui n’ont apparemment pas satisfait John Garang, et ce d’autant plus que le vice-président actuel est un ancien dirigeant de l’APLS qui a depuis longtemps rallié Khartoum et demeure un sérieux concurrent pour le chef «sudiste».

John Garang comme Jonas Savimbi ?

Mais on peut se demander si John Garang n’a pas été quelque peu «poussé à la faute». L’occupation de Torit lui permet certes d’y installer de nouveau son quartier général, mais la situation diplomatique est aujourd’hui tout autre. A la suite des attentats du 11 septembre, les Etats-Unis (et la Grande Bretagne) ont entrepris une «révision» en profondeur de leur présence dans la région. Après avoir abandonné la politique de Clinton vis-à-vis des «nouveaux leaders», la nouvelle administration a saisie la balle au bond, au lendemain des attentats de New York, en acceptant la collaboration inattendue du régime soudanais dirigé par Omar Al-Béchir, jusque là classé parmi les «états voyous» soupçonnés d’abriter des bases terroristes. Un geste aussitôt confirmé par la mise à l’écart de Hassan El-Tourabi, ancien mentor du régime mais aussi un leader islamiste très actif et très connu dans le monde musulman. C’est d’ailleurs pour contrer l’islamisme militant de Khartoum que Washington et Londres avaient financé les rebelles chrétiens des années durant.

Ainsi les Etats-Unis ont accepté tout de suite de lever les sanctions contre le Soudan. Et George W Bush de dépêcher ensuite à Khartoum un envoyé spécial très déterminé : Jack Danforth, chargé d’engager d’autres alliés dans la lutte contre le terrorisme islamiste mais aussi de favoriser la réconciliation inter-soudanaise entre rebelles chrétiens et un régime qualifié d’islamiste. Autant dire que sa tâche était presque impossible, car John Garang a bien entendu compris que le vent commençait à tourner en sa défaveur. Les Etats-Unis étant intéressés tout autant à la lutte contre «l’axe du mal» qu’aux gisements pétroliers sud-soudanais, situés dans le Haut Nil et souvent à la portée des attaques de l’APLS.

Commence alors une étrange partie, entre Washington, Khartoum et John Garang, avec la participation de trois autres acteurs : l’Egypte et l’Ouganda (pro-APLS) et le Kenya, dans le rôle du médiateur. Aujourd’hui, force est de constater que la paix signée à Machakos demeure plus qu’hypothétique. Les Etats-Unis étant toujours déterminés à l’imposer, iront-ils jusqu’à sacrifier leur ancien allié chrétien ? Washington tient à ce que les gisements pétroliers soient exploités et partagés équitablement entre «nordistes» et «sudistes». Mais pour cela il faudra retrouver la paix, et ensuite utiliser la soif de «normalité» de nombreux Soudanais - notamment dans le sud - qui rêvent de tirer enfin profit de «leur» pétrole, si nécessaire aux côtés du régime actuel.

Si tel est le cas John Garang a quelques soucis à se faire. Car il pourrait vite se retrouver dans la même situation que l’ancien rebelle angolais Jonas Savimbi, lorsque Washington a progressivement choisi de privilégier ses relations avec le régime de Luanda. Celui-ci était lui aussi redevenu fréquentable, au lendemain de la «guerre froide» et de la disparition de l’URSS. Pétrole oblige.



par Elio  Comarin

Article publié le 02/09/2002