Soudan
Les ambiguïtés de l’accord de Machakos
L’accord de principe conclu samedi entre Khartoum et les rebelles du Sud-Soudan porte sur l’autodétermination et la religion, mais il est loin de lever toutes les ambiguïtés.
«Un premier pas vers la paix». C’est en ces termes optimistes que les participants à la conférence de Machakos, au Kenya, ont accueilli la signature d’un protocole d’accord entre le mouvement des rebelles sudistes et le gouvernement de Khartoum ce samedi 20 juillet. Il conclut cinq semaines d’âpres discussions, sous les auspices de l’IGAD (Autorité intergouvernementale pour le Développement). L’espoir que ce dénouement inattendu a suscité, mérite cependant, d’être tempéré par la réalité des faits. Machakos peut aussi s’analyser comme un nouveau «coup de bluff».
Depuis l’attentat du 11 septembre, Washington et Khartoum disputent une partie de poker très serrée où l’enjeu semble être la résolution du conflit qui déchire ce pays depuis 19 ans, mais où des intérêts plus palpables, notamment le développement de l’exploitation du pétrole soudanais, se négocient plus discrètement. Les deux joueurs ne sont pas seuls: d’autres partenaires comme les rebelles sudistes, l’opposition nordiste, les pays de l’Union européenne et les organisations de défense de droits de l’Homme sont assis à la même table, interviennent épisodiquement. Quant aux quatre millions de déplacés et 300000 réfugiés sudistes… ils en sont réduits au rôle des jetons avancés par les adversaires.
Washington prend Khartoum au mot
Le premier tour de cette partie de cartes s’est ouvert peu après la destruction des Twin Towers, quand les Etats-Unis n’ont pas opposé leur veto à la décision du Conseil de sécurité des Nations unies de lever les sanctions contre le Soudan. Khartoum avait devancé ce changement d’attitude en offrant ses services à Georges Bush dans sa lutte contre le terrorisme international, mais cette offre avait été prise comme une boutade de plus du gouvernement soudanais.
Quelques semaines plus tard, la visite de l’envoyé spécial du président américain, Jack Danforth, montrait que Washington prenait au mot les dirigeants, à la nuance près que, pour la Maison Blanche, «la lutte contre le terrorisme ne doit pas servir de substitut aux efforts de règlement du conflit soudanais». La mission de Jack Danforth, proche de l’échec, fût miraculeusement sauvée en janvier 2002, par un accord de cessez-le-feu, d’une durée de six mois, dans les Monts Nuba. Ce miracle connut immédiatement un revers: les hélicoptères de l’armée mitraillèrent des villageois du Haut-Nil, -la région pétrolière-, lors d’une distribution alimentaire du PAM.
Préoccupé par la toute récente réconciliation des deux factions rivales sudistes et par l’arrêt de l’exploitation du pétrole par deux compagnies étrangères, Khartoum montrait par cet acte que s’il accordait un répit à une zone, il n’était pas question d’étendre cet «état de grâce» aux autres. Les bombardements de civils continuèrent dans le Sud.
Pour assurer une relative tranquillité aux mouvements des troupes dans le Haut Nil, en avril et mai, le gouvernement interdit 24, puis 40 destinations aux vols humanitaires de l’Opération Lifeline Sudan, opération qui coordonne toutes les actions des Nations unies et des organisations non gouvernementales au Soudan. Il fit monter les enchères en exigeant que ces vols changent de base, abandonnant le Kenya pour la ville centrale soudanaise de El Obeid, sous son contrôle direct. Les Nations unies cédèrent partiellement en faisant décoller quelques avions de El Obeid, en échange de l’accès aux populations du Haut-Nil.
De la même façon, Khartoum s’arrangea pendant quatre mois pour qu’aucune aide alimentaire ne parvienne dans les territoires détenus par la SPLA (armée de libération du peuple soudanais) dans les Monts Nuba, se réservant l’exclusivité des distributions dans ses zones.
Rendu public en mai, le rapport de Jack Danforth eut l’effet d’un coup de massue sur les Sudistes qui gardaient quelque espoir dans la mission américaine: l’envoyé américain se prononçait pour l’unité soudanaise, et contre l’auto-détermination du Sud, ce qui équivalait à renier les premiers accords signés entre Khartoum et le SPLM (Mouvement de libération des peuples du Soudan) en 1997. Il associait le développement –et donc la pacification- des zones pétrolières à un partage plus juste entre le Nord et le Sud, en rappelant le respect de la liberté de religion des Sudistes majoritairement animistes et chrétiens.
Quand le 17 juin, les Kenyans, à la présidence de l’IGAD pour quelques semaines encore, inaugurent l’ouverture d’une nouvelle session de négociations entre SPLM et gouvernement soudanais, un projet d’accord circule déjà entre les mains des délégués: l’auto détermination du Sud a disparu et il n’est fait mention que d’auto administration. La liberté de religion reste un «aménagement» à trouver pour le Sud. Sur ces points, et bien d’autres encore, l’accord de Machakos ne lève pas toutes les ambiguïtés.
Ecouter également :
Roland Marchal Chercheur au Centre d'études et de recherches internationales de Paris, spécialiste du Soudan
Depuis l’attentat du 11 septembre, Washington et Khartoum disputent une partie de poker très serrée où l’enjeu semble être la résolution du conflit qui déchire ce pays depuis 19 ans, mais où des intérêts plus palpables, notamment le développement de l’exploitation du pétrole soudanais, se négocient plus discrètement. Les deux joueurs ne sont pas seuls: d’autres partenaires comme les rebelles sudistes, l’opposition nordiste, les pays de l’Union européenne et les organisations de défense de droits de l’Homme sont assis à la même table, interviennent épisodiquement. Quant aux quatre millions de déplacés et 300000 réfugiés sudistes… ils en sont réduits au rôle des jetons avancés par les adversaires.
Washington prend Khartoum au mot
Le premier tour de cette partie de cartes s’est ouvert peu après la destruction des Twin Towers, quand les Etats-Unis n’ont pas opposé leur veto à la décision du Conseil de sécurité des Nations unies de lever les sanctions contre le Soudan. Khartoum avait devancé ce changement d’attitude en offrant ses services à Georges Bush dans sa lutte contre le terrorisme international, mais cette offre avait été prise comme une boutade de plus du gouvernement soudanais.
Quelques semaines plus tard, la visite de l’envoyé spécial du président américain, Jack Danforth, montrait que Washington prenait au mot les dirigeants, à la nuance près que, pour la Maison Blanche, «la lutte contre le terrorisme ne doit pas servir de substitut aux efforts de règlement du conflit soudanais». La mission de Jack Danforth, proche de l’échec, fût miraculeusement sauvée en janvier 2002, par un accord de cessez-le-feu, d’une durée de six mois, dans les Monts Nuba. Ce miracle connut immédiatement un revers: les hélicoptères de l’armée mitraillèrent des villageois du Haut-Nil, -la région pétrolière-, lors d’une distribution alimentaire du PAM.
Préoccupé par la toute récente réconciliation des deux factions rivales sudistes et par l’arrêt de l’exploitation du pétrole par deux compagnies étrangères, Khartoum montrait par cet acte que s’il accordait un répit à une zone, il n’était pas question d’étendre cet «état de grâce» aux autres. Les bombardements de civils continuèrent dans le Sud.
Pour assurer une relative tranquillité aux mouvements des troupes dans le Haut Nil, en avril et mai, le gouvernement interdit 24, puis 40 destinations aux vols humanitaires de l’Opération Lifeline Sudan, opération qui coordonne toutes les actions des Nations unies et des organisations non gouvernementales au Soudan. Il fit monter les enchères en exigeant que ces vols changent de base, abandonnant le Kenya pour la ville centrale soudanaise de El Obeid, sous son contrôle direct. Les Nations unies cédèrent partiellement en faisant décoller quelques avions de El Obeid, en échange de l’accès aux populations du Haut-Nil.
De la même façon, Khartoum s’arrangea pendant quatre mois pour qu’aucune aide alimentaire ne parvienne dans les territoires détenus par la SPLA (armée de libération du peuple soudanais) dans les Monts Nuba, se réservant l’exclusivité des distributions dans ses zones.
Rendu public en mai, le rapport de Jack Danforth eut l’effet d’un coup de massue sur les Sudistes qui gardaient quelque espoir dans la mission américaine: l’envoyé américain se prononçait pour l’unité soudanaise, et contre l’auto-détermination du Sud, ce qui équivalait à renier les premiers accords signés entre Khartoum et le SPLM (Mouvement de libération des peuples du Soudan) en 1997. Il associait le développement –et donc la pacification- des zones pétrolières à un partage plus juste entre le Nord et le Sud, en rappelant le respect de la liberté de religion des Sudistes majoritairement animistes et chrétiens.
Quand le 17 juin, les Kenyans, à la présidence de l’IGAD pour quelques semaines encore, inaugurent l’ouverture d’une nouvelle session de négociations entre SPLM et gouvernement soudanais, un projet d’accord circule déjà entre les mains des délégués: l’auto détermination du Sud a disparu et il n’est fait mention que d’auto administration. La liberté de religion reste un «aménagement» à trouver pour le Sud. Sur ces points, et bien d’autres encore, l’accord de Machakos ne lève pas toutes les ambiguïtés.
Ecouter également :
Roland Marchal Chercheur au Centre d'études et de recherches internationales de Paris, spécialiste du Soudan
par Marion Urban
Article publié le 23/07/2002