Soudan
Un accord ou presque entre les ennemis soudanais
L'accord conclu entre Khartoum et la rébellion sudiste sur les questions cruciales de l'autodétermination du Sud et de la place de l'islam suscite l’espoir d’un règlement du conflit qui ensanglante depuis 19 ans le plus vaste pays d'Afrique.
De notre correspondant à Nairobi
Ils ont, pour la première fois, fêté le même événement, côte à côte. Après dix neuf années d'une guerre civile qualifiée «d'oubliée» pour tenter de dissimuler qu'elle n'a jamais suscité que de l'indifférence, en dépit de ses deux millions de morts, la délégation du gouvernement de Khartoum et celle de la rébellion sudiste, l'Armée de libération des peuples du Soudan (SPLA), ont célébré dans un grand hôtel de Nairobi le premier succès d'un mois de négociations à huis clos : la signature d'un protocole d'accord prévoyant non seulement la mis en oeuvre des principes de l'autodétermination du Sud Soudan et de la séparation de la religion et de l'Etat, mais également la préparation d'un calendrier pour l'accès du Sud à l'autonomie.
Selon les termes du document signé à Machakos, une ville située à une heure de route à l'est de Nairobi, un référendum d'autodétermination aura lieu dans six ans pour permettre aux populations du Sud Soudan, en majorité chrétiennes et animistes, de déterminer le degré d'autonomie qu'elles souhaitent prendre par rapport au gouvernement de Khartoum. La gamme des solutions constitutionnelles qui seront alors offertes devrait être assez large, allant d'une autonomie dans l'orbite d'un Etat central à la confédération d'Etats, voire, à la sécession pure et simple. Dans l'immédiat, une période intérimaire devrait s'ouvrir rapidement, et donnera un avant goût de la solution esquissée à Machakos. Un «gouvernement à base élargie» devrait être nommé à Khartoum, tandis que les Etats du Sud Soudan accéderont, déjà, à une forme d'auto-administration.
Le chemin vers la paix est encore long
Même si les délégués soudanais, à Nairobi, n'hésitaient pas à parler de «moment historique», nul n'était dupe : le chemin qui mène à la paix au Soudan est encore long, et le pré-accord de Machakos est surtout riche de promesses. Dans les mois à venir, d'autres sessions de négociations seront nécessaires pour aborder, un par un, les multiples points litigieux qui ont été recensés par les médiateurs étrangers, et figurent dans un rapport d'une trentaine de pages. «Nous avons choisi de commencer par les deux points les plus symboliques et sensibles de cette guerre. Maintenant, nous allons pouvoir nous attaquer méthodiquement au reste du dossier» analyse un diplomate en charge du dossier.
En réalité, les deux questions soulevées à Machakos, sont surtout symboliques aux yeux de l'opinion publique américaine. Les groupes de pression religieux, aux Etats-Unis, qui ont fait de la défense des chrétiens du Sud Soudan une sorte de cause nationale, avaient besoin de voir leur lecture du conflit -l'oppression de chrétiens du Sud par des musulmans du Nord, une version contestée par la plupart des spécialistes- encouragée par les efforts de leur gouvernement. Bien que les négociations au Kenya aient lieu, officiellement, sous l'égide d'un organisme régional d'Afrique de l'Est, l'IGAD, les Etats-Unis sont les véritables parrains de l'ensemble du processus.
Washington, qui a progressivement changé d'attitude au cours de l'année passée pour cesser de considérer le Soudan comme un Etat-paria, avec l'intention d'en faire un partenaire et un informateur dans la nébuleuse des groupes extrémistes de la mouvance islamiste, est en effet décidé à amener le Soudan à la paix. L'accord de Machakos, plus qu'une décision spontanée des ennemis soudanais, est le résultat des pressions américaines, qu'un spécialiste décrit comme «extrêmement fortes». Reste à savoir, alors, si les délégations ont seulement signé sous la contrainte un chiffon de papier, pour ne pas avoir l'air, au moment où toute la communauté internationale a les yeux dirigés vers le Soudan, d'être le fauteur de guerre. Mais paradoxalement, les pressions étrangères pourraient coïncider avec les propres besoins des deux camps soudanais. Khartoum, en fait, ne demande pas mieux que d'établir des relations privilégiées avec Washington, brisant ainsi l'isolement diplomatique dans lequel les Etats-Unis avaient essayé de le maintenir pendant plusieurs années.
Toutefois, l'apaisement général de la situation au Soudan devra passer par d'autres concessions, sur des dossiers moins symboliques que celui de la religion, mais aussi délicats. Au premier rangs d'entre eux se trouve le partage des ressources naturelles, c'est à dire du pétrole. Le Soudan, extrait actuellement entre 205 000 et 220 000 barils par jour dans le centre du pays, dont 145 000 destinés à l'exportation, pour le seul bénéfice du gouvernement. Cette production pourrait doubler ou tripler dans les années à venir à condition que la paix facilite l'exploitation de champs pétrolifères où se déroulent, actuellement, l'essentiel des combats.
Ecouter également :
Roland Marchal Chercheur au Centre d'études et de recherches internationales de Paris, spécialiste du Soudan
Ils ont, pour la première fois, fêté le même événement, côte à côte. Après dix neuf années d'une guerre civile qualifiée «d'oubliée» pour tenter de dissimuler qu'elle n'a jamais suscité que de l'indifférence, en dépit de ses deux millions de morts, la délégation du gouvernement de Khartoum et celle de la rébellion sudiste, l'Armée de libération des peuples du Soudan (SPLA), ont célébré dans un grand hôtel de Nairobi le premier succès d'un mois de négociations à huis clos : la signature d'un protocole d'accord prévoyant non seulement la mis en oeuvre des principes de l'autodétermination du Sud Soudan et de la séparation de la religion et de l'Etat, mais également la préparation d'un calendrier pour l'accès du Sud à l'autonomie.
Selon les termes du document signé à Machakos, une ville située à une heure de route à l'est de Nairobi, un référendum d'autodétermination aura lieu dans six ans pour permettre aux populations du Sud Soudan, en majorité chrétiennes et animistes, de déterminer le degré d'autonomie qu'elles souhaitent prendre par rapport au gouvernement de Khartoum. La gamme des solutions constitutionnelles qui seront alors offertes devrait être assez large, allant d'une autonomie dans l'orbite d'un Etat central à la confédération d'Etats, voire, à la sécession pure et simple. Dans l'immédiat, une période intérimaire devrait s'ouvrir rapidement, et donnera un avant goût de la solution esquissée à Machakos. Un «gouvernement à base élargie» devrait être nommé à Khartoum, tandis que les Etats du Sud Soudan accéderont, déjà, à une forme d'auto-administration.
Le chemin vers la paix est encore long
Même si les délégués soudanais, à Nairobi, n'hésitaient pas à parler de «moment historique», nul n'était dupe : le chemin qui mène à la paix au Soudan est encore long, et le pré-accord de Machakos est surtout riche de promesses. Dans les mois à venir, d'autres sessions de négociations seront nécessaires pour aborder, un par un, les multiples points litigieux qui ont été recensés par les médiateurs étrangers, et figurent dans un rapport d'une trentaine de pages. «Nous avons choisi de commencer par les deux points les plus symboliques et sensibles de cette guerre. Maintenant, nous allons pouvoir nous attaquer méthodiquement au reste du dossier» analyse un diplomate en charge du dossier.
En réalité, les deux questions soulevées à Machakos, sont surtout symboliques aux yeux de l'opinion publique américaine. Les groupes de pression religieux, aux Etats-Unis, qui ont fait de la défense des chrétiens du Sud Soudan une sorte de cause nationale, avaient besoin de voir leur lecture du conflit -l'oppression de chrétiens du Sud par des musulmans du Nord, une version contestée par la plupart des spécialistes- encouragée par les efforts de leur gouvernement. Bien que les négociations au Kenya aient lieu, officiellement, sous l'égide d'un organisme régional d'Afrique de l'Est, l'IGAD, les Etats-Unis sont les véritables parrains de l'ensemble du processus.
Washington, qui a progressivement changé d'attitude au cours de l'année passée pour cesser de considérer le Soudan comme un Etat-paria, avec l'intention d'en faire un partenaire et un informateur dans la nébuleuse des groupes extrémistes de la mouvance islamiste, est en effet décidé à amener le Soudan à la paix. L'accord de Machakos, plus qu'une décision spontanée des ennemis soudanais, est le résultat des pressions américaines, qu'un spécialiste décrit comme «extrêmement fortes». Reste à savoir, alors, si les délégations ont seulement signé sous la contrainte un chiffon de papier, pour ne pas avoir l'air, au moment où toute la communauté internationale a les yeux dirigés vers le Soudan, d'être le fauteur de guerre. Mais paradoxalement, les pressions étrangères pourraient coïncider avec les propres besoins des deux camps soudanais. Khartoum, en fait, ne demande pas mieux que d'établir des relations privilégiées avec Washington, brisant ainsi l'isolement diplomatique dans lequel les Etats-Unis avaient essayé de le maintenir pendant plusieurs années.
Toutefois, l'apaisement général de la situation au Soudan devra passer par d'autres concessions, sur des dossiers moins symboliques que celui de la religion, mais aussi délicats. Au premier rangs d'entre eux se trouve le partage des ressources naturelles, c'est à dire du pétrole. Le Soudan, extrait actuellement entre 205 000 et 220 000 barils par jour dans le centre du pays, dont 145 000 destinés à l'exportation, pour le seul bénéfice du gouvernement. Cette production pourrait doubler ou tripler dans les années à venir à condition que la paix facilite l'exploitation de champs pétrolifères où se déroulent, actuellement, l'essentiel des combats.
Ecouter également :
Roland Marchal Chercheur au Centre d'études et de recherches internationales de Paris, spécialiste du Soudan
par Jean-Philippe REMY
Article publié le 22/07/2002