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Soudan

Odeur de pétrole sur les propositions de paix américaines

L’envoyé spécial des Etats-Unis au Soudan, John Danforth propose le partage des revenus pétroliers comme base des négociations de paix. Le Sud Soudan renoncerait à l’auto-détermination.
On dit que le rapport de John Danforth ne tient qu’en quinze pages. Quinze pages pour proposer des pistes de réconciliation au gouvernement du Nord et aux rebelles du Sud, en guerre, depuis 19 ans. Le document n’a pas encore été rendu public, mais l’ancien sénateur du Missouri a déjà livré quelques informations à des journalistes américains, indiquant que sa proposition de partage des revenus pétroliers (estimés à 600 millions de dollars annuels, en 2000), donnerait «une idée de ce qu’est la paix» aux Soudanais, avant de s’expliquer longuement sur l’abandon de l’idée de sécession des Sudistes. «Le succès du cessez-le-feu dans les Monts Nuba devrait pouvoir être étendu au reste du pays» estime-t-il.

Les réactions ne se sont pas faites attendre: les organisations de défense des droits de l’homme, en conflit ouvert avec les compagnies pétrolières étrangères qui travaillent dans le pays, dénoncent un rapport «pervers dans son ignorance de la réalité» et s’indignent que les Etats-Unis se donnent le droit d’inscrire l’unité du Soudan dans les préliminaires d’une négociation de paix. «Le pétrole n’est pas un objet de compromis» a répliqué, pour sa part, Khartoum, qui consacre une bonne partie des bénéfices de l’or noir à acheter des armes.

Depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont mené une offensive diplomatique à grande vitesse au Soudan, pays d’accueil du terrorisme international dans les années 90. Cinq jours avant les attentats, John Danforth, surnommé «Saint Jack» par les Américains, en référence à ses qualités personnelles et ses convictions chrétiennes, est désigné par George W. Bush comme émissaire spécial. Cependant, il ne se rendra que fin novembre sur le terrain. Entre temps, les sanctions du Conseil de Sécurité contre le Soudan sont levées, grâce à l’abstention des Etats-Unis. Les dirigeants soudanais ouvrent leurs dossiers sur les terroristes aux agents américains, «dossiers vides» diront les enquêteurs, mais surtout autorisent le Programme alimentaire mondial à distribuer de la nourriture dans les Monts Nuba, une zone restée inaccessible pendant dix ans.

Deux offensives militaires menées au Sud-Soudan

Les évènements se précipitent: «Saint Jack» obtient un cessez-le feu de quelques semaines dans ces montagnes, mais rien sur l’arrêt des bombardements de civils. Le 14 janvier 2002, à Burgenstock, une équipe suisse de négociateurs formalise l’accord pour une durée de six mois en présence de représentants nuba et du gouvernement. Une semaine plus tôt, à Nairobi, les deux factions rivales sudistes, menées par John Garang (SPLM) et Riek Machar (SDDF), retrouvent leur unité, perdue en 1991.

Les Européens ne veulent pas être de reste dans la course pour la paix: ils annoncent la reprise de leur aide à Khartoum, après 10 ans d’interruption. «Un pouce dans l’œil des Américains» commentera un observateur. Début février, la France enfonce le «pouce» en ré-octroyant le statut de nation favorisée au pays; Tony Blair désigne un envoyé spécial au Soudan pour la Grande-Bretagne

Aujourd’hui, il faut le regard à facettes d’une mouche pour reconstituer la situation soudanaise. Deux offensives sont menées dans le Sud-Soudan: avec l’accord de Khartoum, l’armée ougandaise a pénétré sur son territoire pour faire la chasse à la Lord Resistance Army de Joseph Kony. Les combats dans les monts Imatong sont violents et ont provoqué la fuite de plusieurs milliers de villageois. Les rebelles ougandais cherchent à gagner la frontière kenyane.

Depuis février, le gouvernement soudanais a lancé une vaste offensive contre les villages, situés au sud des exploitations pétrolières de la compagnie suédoise Lundin, dans le Haut Nil: attaques à cheval, tanks, mitraillages de la population à partir des hélicoptères, bombardements et déplacements forcés. Les organisations humanitaires ont protesté contre cette stratégie de la terre brûlée. La société Lundin avait annoncé l’arrêt de ses opérations le 31 janvier et ne reviendra –si elle revient- que lorsque les conditions de sécurité seront remplies.

Pendant ce temps, aux Etats-Unis et au Canada, les militants d’organisations religieuses et des droits de l’homme mènent campagne contre une autre société pétrolière, la Talisman Energy Inc., accusée devant le Tribunal de New York d’être complice de Khartoum dans sa guerre avec le Sud. «Un crime contre l’humanité qui sera porté devant la Cour Pénale Internationale, dès qu’elle siègera» (le 1er août 2002) ont promis les organisations non gouvernementales.



par Marion  Urban

Article publié le 16/05/2002