Patrimoine
La mémoire prestigieuse du jardin du Luxembourg
(Photo : Chartreuse Diffusion)
Le Sénat, aujourd’hui propriétaire de ce vaste jardin situé en plein cœur de Paris, s’efforce avec beaucoup de soin d’entretenir celui-ci dans le respect des traditions horticoles dont il a hérité, à la fois des différentes personnalités royales qui l’ont marqué de leur empreinte, mais aussi des moines chartreux. Si la chartreuse de Vauvert disparaît à la Révolution, le patrimoine technique et les variétés que les moines cultivaient ont été préservés, et leur savoir-faire continue même d’y être enseigné en cours du soir depuis 1809.
L’entreprise horticole continue de produire chaque année plus de 140 000 plantes à massifs et 7 500 potées fleuries et plantes vertes. Le jardin du Luxembourg est également responsable des collections de plantes à serres de réputation internationale, dont la plus digne d’intérêt est certainement la collection d’orchidées, une des plus anciennes d’Europe, dont la Conservation compte plus de 1 000 espèces. Il compte également un verger conservatoire de variétés et de formes fruitières comportant plus de 600 variétés de pommes et de poires, collections axées sur les variétés anciennes, héritage direct des Chartreux. C'est, en outre, le seul endroit de Paris où se trouve un rucher école.
Du Mons Leucotitius à Robert Le PieuxL’exposition propose une lecture de l’histoire du Luxembourg en six chapitres, le premier étant consacré au Mons Leucotitius, un site gallo-romain qui abritait à cet emplacement de riches villas au IIIe siècle après JC. Dans la première salle, la reconstitution d’un atrium rappelle que, sur la façade ouest de l’actuel palais, des fouilles ont permis de mettre à jour les fondations d’une villa gallo-romaine, probablement édifiée vers la fin du Ier siècle de notre ère. Les vases en verre ou en céramique, les manches de miroirs, les bijoux raffinés étaient sans doute destinés à de riches gallo-romaines, et les vestiges dans leur ensemble laisse imaginer qu’à cet endroit se situait un quartier élégant de Lutèce.
Il suffit de franchir une porte, et de lire quelques panneaux qui jouxtent une cotte de maille, pour se retrouver à pieds joints en 1016, à l’heure où Paris est rattachée au domaine royal par Robert II dit Robert Le Pieux, fils de Hughes Capet (970-1031). On apprend alors que c’est au milieu des vignes et des prairies, au sud-ouest de l’actuel jardin, qu’est érigée l’une des toutes premières résidences royales de Paris. L’environnement de verdure vaut à la propriété son nom de baptême «le château de Vauvert». Mais après la mort du roi, le château tombe en ruines, et le lieu devient un véritable repaire de brigands et de mendiants; «la marginalité du château de Vauvert va perdurer plus d’un siècle et donner naissance à une expression populaire qui a traversé les siècles jusqu’à nos jours «aller au diable Vauvert» explique l’historienne Pauline Delafon dans deux très beaux ouvrages édités pour l'occasion, «Mémoire du Luxembourg»(éd.Paris-musées), et «Un jardin de chartreux» (éd Glénat).
Du «diable Vauvert » à l’Elixir des ChartreuxLe visiteur s’engage alors dans un petit couloir sombre, où de par et d’autre, des sorcières côtoient des filles de joie dans un environnement sonore de cris et de bruits inquiétants, puis il débouche dans la lumière, au milieu du XIIIe siècle, au clos des Chartreux. Il est alors rappelé que nous sommes sous Louis IX. Le roi, soucieux d’attirer les ordres religieux vers sa ville, demande aux moines, dont il admire les règles de vie, de venir s’établir à proximité.
Une quarantaine de moines prend donc possession des ruines du château de Vauvert en 1257 pour mener une vie contemplative. Un film en 3D relief retrace toutes les activités de ces Pères Chartreux: agriculture, forge, coupe de bois, pharmacopée, fabrication de liqueurs. «Comme tout monastère, la chartreuse dispose d’un potager fournissant légumes et herbes médicinales pour les besoins des moines, mais la particularité de Vauvert est la création au sein de l’enclos, d’un verger exceptionnel qui va rapidement faire l’admiration de tous, pépiniéristes professionnels ou amateurs. A l’origine, il s’agit d’un verger traditionnel dont les moines tirent fruits et feuilles variés pour les frères cuisiniers et apothicaires. Ce verger connaîtra un développement extraordinaire au XVIIe siècle» rappelle Pauline Delafon, historienne.
En 1612, Marie de Médicis, veuve de Henri IV, acquiert le Petit Luxembourg car, comme le veut la tradition depuis le «Moyen-Age, la coutume veut que les reines veuves se retirent dans un monastère ou acquièrent des hôtels qu’elles embellissent à leur gré». Leur fils, Louis XIII n’est alors âgé que de huit ans, et la reine, régente du royaume jusqu’à la majorité du petit roi, se trouve mal logée au Louvre. Elle se fait construire un vaste palais au voisinage de la Chartreuse, aux limites de la ville, entre les clos de vignes, les vergers et les prairies qui dépendent des abbayes voisines.
«Autour de son palais, Marie de Médicis se fait réaliser un jardin italien, ce qui est nouveau à Paris. Elle l’a voulu à l’image de celui du palais Piti de Florence (ndlr :en Italie) (…) or ce jardin florentin n’est pas seulement un ornement. (…)Elle y fait planter dès 1612 des ormes et ormillons qu’elle fait venir par milliers des forêts d’Orléans». Elle fait dessiner les parterres et les broderies à un «intendant des plans et jardins» du roi Henri IV, Jacques Boyceau de la Barauderie. Le jardin s’ouvre alors vers le sud, mais la reine ne parviendra jamais à s’annexer la propriété des Chartreux. Les pages d’histoire se tournent, la reine tombe en disgrâce, mais continue à prendre soin de son jardin.
25 hectares de verdure au cœur de Paris
Ensuite, «Quand Louis XIV hérite du palais de la duchesse de Guise en 1696 (…) il y envoie André Le Nôtre», célèbre pépiniériste de la cour de Versailles. «Le jardin des Chartreux diffère totalement de celui de la reine. Les moines y cultivent de nombreuses plantes médicinales (…) il s’occupent également d’un potager (…) mais c’est surtout le verger des chartreux qui, à toutes les époques, va susciter l’admiration des pépiniéristes et des simples amateurs». En ce début de XVIIIe siècle, la science du jardinage et l’arboriculture sont en plein essor et les chartreux sont à la pointe dans ce domaine. Leurs arbres fruitiers sont exportés jusqu’en Pologne et aux Etats-Unis.
Avec la Révolution, la Chartreuse disparaît, mais pas la «Chartreuse verte», le fameux élixir digestif élaboré par les moines apothicaires du XVIIIe siècle à partir de plantes médicinales (et qui continue d’ailleurs à séduire aujourd’hui un million d’amateurs dans le monde entier !). Installé au palais du Luxembourg depuis 1879, le Sénat s’est vu confié la gestion, la surveillance et la conservation du jardin, devenu officiellement public au lendemain de la Révolution. Le jardin d’ornementation, est-il expliqué au visiteur, «s’est étendu au XIXe sur une partie de l’ancien domaine horticole des chartreux, devenu pépinière impériale du Luxembourg après la fermeture des couvents en 1790».
Si la superficie actuelle du domaine qui s’étend sur environ 25 hectares correspond à peu près à celle des patientes acquisitions de Marie de Médicis, sa configuration a donc beaucoup changé. Jusqu’à fin juillet, l’exposition sensibilise ainsi le visiteur à la réconciliation des deux jardins: celui des Chartreux, «agreste, expérimental et rayonnant dans toute l’Europe» ; celui de Marie de Médicis, «plus formel et urbain, marquant la naissance de l’un des aspects majeurs de l’art français».
par Dominique Raizon
Article publié le 06/07/2004 Dernière mise à jour le 06/07/2004 à 14:31 TU