Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Patrimoine

A Versailles, résurrection d'un «salon de verdure»

Le bosquet des trois fontaines en 1688.
Le bosquet des trois fontaines en 1688.
Créé par l’architecte jardinier André Le Nôtre en 1677 et 1679, et laissé à l’abandon depuis plus de deux siècles, le bosquet des Trois Fontaines retrouve sa beauté d’antan. Une documentation très riche, constituée de gravures du XVIIe et du XVIIIe, ainsi que de récits d’époque, ont permis de faire des fouilles archéologiques et d’envisager la restauration de ce «cabinet de verdure». C’est en grande partie grâce à l’enthousiasme et à la pugnacité de Catherine Hamilton, présidente de l’association The American friends of Versailles (Les Amis américains de Versailles), que le projet a été mené à terme. Depuis le 11 juin, l’eau rejaillit à nouveau dans les grandes vasques des trois bassins du bosquet.

La contribution des Américains pour la restauration du bosquet des Trois fontaines constitue le plus gros don jamais effectué depuis celui de Rockefeller dans les années 30 pour contribuer à l’entretien et la restauration de Versailles. Ce sont six cents donateurs d’outre-Atlantique qui ont financé aux deux-tiers une restauration de ce bosquet, dont le coût s’élève à 5,5 millions d’euro.

Versailles, c’est un château, mais aussi un parc dit à la Française, un parc, cité comme archétype du jardin régulier, c’est-à-dire construit selon des lignes architecturales rigoureuses et géométriques. En historien, Pierre-André Lablaude décrit le domaine de Versailles qui «se compose outre la forêt, percée de larges allées rectilignes et de carrefours en étoile, aménagée pour la chasse à courre, de deux autres parties distinctes: les jardins, dont les parterres de fleurs réjouissent la vue et l’odorat, et les bosquets, architectures de transition entre les parterres et les grands arbres qui ferment l’horizon. Les bosquets constituent un lieu privilégié de promenade et de divertissement».

Egalement appelés «cabinets de verdure», les bosquets, dès l’époque de Louis XIV jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, étaient utilisés comme des sortes de salons en plein air abrités par des espaces boisés. Le roi y donnait des fêtes et des spectacles.

Seul des douze bosquets des jardins de Versailles à être mentionné sur un plan  ancien comme étant  «du dessein du Roy», le bosquet des Trois Fontaines a été créé par André Le Nôtre au dix-septième siècle. L’annotation laisserait entendre que Louis XIV aurait participé de près à l’ordonnancement des plans. «Avec son symétrique, le bosquet de l’Arc de Triomphe, il définit la première perspective transversale des jardins entre le bassin de Neptune et le Parterre du nord» rappelle Pierre-André Lablaude, architecte en chef des Monuments historiques. Caractérisé par l’absence de décors sculptés, et par là-même unique en son genre dans le parc du château, le bosquet «tirait ses effets décoratifs de l’association du végétal aux seuls jeux d’eau ; il se singularisait ainsi par son caractère naturel et son extrême pureté».

Le Nôtre n’affectionnait pas que les paysages rectilignes et rigides: ainsi l’atteste le plan de ce bosquet, où l’architecte jardinier sut jouer sur des décalages, mêlant des matériaux précieux et d’autres plus rustiques, et croisant des perspectives et des angles de vue. Le bosquet «s’étageait en trois terrasses organisées selon la pente naturelle du terrain, qui s’élargissait au fur et à mesure de la descente», et les terrasses étaient «reliées entre elles par des ensembles de cascades et de rampes de gazon». Quant aux bassins, ils «se différenciaient par leurs formes, leurs dimensions et leurs effets d’eau»: une gerbe centrale jaillissait du premier, les jets organisés autour de quatre lances créaient une voûte d’eau dans le second, tandis que le dernier, orné d’une fontaine centrale de rocailles, offrait un ensemble de jets s’épanouissant en motif de fleur de lys.


Le bosquet des trois fontaines, détail. 

		Christian Millet, château de Versailles
Le bosquet des trois fontaines, détail.
Christian Millet, château de Versailles

Classé «patrimoine de l’humanité

Victime de la dispersion du mobilier royal à l’époque révolutionnaire, d’un manque d’intérêt et d’entretien dans les années qui suivirent, des guerres ravageuses de 1870, 1914 et 1940, le bosquet de Trois fontaines avait fini par tomber dans l’oubli, et disparaître dans la nature. Avec le temps, les arbres avaient porté ombrage aux charmilles, les statues avaient été perdues ou déplacées, et les fontaines détériorées. La reconnaissance archéologique a donc permis de retrouver des fragments de rocailles et de coquillages qui appartenaient aux décors d’origine, ainsi que «la rampe en pierre installée en partie sud du bosquet pour faciliter l’accès de Louis XIV, à la fin de son règne, lors de ses promenades en chaise à roulettes» explique Pierre-André Lablaude. Les travaux de reconstitution à l’identique ont pu être menés grâce à l’association The American friends of Versailles.

La restauration complète de ce «salon de verdure» et des jeux d’eau «dans toute la cohérence, la pureté et la stricte authenticité de ses dispositions d’origine» représente un véritable coût. Au 17e siècle déjà, et à valoir pour ordre de grandeur, il faut savoir que ces bosquets, à l’instar de l’Orangerie, des parterres, du potager et des différents bassins, ont été construits sur des terres qui n’étaient que bois, prairies et marécages; de ce fait, autant de mètres cubes de terre et de milliers d’arbres, acheminés de toutes les provinces de France, ont demandé à l’époque la participation de milliers d’hommes et quelquefois de régiments entiers pour participer à l’entreprise. En l’occurrence, la machinerie hydraulique, détériorée, était compliquée, et pour restaurer l’ensemble du bosquet des Trois fontainesles Amis américains de Versailles ont mis sept ans avant de réunir les quatre millions de dollars indispensables à la résurrection du site.

Le Château et ses jardins reçoivent chaque année la visite de plus de visiteurs américains que n’importe quel musée aux Etats-Unis. Désigné «Patrimoine de l’humanité» par l’Unesco, et considéré comme l’une des expressions les plus achevées de la civilisation occidentale, le site a toujours occupé une place particulière dans le cœur des Américains, et dans les relations franco-américaines, à la fois politiquement et historiquement, dès l’époque de Benjamin Franklin et de Thomas Jefferson: «C’est une rencontre très forte entre l’histoire, la passion et un vrai coup de cœur» dit Christine Albanel, présidente de l’établissement public de Versailles , tandis que Catherine Hamilton, présidente de l’association des Amis américains de Versailles estime «plus qu’aucun autre monument étranger, Versailles a à voir avec notre histoire. Les Français ont financièrement aidé la Révolution américaine et ont été les premiers à reconnaître notre indépendance».

La Société des amis de Versailles, et sa sœur américaine sont des associations sans but lucratif qui ont pour vocation d’aider à la préservation et à l’embellissement du château de Versailles. D’autres chantiers sont programmés: les jardins de Versailles font depuis près de quinze ans l’objet d’un ambitieux programme de restauration, étalé sur une période de vingt ans, et visant notamment à renouveler à terme la majeure partie du patrimoine végétal du parc, dans toute sa richesse et sa diversité d’essences.


par Dominique  Raizon

Article publié le 15/06/2004 Dernière mise à jour le 15/06/2004 à 16:11 TU