Patrimoine
Avis de tempête sur l'Imprimerie nationale
Editions Imprimerie nationale
Editions Imprimerie nationale
La vénérable institution est fondée par François Ier en 1539 lorsqu’il nomme un certain Néobar «imprimeur du Roy pour le grec», auquel succède Estienne «imprimeur pour le latin et l’hébreu». En 1640, Richelieu place l’imprimerie au Louvre. En 1804, elle déménage à l’hôtel de Rohan et, de royale, elle devient impériale. Depuis lors, l’Imprimerie nationale n’a cessé de s’enrichir. André Guillerme en rappelle l’histoire, et résume dans une tribune parue dans le journal le Monde (mardi 1er juin 2004): «de fait, l’imprimerie nationale porte en elle la renommée et la souveraineté de l’Etat (…). L’histoire des techniques prise à témoin montre que cette institution n’a jamais cessé d’innover, de promouvoir de nouveaux supports (…) Bref, [c’est] une institution à la page (…). Elle mérite donc le respect dû à son rang: national».
Aujourd’hui, l’Imprimerie nationale est menacée dans le maintien de son entité. Or, on ne le sait pas toujours, ou pas assez, «l’imprimerie nationale est aussi un trésor mondial. Certainement le seul dans son genre». André Guillerme rappelle: «l’IN sauvegarge un florilège de 700 000 pièces –dont 500 000 sont classées comme monuments historiques». Outre les poinçons en acier dans 70 polices différentes dont les plus anciennes datent de la Renaissance, les idéogrammes chinois gravés sur bois, les cuivres, les machines typographiques adaptée à toutes les typographies, il faut compter avec la richesse de l’alphabet des peuples, y compris des plus rares comme les caractères mayas, phéniciens, araméens, etc… «Les trésors de l’Imprimerie nationale, souligne André Guillerme, sont propriété de la culture et de la connaissance. Ils ne peuvent échapper au bien commun de l’humanité. C’est donc à l’Unesco d’agir, de classer d’urgence ce patrimoine mondial; d’en faire –pourquoi pas ? - son trésor et sa référence pour l’éducation, la science et la culture».
L’idée est bonne sauf que, renseignement pris auprès de l’Unesco même, cela n’est pas du ressort de l’organisation des Nations unies pour la science, l’éducation et la culture. Madame Rosseler, responsable du patrimoine pour l’Europe et l’Amérique du Nord, le regrette peut-être mais elle confirme que ce bien ne figure pas sur la liste des biens à protéger. Pour ce faire, il faudrait donc que l’Etat le demande -l’Etat, rappelons-le, étant le premier actionnaire de cette société anonyme qu’est l’Imprimerie nationale, et ce depuis le 31 décembre1993.
Pour mieux comprendre les enjeux, revenons sur les différentes activités couvertes par cette vieille institution. Elles sont diversifiées, mais tendent à se resserrer. L’institution édite par exemple, à l’aide de rotatives, les annuaires téléphoniques, source d’un important chiffre d’affaire; mais cette activité va ralentir car, outre la concurrence informa tique, la concurrence européenne étant, c’est l’Espagne qui couvrira, à l’horizon 2005, ce secteur d’activité, et le personnel devra du même coup trouver du travail ailleurs.
L’Imprimerie nationale a aussi pour mission le fiduciaire et le continu (c’est-à-dire l’édition de bulletins). A son arrivée, Loïc Lenoir de la Cochetière déclarait «je veux recentrer l’activité de l’imprimerie nationale sur son cœur de métier, que sont le fiduciaire et le continu», et cela corrobore les préoccupations de Nicolas Sarkozy, qui vient d’investir ce secteur pour renforcer la sécurisation des cartes d’identité, passeports, permis de conduire etc…
Mais l’imprimerie nationale est par ailleurs un des plus beaux fleurons de l’édition de livres pour bibliophiles, précisément parce qu’elle est la seule au monde à posséder de fabuleux trésors accumulés au fil des siècles à l’instigation des souverains. Or, c’est cette activité qui est menacée par le déménagement des usines de Paris à Choisy le Roi, et qui met en émoi, certes le personnel attenant à ce secteur d’activité, mais aussi intellectuels et esthètes. En effet, si tout le patrimoine servant à les éditer devait ventiler dans différents musées, les machines s’arrêteraient de fonctionner et les artisans qui les entretiennent avec tant de soin, une fois partis à la retraite et non remplacés, c’est toute une mémoire qui tomberait dans l’oubli. Le risque encouru serait alors de perdre les repères essentiels de notre culture laquelle est liée à l’écrit et au support livre, et de perdre de la même manière tout un savoir-faire concernant les métiers d’art et le bel ouvrage.
La mémoire vive de l’écrit ne saurait mourir
Initialement, avec le déménagement, un espace muséographique de 3 000 mètres carrés, entouré de verre, devait abriter le musée vivant de l’Imprimerie nationale. Or, si «le département du Val de Marne avait proposé la mise en place d’un musée vivant. Toutefois l’architecte qui a proposé ses plans il y a six mois n’entend plus parler de rien» s’affole André Guillerme; il craint que l’ensemble ne «bascule dans l’archéologie du savoir et [finisse] sur des étagères puisque plus personne n’oserait ni ne pourrait s’en servir». Au service de la communication on assure par ailleurs: «Rien n’est décidé pour le moment, tout est encore en négociations; le PDG recherche des partenaires pour défendre ce secteur, qui est, ne l’oublions pas déjà, sa vocation première. Mais ce n’est pas si simple de trouver et l’espace, et les fonds».
Ce qui fait donc débat aujourd’hui, c’est la menace d’éclatement de l’ensemble des activités. Les murs abritant l’Imprimerie nationale ont déjà été vendus à un gros investisseur américain, Carlyle. Il ne reste donc qu’un an à Loïc Lenoir de la Cochetière pour trouver un espace susceptible d’accueillir le musée vivant susceptible de maintenir en activité le patrimoine, et continuer à éditer de beaux livres pour bibliophiles.
Dans ses déclarations dans la revue Caractères, Loïc Lenoir de la Cochetière dressait en décembre 2003 un tableau pessimiste de la situation, déplorant «de grosses erreurs stratégiques des prédécesseurs», «une entreprise en totale impasse organisationnelle», «gérée [jusqu’à son arrivée] de façon archaïque» et «une mauvaise culture ouvriériste». On comprend très vite l’ampleur de l’inquiétude qui porte sur le devenir de l’entreprise et son personnel, menacé de «restructurations» et, ce faisant, de plan social.
Depuis qu’André Guillerme est monté au créneau avec une tribune parue dans le Monde mardi dernier, les choses sembleraient bouger. Des chercheurs du centre national de Recherche scientifique (CNRS), la Bibliothèque nationale, des associations de typographes se sentent interpellés par la vieille dame, et mobilisent leurs énergies. Gaëtan Gorce, député de la Nièvre est rentré en contact avec André Guillerme pour l’assurer de réfléchir à une solution dans sa région. Cécilia Sarkozy, de son côté, devrait prochainement visiter l’Imprimerie nationale en tant que conseillère technique du ministre des Finances et de l’Economie pour étudier ce qu’il serait envisageable de faire.
par Dominique Raizon
Article publié le 04/06/2004 Dernière mise à jour le 25/07/2005 à 08:43 TU