Union africaine
Paix et sécurité : des vœux pieux ?
(Photo : AFP)
A la veille du sommet panafricain, le gouvernement burkinabé a lancé un avertissement à Abidjan, qui dément toute incursion d’appareils militaires dans son espace aérien. Ouagadougou «tient à informer les autorités ivoiriennes que dans le souci de préserver la sécurité de son territoire et de ses nationaux, [le gouvernement] prendra désormais toutes les mesures nécessaires, y compris les plus extrêmes, pour assurer l'inviolabilité de son espace aérien». Les dirigeants africains devront compter avec ce communiqué d’un Burkina lui même accusé par Abidjan d’avoir fomenté l’offensive rebelle de septembre 2002. Autant dire combien sur ce dossier ivoirien, comme sur tous les autres, les avis sont inconciliables et les inimitiés régionales. En Afrique centrale, la bisbille entre Kinshasa et Kigali a déjà provoqué deux guerres et semé les germes d’un chaos qui n’en finit plus de ravager l’Est congolais. Mais la diplomatie africaine se risque rarement à arbitrer davantage qu’un match nul. La question de son efficacité resterait d’ailleurs posée au cas où elle s’aventurerait à établir des responsabilités précises.
L’UA n’a rien à dire sur l’épuration ethnique du Darfour soudanais. D’ailleurs, la condamnation par Khartoum de ses propres miliciens lui retire l’épine du pied. La Commission peut donc se féliciter de l’arrivée annoncée de quelque 300 soldats africains dans la région en proie au désastre humanitaire. Le reste du monde aussi, qui depuis cette dernière décennie s’efforce de déléguer aux Africains la gestion de leurs crises, après avoir délocalisé sur le continent son conflit Est-Ouest, en particulier. Au Darfour, les casques blancs de l’UA doivent assurer la sécurité de la soixantaine d’observateurs déjà sur place et éventuellement surveiller les camps de réfugiés et les zones frontalières du Tchad, où sont réfugiés 200.000 Soudanais. Reste quand même à obtenir l’assentiment des autorités de Khartoum. La Commission de l’UA se déclare «convaincue qu'elles vont accepter», tout en ajoutant que «cela a été difficile».
L’institution panafricaine annonce également des négociations entre belligérants soudanais et attend avec impatience la fin des tractations entre pouvoir nordiste et anciens rebelles sudistes qui ne cessent de renvoyer au lendemain la signature au Kenya de la mouture définitive de leur accord de paix et de partage des richesses. Mais au total, le terrain est bien balisé à Addis-Abeba pour Khartoum qui n’aura pas de comptes à rendre après ses engagements pris devant l’Onu et les Etats-Unis. En revanche, le Congolais Kabila ne viendra pas. Selon certains observateurs, il se serait froissé du peu de crédit apporté à ses accusations contre le Rwanda par le président de la Commission, Alpha Konaré.
En attente de force panafricaine
Le président Konaré avait fait le déplacement de Kigali pour la commémoration du génocide de 1994 dans lequel a failli l’Organisation de l’unité africaine (OUA), pourtant représentée par des observateurs militaires et par son médiateur de l’époque : Mobutu, ami fidèle du défunt président Habyarimana. Les dossiers Rwanda et Congo-Kinshasa continuent de diviser l’Afrique. Les protagonistes de la crise ivoirienne ne manquent pas, eux non-plus, de faire valoir des carnets d’adresses et des agendas concurrents dans la galaxie africaine. Et même pour sauvegarder la paix, là où elle se profile, l’UA manque d’argent. Au total, son programme «Paix et sécurité» sonne comme une «méthode Coué», une thérapie à usage principalement externe.
Le «syndic» de la maison Afrique espère convaincre les investisseurs occidentaux de sa volonté de libérer le continent du despotisme, de la corruption et des guerres qu’ils engendrent. Outre un «mécanisme d’évaluation par les pairs» censé vérifier la conformité des pratiques avec des critères de bonne gouvernance, la Commission de l’UA a programmé la nomination de cinq personnalités appelées à former le «Groupe des sages» chargé d’assister le Conseil de paix et de sécurité (CPS) créé en juillet 2002. Un «Système continental d’alerte rapide» doit également contribuer à la prévention des conflits. Restera, d’ici 2010, à dessiner les contours de la «Force africaine en attente» (de création) qui a fait l’objet d’une troisième réunion des chefs d’état-major africains en mai 2003.
En 1993, l’OUA avait créé un Fonds pour la paix. Il a été conservé malgré la minceur de l’enveloppe remplie en une décennie : 96 millions de dollars, dont «plus des trois quarts du montant émanant des partenaires de l’UA», regrette la Commission. Les Etats africains ont en effet en règle générale fait la sourde oreille à ses appels de fonds répétés. Certains contributeurs de troupes «à savoir l’Afrique du Sud, l’Ethiopie et le Mozambique» ont du «supporter l’essentiel du fardeau lié au déploiement» de la Mission africaine au Burundi (MIAB), principale entreprise de maintien de la paix africaine aux côtés des «deux autres opérations, de bien moindre ampleur, aux Comores et en Ethiopie-Erythrée». Dans son prêche pour l’intégration africaine, force est de constater pour le président Konaré que «dans nombre de conflits qui déchirent notre continent, la méfiance entre les parties et la complexité des questions en jeu rendent impérative la présence sur le terrain d’une tierce partie», l’Onu en général.
La paix dépend de l'aide extérieure
L’Afrique fait une très forte consommation de casques bleus. Mais si certains de ses Etats membres fournissent régulièrement des contingents, il s’agit le plus souvent d’hommes sans armes ni bagages, voire sans entraînement. Les contributions volontaires publiques ou privées censées abonder les caisses de la fameuse force d’intervention panafricaine «en attente» restent hypothétiques. La paix du continent risque de dépendre encore longtemps de l’aide extérieure. C’est elle qui équipe, paye et forme les soldats déployés sous l’étendard régional de la force ouest-africaine, tout comme ceux qui ont coiffé le casque bleu dans la demi-douzaine de missions onusiennes en cours, au Congo-Kinshasa, au Libéria, en Sierra Leone, dans la zone tampon entre l’Erythrée et l’Ethiopie ou aux côtés des 4 000 soldats français déployés en Côte d’ivoire.
En juin dernier, le président Bush a promis de demander au Congrès américain de débloquer 660 millions de dollars pour entraîner 75 000 soldats de la paix africains d’ici 2010. Une goutte d’eau dans un continent marqué par «26 conflits armés entre 1963 et 1998, affectant 474 millions de personnes, soit 61% de la population du continent, et causant plus de 7 millions de morts», selon les chiffres de l’UA. Depuis, la guerre a suivi son chemin, ruinant les promesses de développement et accélérant le pillage d’un continent dans lequel la déstabilisation régionale sert de panacée aux trafiquants d’armes et de ressources naturelles.
Les médiations africaines sont légions. La bonne gouvernance est inscrite au fronton de l’UA comme la meilleure antidote à la guerre. Les textes fondateurs de l’institution panafricaine prohibent la prise du pouvoir par les armes. De la profession de foi à la «réalpolitique», le programme «Paix et sécurité» n’en butte pas moins, par exemple, sur le coup d’Etat en Centrafrique de mars 2003 qui avait en particulier impliqué le Tchad avec la bénédiction des Etats d’Afrique centrale. Dans ces conditions, la quadrature du cercle sécuritaire de l’UA est sans doute pour une part financière et diplomatique. Sa résolution passe de toute évidence par l’ouverture du continent à la démocratie.
par Monique Mas
Article publié le 06/07/2004 Dernière mise à jour le 07/07/2004 à 10:30 TU