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Côte d'Ivoire

Guerre économique

Selon ICG, l’administration Gbagbo a très vite pris en mains les différentes pompes à finances, généralement greffées sur la filière cacao. 

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Selon ICG, l’administration Gbagbo a très vite pris en mains les différentes pompes à finances, généralement greffées sur la filière cacao.
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«Pas de paix en vue», annonce le rapport publié le 12 juillet par les analystes politiques d’International Crisis Group (lire le rapport) qui estiment que «l’impasse politique est exceptionnellement lucrative pour à peu près tout le monde, sauf pour les citoyens ordinaires». ICG décrit une guerre économique «triangulaire» entre tenants et adversaires, civils ou armés, du pouvoir, mais aussi des luttes intestines à l’intérieur de ces groupes, en connexion avec des intérêts d’affaires liés à «des réseaux économiques souvent criminels». Pour comprendre ce qui se passe en Côte d’Ivoire, résume ICG, il suffit de «suivre l’argent».

Les partis d’opposition ont quitté le gouvernement de «réconciliation nationale», les anciens rebelles des Forces nouvelles refuse de déposer les armes avant les élections et «flirtent avec la sécession», note ICG. Le centre de recherches international voit comme un phénomène aggravant la rivalité entre les «réseaux politico affairistes dominés pendant près de quarante ans par le Parti démocratique de la Côte d’Ivoire (PDCI) du défunt président Houphouët-Boigny» et leur challenger Gbagbo, nouveau-venu dans la compétition avec son Front populaire ivoirien (FPI). A ce sujet, ICG n’hésite pas à reprendre la thèse de «certains observateurs», qui voient la tuerie des 25 et 26 mars dans la capitale comme la résultante de la bataille entre le PDCI et le FPI, pour le contrôle du port d’Abidjan. Tandis que l’argent du cacao file dans les poches des dignitaires du pouvoir et finance au passage ses gros bras, les anciens rebelles se disputent celui du coton, des banques ou du trafic d’armes, accuse ICG.

Les jeunes «patriotes» recevraient chaque mois 80 000 dollars, «tirés des coffres présidentiels», selon ICG qui reproche aussi aux forces de l’ordre un racket généralisé dans les zones qu’elles contrôlent. Dans ces conditions, le désordre est une rente assurée pour quelques poignées d’agitateurs qui se paient sur le dos des Ivoiriens ordinaires. Rien n’indique qu’ils puissent prendre un jour le risque d’être disqualifiés par les urnes. En attendant, ils s’arrangent pour gagner du temps, ergotant notamment sur l’accord de Marcoussis, fruit d’un compromis, dont nul ne voit en quoi un autre document pourrait l’améliorer, souligne ICG. Du reste, poursuit le rapport, le fracas démagogique des querelles d’ivoirité ou de légitimité électorale peine à masquer la lutte au couteau entre «découvreurs» et pratiquants avertis des circuits très sophistiqués mis en place sous Houphouët-Boigny pour assurer le monopole du pillage économique au pouvoir en place.

«Ecarts massifs dans les comptes»

Selon ICG, l’administration Gbagbo a très vite pris en mains les différentes pompes à finances, généralement greffées sur la filière cacao, encourageant notamment les affrontements sanglants dans la ceinture cacaoyère de l’Ouest ivoirien, pour faire diversion. A ce sujet, le Franco-Canadien, Guy-André Kieffer, disparu le 16 avril dernier, «n’était pas seulement journaliste», observe ICG. «Il travaillait aussi comme homme d’affaires et consultant dans la filière cacao...». Avant de quitter l’Inspection générale d’Etat sans laisser d’adresse, l’inspecteur ivoirien, François Kouadio, avait lui-aussi été mandaté par le président Gbagbo, en mars 2002, pour une étude sur les prix payés aux producteurs de cacao. Il avait mis à jour des «écarts massifs dans les comptes».

Soulignant le danger posé par les milices des partis transformées en «formidable acteur politique qui ne peuvent être ni contrôlés ni écartés», ICG évoque aussi les fractures de l’armée ivoirienne, débouché clientéliste et familial mais force non moins composite et travaillée par des rivalités entre corps. En province, militaires, «patriotes», milices villageoises et anciens rebelles sont en compétition dans une économie de guerre fondée non seulement sur la traite du cacao ou du café, mais aussi sur celle du caoutchouc, du bois ou des métaux précieux, indique le rapport. Ces activités de contrebande sont souvent transfrontalières, en particulier côté Libéria. Pour leur part, les 4 000 soldats français de l’opération Licorne sont impuissants à sécuriser les populations dans la «zone de confiance» qui consacre la partition du pays entre la partie gouvernementale et celle que revendique les Forces nouvelles. Selon ICG, les diatribes anti-françaises des partisans du pouvoir accompagneraient un repli des investisseurs français qui ferait la bonne fortune d’hommes d’affaires libanais.

Sous le contrôle de l’ancienne rébellion, le Nord ivoirien est devenu un vaste «duty free» livré aux trafics en tous genres, mais nettement moins bien documenté que les activités abidjanaises de la classe politique ivoirienne. «La capacité des habitants ordinaires du territoire des Forces nouvelles à maintenir une vie socio-économique indépendante a quelque chose à voir avec le fait que le Nord a longtemps été la moitié la moins développée de Côte d’Ivoire», avance ICG, qui ne croit plus en la bonne foi des politiciens ivoiriens, tous bords confondus, mais qui conclut sur une charge contre Laurent Gbagbo. En bâtissant un «Etat fantôme», défendu par une kyrielle de groupes armés sur des bases ethniques, pour damer le pion au gouvernement de réconciliation nationale, le chef de l’Etat s’est lui-même privé de la possibilité d’élargir son électorat, souligne ICG.



par Monique  Mas

Article publié le 15/07/2004 Dernière mise à jour le 15/07/2004 à 15:26 TU

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Stephen Ellis

Directeur du programme Afrique d'International Crisis Group

«Il y a des trous dans les finances de la filière café/cacao. C'est évident que certaines personnes tirent un interêt financier du blocage actuel pour détourner de l'argent.»

[15/07/2004]

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