Côte d'Ivoire
Marcoussis à Accra
Photo : AFP
A peine la rencontre était-elle décidée, début juillet, en marge du sommet de l’Union africaine, que les quatre principaux protagonistes de la crise ivoirienne entamaient un chassé-croisé politique et diplomatique. Le président Gbagbo et ses adversaires des Forces nouvelles et du Rassemblement des Républicains (RDR) se sont disputés les bonnes grâces du côté du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), l’ancien parti unique d’Henri Konan Bédié, qui est resté sur son quant-à-soi. Le président du RDR, Alassane Ouattara, est allé tenter sa chance aux Nations unies, auprès de Kofi Annan, et à la Commission de l’Union africaine, où il a rencontré le président Alpha Konaré. Laurent Gbagbo a aussi échangé des gages de bon voisinage avec le Mali et le Burkina Faso, lors d’un mini-sommet à Bamako le 27 juillet. Le lendemain, il s’est envolé à Brazzaville pour rencontrer le chef de l’Etat congolais, Denis Sassou Nguesso, qui est aussi le président en exercice de la Communauté économique des Etats d'Afrique centrale (CEEAC).
Réaffirmer l’accord de Marcoussis
A Bamako, les présidents malien, ivoirien et burkinabé se sont mis au diapason d’Accra. Ils ont «réaffirmé que l'accord de Linas Marcousis, conclu librement entre les parties en janvier 2003, constitue, à ce jour, une plate forme permettant une sortie de crise». C’était exactement ce que leur demandait trois semaines plus tôt le communiqué de l’Union africaine annonçant que les trois chefs d'Etat «tiendront une réunion tripartite en vue de créer les conditions d'un succès du sommet d'Accra». Au préalable les trois voisins avaient également réactivé leurs commissions mixtes de coopération bilatérales, comme promis à Addis-Abeba. La commission ivoiro-burkinabe s’est refermée le 17 juillet sur la promesse mutuelle de lutter contre toutes «actions de déstabilisation». Le 25 juillet, le Mali et la Côte d'Ivoire ont résolu à leur tour, dans leur commission de coopération, de «renforcer les couloirs économiques sécurisés», avec l’aide des «forces impartiales» de l’Onu et de l’opération française Licorne puisqu’il s’agit de relancer les circuits économiques passant par une zone contrôlée par les anciens rebelles des Forces nouvelles.
Désormais, le cheptel importé au Mali devrait transiter par la ville ivoirienne de Pogo et un nouveau marché au bétail devrait être créé dans une autre cité du nord ivoirien, Ferkessedougou, également frontalière et installée en zone Forces nouvelles. D’autre part, Abidjan et Bamako prévoient l’entrée d’opérateurs économiques maliens au Conseil d'administration du port d'Abidjan par lequel transitaient avant-guerre 70% des échanges commerciaux maliens. Au passage, ces différents arrangements mettent une sourdine aux accusations antérieures et constituent pour Abidjan une manifestation de souveraineté et d’optimisme. C’est aussi ce qui ressort du sommet tripartite organisé mardi dans la capitale malienne où les trois voisins ont tenu le rôle que l’UA attendait d’eux.
Désarmer et préparer les élections
Dans leur communiqué conjoint, Abidjan, Bamako et Ouagadougou «réaffirment» bien sûr leur «engagement à empêcher toute bande armée étrangère de se servir de leur territoire comme base arrière pour des actions de déstabilisation contre leurs pays respectifs et ont convenu de coordonner leurs activités en matière de sécurité frontalière». En échange de cette promesse faite à Laurent Gbagbo, Blaise Compaoré peut rassurer ses compatriotes burkinabé avec la mise en place d’un «système d'alerte permettant à toute personne ou communauté menacée de requérir la protection du gouvernement du pays d'accueil». A Bamako, Laurent Gbagbo s’est déclaré convaincu de pouvoir désormais parler avec ses pairs «d'une seule voix pour agir à Accra comme une personne à trois corps». A la différence de la précédente rencontre tripartite organisée en décembre 2002, assure-t-il, celle du 25 juillet «intervient lors d'une phase de cicatrisation de la plaie ivoirienne. Tous les problèmes sont cernés et nous partons à Accra avec optimisme».
Selon l’Onu, à Accra, il s’agit «d'aider le gouvernement de la Côte d'Ivoire et l'opposition à mettre en oeuvre pacifiquement le plan de paix connu sous le nom d'accord de Linas-Marcoussis». Ce dernier avait été rédigé sous la férule du constitutionnaliste français Pierre Mazeaud, selon la ligne politique recommandée par le ministre des Affaires étrangères français de janvier 2003, Dominique de Villepin. Pour autant, explique le conseiller Afrique du président français Jacques Chirac, Michel de Bonnecorse, Paris ne devrait pas être représenté à Accra «parce cette rencontre est un exercice inter-africain qui fait suite au sommet de l'Union africaine dont la France ne fait pas partie». La présidence française n’en a pas moins son avis sur ce que doit être Accra. Selon Michel de Bonnecorse, «il faut maintenant désarmer, il faut préparer le processus électoral, il faut que les élections aient lieu à la date prévue. Il y a un risque de crise économique qui peut s'ajouter à la crise politique si le calendrier n'est pas respecté». De fait, c’est bien sur l’horizon électoral d’octobre 2005 que les principaux protagonistes de la crise ivoirienne ont les yeux fixés. Mais si les regards convergent, les points de vues restent adverses.
Chargé de mettre en œuvre le programme politique de Marcoussis, le gouvernement de «réconciliation nationale» n’a cessé jusqu’ici de butter sur les réticences, les appétits et les agendas cachés de ses composantes. Le président Gbagbo se cramponne à la Constitution pour ne pas se laisser dépouiller de toutes ses prérogatives et faire front à la présidentielle de 2005. Dans leur volonté d’exister sur l’échiquier politique, les Forces nouvelles refusent (depuis février 2003) de désarmer. L’historique PDCI tente de se refaire une place exclusive en aidant ses concurrents, c’est-à-dire tous les autres, à s’entredéchirer. Le chef du RDR, Alassane Ouattara continue à faire parler de lui et ses partisans à exiger des lois qui autorisent sa présence dans la joute de 2005. Le gouvernement issu de Marcoussis est paralysé depuis les démissions de mars dernier (suite à la répression sanglante d’une manifestation de l’opposition) et les limogeages décidés peu après par le président Gbagbo.
Les pommes de discorde sont toujours les mêmes : délégation des pouvoirs présidentiels au Premier ministre Seydou Diarra, Commission électorale indépendante, code de la nationalité en suspens au Parlement, référendum sur l’amendement de l’article 35 de la Constitution concernant l’éligibilité à la magistrature suprême. Malgré leur engagement commun au G7, PDCI, RDR et Forces nouvelles ne s’accordent pas sur tous ces points d’opposition. De son côté, Laurent Gbagbo ne manquera pas de mettre le désarmement des rebelles dans la balance. Tout cela donnera du grain à moudre à Accra, des motifs de congratulations aussi, pour peu que l’un ou l’autre camp décide de lâcher du lest sur quelque point mineur, gelé jusque là comme poire pour la soif.
par Monique Mas
Article publié le 28/07/2004 Dernière mise à jour le 29/07/2004 à 08:56 TU