Etats-Unis
Kerry à l’assaut de l’Amérique
(Photo: AFP)
De notre envoyé spécial à Boston
Tout au long des quatre jours qu’a duré la grand-messe démocrate, les dirigeants du parti d’opposition ont tout fait pour que l’événement ne dégénère pas en orgie anti-Bush. Ils y sont parvenus, sans pour autant inhiber John Kerry. En clôturant l’événement par un discours-test, le candidat démocrate n’a pas retenu ses coups, servant à des militants frustrés jusque-là par la prudence de la campagne une vigoureuse rhétorique impatiemment attendue. Les attaques étaient enrobées avec suffisamment d’intelligence pour que le ton soit déjà présidentiel et unificateur, autour du slogan : « Plus fort chez nous, respectés dans le monde ».
« Je suis John Kerry, et je me tiens prêt à servir » commence le candidat en délivrant un salut militaire. Parfois jusqu’à l’outrance, la convention a célébré les exploits de guerre de John Kerry, et ses médailles ramenées du Vietnam. Les hommes qui servaient sous ses ordres dans une vedette de combat, surnommée la « Band of Brothers » sont presque tous là, alignés sur la scène du Fleet Center de Boston pour décrire son courage, son leadership et son dévouement à ses hommes. Ils sont accompagnés de Max Cleland, un vétéran qui a perdu ses deux jambes et un bras. Des photos d’un John Kerry jeune, torse nu, médaille d’identification autour du coup et chiot mascotte sur les genoux tapissent les couloirs du palais des sports reconverti en arène politique pour accueillir des milliers de délégués démocrates et de journalistes pour la grand-messe traditionnelle lançant formellement la campagne.
Sur un ton souvent personnel, John Kerry se lance dans un plaidoyer pour la restauration de la « fierté » d’être américain. Après les attentats du 11 septembre, le peuple américain n’a fait plus qu’un, a-t-il rappelé. « Il n’y avait pas de Démocrates. Il n’y avait pas de Républicains. Il n’y avait que des Américains. Combien j’aurais voulu que cela reste ainsi ». Ses attaques indirectes contre George Bush lui valent les applaudissements les plus nourris. Comme lorsqu’il promet de « dire la vérité au peuple américain ». « Je serai un commandant en chef qui ne nous entraînera pas dans une guerre sous de faux prétextes. J'aurai un vice-président qui ne mènera pas de réunions secrètes avec des pollueurs afin de réécrire nos lois sur l'environnement. J'aurai un secrétaire à la Défense qui écoutera les conseils de nos responsables militaires. Et je nommerai un ministre de la Justice qui fera réellement respecter la Constitution » assure-t-il, déchaînant les représentants démocrates regroupés par Etat, arborant des chapeaux ou des bijoux à la gloire de leur parti, et agitant sans relâche les pancartes qu’on leur distribue selon une organisation scientifique.
« Je vois la complexité des choses »
Accusé d’être froid et distant, John Kerry n’hésite plus à parler de lui, à parsemer son discours d’anecdotes personnelles, de souvenirs de son enfance de fils de diplomate, découvrant en cachette Berlin-est. Un film de neuf minutes réalisé avec l’aide de Steven Spielberg a donné de la chair à son personnage, et ses filles, son épouse et ses amis ont auparavant pris le micro pour décrire un homme droit, attachant, dévoué et intègre. John Kerry retourne aussi les arguments avancés contre lui par les Républicains. « Je sais que certains me critiquent parce que je vois la complexité des choses – et c’est vrai– tout simplement parce que certains problèmes ne sont pas aussi simples. Ce n’est pas parce qu’on dit qu’il y a des armes de destruction massive en Irak que c’est vrai pour autant. Ce n’est pas parce qu’on dit qu’on peut mener une guerre à peu de frais que c’est vrai pour autant ». En tant que président, ajoute-t-il, « je vais restaurer cette tradition de notre pays, éprouvée par le temps : les Etats-Unis d’Amérique ne partent jamais en guerre parce qu’ils le souhaitent, nous ne partons en guerre que parce que nous le devons ».
« Nous devons reconstruire nos alliances » estime également le candidat Kerry, « pour que nous puissions frapper les terroristes avant qu’ils ne nous frappent ». C’est également à ce prix que les Etats-Unis pourront commencer à se désengager de l’Irak, affirme-t-il, sans donner de détails. Soucieux de se montrer ferme sur la question de la sécurité nationale, le point fort de George Bush dans l’opinion américaine, il promet de « ne jamais hésiter à utiliser la force quand cela est nécessaire ». Comme nombre de ceux qui l’ont précédé sur le podium, il utilise son expérience de vétéran, parti volontairement se battre au Vietnam. « J’ai défendu ce pays en tant que jeune homme, et je le défendrai en tant que président ». Son programme prévoit d’augmenter de 40 000 personnes les troupes américaines, de doubler le nombre des forces spéciales chargées de lutter contre le terrorisme, et de ne plus utiliser la réserve comme « moyen détourné de conscription ». « Nous gagnerons et vous perdrez » dit-il aux terroristes.
Mais « l’avenir n’appartient pas à la peur, il appartient à la liberté », poursuit-il enflammant un public qui accuse le président Bush de manipuler les alertes terroristes pour en tirer un profit électoral. Il reproche également à l’administration américaine de se draper dans la bannière étoilée et d’accuser quiconque exprime des idées divergentes de ne pas être des patriotes. Il porte aussi le combat en terrain ennemi : « Il est temps pour ceux qui parlent des valeurs familiales d’attacher de la valeur aux familles. Vous n’attachez pas de la valeur aux familles en éjectant les enfants des programmes de soutien scolaire, en retirant les policiers des rues, pour que Enron puisse avoir une exemption fiscale de plus ». La sécurité sociale ne sera pas privatisée, assure-t-il, et des médicaments moins chers seront mis sur le marché.
Son programme économique tourne autour d’aides pour revitaliser le secteur manufacturier, d’investissements dans l’innovation et d’une politique ferme pour mettre un terme aux avantages fiscaux des compagnies qui délocalisent leurs emplois. « Je veux une Amérique qui repose sur sa propre inventivité et innovation, pas sur la famille royale saoudienne » martèle-t-il, en promettant de mettre un terme à la dépendance américaine vis-à-vis du pétrole. Son discours est essentiellement adressé aux classes moyennes, dont il garantit de réduire les impôts, en annulant les baisses d’impôts de l’administration Bush pour les personnes qui gagnent plus de 200 000 dollars par an.
« Ne manipulons pas la constitution des États-Unis »
Le candidat Kerry tente par ailleurs de se hisser au dessus de son opposant, accusé d’avoir divisé et radicalisé l’opinion publique américaine. « Je veux directement adresser ces mots au président George W. Bush : dans les semaines qui viennent, soyons optimistes, et pas seulement des opposants. Construisons une unité dans la famille américaine, pas une division colérique. Honorons la diversité de cette nation ; respectons-nous l’un l’autre, et ne manipulons jamais dans un but politique le document le plus précieux de l’administration américaine, la constitution des États-Unis ». Le président Bush avait en vain tenté d’amender la constitution pour bloquer le mariage homosexuel.
Fait rare, John Kerry parle de sa foi. « Je ne porte pas ma propre foi en bandoulière. Mais la foi m’a donné des valeurs et de l’espoir, du Vietnam à aujourd’hui, de dimanche en dimanche. Je ne veux pas prétendre que Dieu est de notre côté ; comme Abraham Lincoln nous l’a dit, je veux humblement prier que nous soyons du côté de Dieu ».
« Il est temps d’atteindre le prochain rêve. Il est temps de tendre vers le prochain horizon. L’espoir est là pour l’Amérique. Le soleil se lève. Nos jours les meilleurs sont devant nous » conclut-il sous un tonnerre d’applaudissement et un déluge de ballons bleu blanc rouge, alors que la soirée s’achève dans une immense fête.
par Philippe Bolopion
Article publié le 30/07/2004 Dernière mise à jour le 30/07/2004 à 16:25 TU