Liban
L’élection présidentielle divise le pays
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Du sommet de l’Etat à la base de la société, le Liban connaît une polarisation exceptionnelle autour de la question de l’élection présidentielle prévue selon la Constitution entre le 24 septembre et le 24 novembre 2004. Le pays est déchiré entre deux grands courants regroupant chacun des ministres, des députés, des hommes politiques et une partie de l’opinion publique. Ces courants sont en outre appuyés par des puissances régionales et internationales.
Cette échéance est compliquée par une série de considérations politiques et constitutionnelles qui empoisonnent la vie publique depuis de longs mois. C’est ainsi que l’article 49 de la Constitution interdit au chef de l’Etat de briguer deux mandats consécutifs. Et un éventuel amendement de cette clause «à titre exceptionnel et pour seule fois» afin de prolonger le mandat actuel comme cela s’est produit en 1995 -à la demande de Hafez el-Assad dont le pays jouit d’une influence incontournable au Liban- pour permettre une prorogation de trois ans du mandat d’Elias Hraoui, a peu de chance de passer. La majorité de la classe politique, le chef de l’Eglise maronite, mais également les Etats-Unis et la France, refuseraient en effet de cautionner un tel amendement «taillé sur mesure pour servir les intérêts d’une seule personne», en l’occurrence Emile Lahoud. De plus, l’opposant le plus illustre à un maintien d’Emile Lahoud au pouvoir est le Premier ministre Rafic Hariri. Le chef du gouvernement combat ouvertement cette option, et il a récemment proféré des menaces, exprimées sous forme d’un souhait, de quitter sa charge si son ennemi intime était appelé à rester aux commandes de l’Etat dans les années à venir.
Difficile cohabitation
La cohabitation entre MM. Lahoud et Hariri qui dure depuis septembre 2000 se passe très mal. Les deux hommes s’opposent sur presque tous les sujets : de la privatisation à la reconstruction, en passant par les dossiers politiques tel le rôle militaire du Hezbollah ou encore l’attitude à l’égard de l’invasion américaine de l’Irak. Résultat : le gouvernement se réunit une fois toutes les trois semaines, les autres institutions sont bloquées et les nominations administratives reléguées aux calendes grecques.
Le Premier ministre, richissime homme d’affaire, est le moteur d’un vaste courant hostile au maintien d’Emile Lahoud au pouvoir, comprenant une grande partie de la classe politique, dont des figures de proue comme le leader druze Walid Joumblatt et des opposants chrétiens. Cette classe politique souhaite écarter ce président issu des rangs de l’armée, et qui n’a pas caché son intention, les deux premières années de son mandat, de gouverner sans les hommes politiques traditionnels pour qui il n’a pas beaucoup d’estime. Mais Emile Lahoud, qui n’a encore jamais exprimé publiquement son souhait de rester à son poste, possède de nombreux atouts. L’armée, le Hezbollah et une partie de la classe politique le soutiennent.
Les élections municipales de mai dernier ont été l’occasion de mesurer la popularité de chacun. Et comme par hasard, les détracteurs de Lahoud, notamment Rafic Hariri, l’opposition chrétienne et le président de la Chambre Nabih Berry, ont perdu de l’influence ou ont carrément été battus. En revanche, ceux qui soutenaient le président, comme le Hezbollah ou Michel Murr, notable de Metn au cœur du Mont-Liban, ont enregistré d’importants succès.
Mais l’atout maître d’Emile Lahoud reste le soutien indéfectible que lui apportent la Syrie et son président Bachar el-Assad. Damas a une confiance aveugle dans le chef de l’Etat libanais qui coordonne étroitement la politique étrangère du Liban avec celle de la Syrie et prend des décisions s’inscrivant totalement dans le cadre de la stratégie régionale syrienne. Il refuse ainsi de désarmer le Hezbollah, d’envoyer l’armée au Sud-Liban et de fermer les bureaux de représentation des organisations palestiniennes à Beyrouth, comme le réclame Washington, et reste ferme sur les questions de la paix avec Israël et des réfugiés palestiniens. De quoi rassurer Damas qu’aucune «mauvaise surprise» ne viendra de son flanc ouest.
Montage constitutionnel
Pour surmonter l’obstacle de l’amendement constitutionnel sur mesure rejeté par tout le monde, la loi fondamentale serait modifiée non pas «à titre exceptionnel et pour une seule fois», mais de façon permanente. Ainsi, la durée du mandat serait ramenée de six à quatre ou cinq ans, et le président de la République autorisé à briguer deux mandats consécutifs. Dès lors, on ne parle plus d’une prolongation du mandat mais d’une reconduction. Emile Lahoud serait ainsi reconduit à la suite d’une élection à laquelle aurait participé d’autres candidats. Quatre députés, dont une femme, ont d’ailleurs d’ores déjà fait acte de candidature. Et lorsque l’on sait que plus des deux tiers des parlementaires sont influencés d'une manière ou d’une autre par la Syrie, on est sûr qu’aucun imprévu ne surviendra.
Afin d’affaiblir Rafic Hariri et de le rendre moins indispensable pour la gestion des finances publiques, Damas a encouragé Emile Lahoud à lancer des opérations de crédits croisés (swap) dans le but de rééchelonner une partie de l’immense dette publique (35 milliards de dollars) qui vient à échéance ces deux prochaines années. Reste à convaincre Washington de tempérer ses réticences à l’égard du président sortant. Quelques concessions syriennes sur le dossier irakien feraient l’affaire. D’ailleurs, l’accueil chaleureux auquel le Premier ministre irakien Iyad Allaoui a eu droit à Damas comme à Beyrouth, et les accords de coopération signés même dans le domaine sécuritaire, illustrent à quel point le régime syrien sait faire preuve de pragmatisme.
Maintenant, tout est en ordre pour la reconduction d’Emile Lahoud… ou pour l’élection d’un nouveau président. Car la Syrie, passée maître dans l’art de la dissimulation, n’a pas encore dit son dernier mot.
par Paul Khalifeh
Article publié le 31/07/2004 Dernière mise à jour le 31/07/2004 à 13:19 TU