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Liban

L’armée ouvre le feu sur des manifestants

Le ministère du Travail en proie aux flammes après les affrontements entre les manifestants et l'armée. 

		(Photo : AFP)
Le ministère du Travail en proie aux flammes après les affrontements entre les manifestants et l'armée.
(Photo : AFP)
Le Liban n’avait pas connu pareilles violences depuis 1992. Plongée dans une crise économique sans précédent, le pays a en effet vécu jeudi une journée sanglante avec la mort de six civils, parmi lesquels une femme. Une quarantaine d’autres personnes ont en outre été blessées. L’armée a en effet tiré sur la foule qui s’était rassemblée pour manifester contre notamment la baisse du pouvoir d’achat et l’augmentation du prix de l’essence qui en un an a doublé.

La journée de jeudi devait être une journée de mobilisation contre la politique d’austérité menée par le gouvernement de Rafik Hariri, responsable aux yeux des Libanais de la grave crise économique que traverse le pays. L’appel à la grève, lancé par la Confédération général des travailleurs du Liban (CGTL) pour notamment réclamer une baisse du prix de l’essence, qui a augmenté de 25% en quelques semaines pour atteindre les 0,85 dollars le litre, a ainsi été massivement suivi. Une quarantaine de syndicats ont en effet répondu à cet appel paralysant les secteurs de l’enseignement privé et public tout comme celui des entreprises. Même l’Association des industriels libanais s’était solidarisée avec le mouvement en proclamant un arrêt des activités commerciales dans le pays sans toutefois stopper la production.

Jeudi en fin de matinée, plus de 2 000 personnes, entourées certes d’un service d’ordre musclé, avaient ainsi défilé dans le calme à Beyrouth et des manifestations similaires s’étaient déroulées dans les principales villes du pays. Rien ne laissait donc présager un tel débordement de violences. La situation a en fait dégénéré lorsque les forces de l’ordre ont utilisé des canons à eau pour disperser un rassemblement dans le quartier Hay as-Sollom, une banlieue chiite de la capitale. Les manifestants ont réagi en lançant des pierres, ce à quoi la troupe a répliqué en tirant sur la foule. Dans un communiqué, l’armée a justifié son action en affirmant que ses soldats étaient intervenus pour rouvrir les routes qui avaient été bloquées par des pneus enflammés. Selon elle, les militaires ont été contraints d’ouvrir le feu sur «certains manifestants qui cherchaient à s’emparer de véhicules de l’armée».

Hommes politiques et syndicalistes sont très vite intervenus pour tenter de ramener le calme mais en vain puisque la situation n’a fait qu’empirer. Des groupes de jeunes ont ainsi mis à sac les locaux du ministère du Travail. Les cinq premiers étages du bâtiment qui en compte sept ont entièrement été brûlés. Selon des témoins, plusieurs dizaines de personnes ont pénétré dans l’immeuble. «Ils ont jeté des ordinateurs par les fenêtres, volé des dossiers et quitté le bâtiment  après y avoir mis le feu», a notamment raconté l’un d’eux. Le calme n’est revenu que tard dans la nuit. Vendredi matin, l’armée était déployée en force sur les principaux axes routiers de la capitale.

La bataille pour la présidentielle déjà engagée ?

Réagissant à ces violences, le chef de l’Etat Emile Lahoud –un proche du régime syrien de Bachar al-Assad à qui il doit largement son élection– a demandé l’ouverture d’une enquête. Un communiqué de la présidence précise que la demande a été faite afin d’«éclaircir les circonstances qui ont conduit à ces affrontements  et prendre les mesures légales nécessaires». Le Premier ministre, Rafik Hariri a pour sa part «profondément regretté» ces incidents. Il a également mis en garde contre «les dangers de détourner le mouvement syndical de ses objectifs et d’exploiter les causes sociales ou d’utiliser les jeunes à des fins politiques personnelles». Le chef du gouvernement devait sans doute avoir en mémoire la manifestation de 1992, également organisée contre la cherté de la vie, qui avait conduit à la chute du Premier ministre de l’époque, Omar Karamé, qu’il avait lui-même remplacé.

Car au-delà des revendications sociales, il semblerait, à en croire les observateurs, que la bataille pour la présidentielle de l’automne prochain soit d’ores et déjà amorcée. Une partie de la presse libanaise évoque ainsi ouvertement en toile de fond des événements de jeudi les luttes intestines au sein du pouvoir. Dans un éditorial au ton très vif, Al-Mostaqbal, le journal du Premier ministre, estime que les événements de jeudi participent d'un «complot» ourdi par l'équipe de M. Lahoud pour évincer M. Hariri, pavant la voie à la reconduction du mandat présidentiel. «Il est certain qu'à l'origine de l'exploitation des revendications sociales, il existe des objectifs politiques précis», affirme notamment ce journal.

Le chef du gouvernement libanais a vu ces dernières semaines sa marge de manœuvre réduite après les revers de son parti aux élections municipales qui ont en revanche conforté la position des proches du président Lahoud. Mais le dangereux dérapage de l'armée lors des affrontements de jeudi pourrait bien jouer en défaveur du chef de l’Etat qui est également commandant en chef des armées. «Ceux qui ont voulu faire de cette journée un prélude au départ de M. Hariri ont joué les apprentis sorciers», a ainsi estimé le chercheur Samir Kassir, professeur à l'Université Saint-Joseph.

 



par Mounia  Daoudi

Article publié le 28/05/2004 Dernière mise à jour le 28/05/2004 à 16:08 TU

Audio

Frédéric Domont

Envoyé spécial permanent de RFI au Liban

«Difficile retour au calme à Beyrouth.»

[28/05/2004]

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