Burundi
Désaccord ratifié à Pretoria
(Photo : AFP)
Après avoir relayé deux ans durant à Arusha le défunt père de la nation tanzanienne, Julius Nyerere, Nelson Mandela avait jeté l’éponge en août 2000 sur un accord de paix sans cessez-le-feu qui prenait acte à sa manière de la réalité d’un «apartheid» burundais imperméable à toute solution politique ordinaire. Après être parvenu à ce que la classe politique burundaise se définisse explicitement dans des groupes adverses à dominante tutsi ou hutu, après avoir appelé à son chevet les grands de ce monde, Bill Clinton sur écran géant faisant savoir aux Burundais qu’il se souciait d’eux, qu’il les avait à l’œil, après avoir lui-même décrit le problème burundais comme né de «la domination d’une minorité sur la majorité», Nelson Mandela avait donné aux interminables négociations d’Arusha une conclusion provisoire fondée sur une transition à parité ethnique. Quatre ans plus tard, le projet d’accord de son successeur, le vice-président Jacob Zuma, butte sur le même obstacle, la hantise des urnes pour ceux que le partage négocié du pouvoir a finalement bien servi.
Comme Mandela, Zuma a tenté de faire avancer le train de la paix en proposant un texte de son cru discuté pied à pied par les partenaires burundais. A ses yeux, il est censé organiser une représentation équilibrée des trois communautés burundaises (hutu, tutsi et twa) dans les nouvelles institutions. Il tient compte aussi du fait que les anciens partis parlementaires, essentiellement l’Uprona de l’ancien président Buyoya et le front démocratique burundais (Frodebu) du président Ndayizeye, mais aussi le mouvement de lutte armée issu du Frodebu, le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD) ne sont pas ethniquement homogènes. L’accord de Pretoria prévoit donc l'élection «au suffrage universel direct» d'un président de la République qui devra nommer deux vice-présidents issus «de groupes ethniques et de partis politiques différents». Il stipule d’autre part que le Conseil des ministres et l'Assemblée nationale compteront 60% de Hutu et 40% de Tutsi. L’Assemblée devra toutefois réserver trois sièges à des Twa et les femmes devront représenter «un minimum de 30% des députés».
Le texte crée en outre une chambre haute, un Sénat «sur la base de représentation 50/50 de Hutu et de Tutsi et de trois sénateurs twa». Il exige là aussi un quota de 30% de femmes sénateurs. Au niveau local très âprement convoité, «les administrateurs communaux sont constitués sur la base d’une représentation de 67% et de 33% de Hutu et Tutsi respectivement, dépendant des variations qui puissent être introduites par le Sénat en tenant compte de la diversité ethnique réelle dans chaque commune». Enfin, les entreprises d’Etat aussi se voient imposer «une représentation de 60/40 Hutu/Tutsi». La nouvelle Constitution ainsi amendée doit être adoptée «par voie référendaire».
En attendant des élections
Jusqu’à présent, le médiateur sud-africain, Jacob Zuma, avait vigoureusement repoussé les tentatives du président Ndayizeye pour prolonger la transition au delà du 30 octobre. Aujourd’hui, il peut surseoir, le temps de tenir des élections, parce qu’il dispose désormais d’un texte constitutionnel contresigné par ce même Domitien Ndayizeye et une kyrielle de micro partis surgis à la table du partage du pouvoir. Les autres composantes importantes de la crise burundaise – l’Uprona, le CNDD et les FNL – n’étaient pas au rendez- vous de Pretoria. Les FNL continuent de faire le coup de feu dans la province capitale de Bujumbura rural, à la différence du CNDD dont la branche armée, le FDD a déposé les armes à la signature d’un cessez-le-feu, en décembre 2002. Le 8 octobre 2003, le CNDD a conclu un accord politico-militaire qui lui a ouvert les portes du gouvernement de transition. Mais, à l’instar de l’Uprona, il continue à placer la barre à la hauteur de ses ambitions longuement servies par les armes.
«Certains font l'histoire, d'autres écrivent l'histoire. Nous sommes en train de faire l'histoire au Burundi», a lancé Jacob Zuma, un sourire mordant au bord des lèvres, digne héritier de la méthode Mandela. Une charte fondamentale validée par une vingtaine de paraphes promet de combler le vide juridique du 1er novembre. Pour sa part, Domitien Ndayizeye ne perd rien à la signer. Il est en ordre de bataille avec, en ligne de mire, l’horizon électoral, proche ou lointain. Mais au Burundi, nul ne peut chasser de sa mémoire 1993. Cette année là, l’alternance sortie des urnes de juin avait succombé en octobre avec l’assassinat, par des militaires tutsi, du premier président hutu du pays, Melchior Ndadaye. Il était alors le candidat du Frodebu contre le major Buyoya dont l’Uprona avait dû aussi céder la majorité des sièges au parlement. A l’époque, l’Uprona et ses satellites avaient dénoncé les résultats électoraux comme un «coup d’Etat démographique». C’est toujours l’idée que se font de l’alternance démocratique les anciens tenants du pouvoir.
Le Burundi émerge difficilement de quarante ans d’un équilibre de la terreur où les artisans d’une répression sans merci ont régulièrement justifié leur politique d’endiguement de la majorité hutu par la menace présumée d’un génocide des Tutsi (la minorité Twa étant considéré par les deux autres communautés comme quantité négligeable). Aujourd’hui encore, les appétits se crispent sur une répartition ethnique des fauteuils, degré zéro du politique dans un pays où les catégories hutu, tutsi et twa ne sont d’ailleurs ni ethniques ni hermétiques. La fin de la transition approchant, l’Uprona réclame des «garanties» supplémentaires pour les Tutsi qui bien évidemment, au regard de leur nombre (évalué autour de 15% de la population), ne peuvent pas l’emporter sous cette seule étiquette identitaire à quelque élection ou référendum que ce soit.
Comme le dit le président de l’Uprona, Jean-Baptiste Manwangari, «la participation des partis tutsi au pouvoir serait nulle après les élections». Entre autres revendications, l’Uprona souhaite donc un pouvoir bicéphale avec un seul vice-président, issu de ses rangs, bien sûr, et doté de prérogatives équivalentes à celles du président élu qui devrait donc ensuite la coopter et prendre en compte ses propositions. Parti-Etat pendant des décennies, l’Uprona veut survivre à la nouvelle alternance comme elle a survécu à celle de 1993. C’est pourquoi le quota élevé de Tutsi prévu dans les deux chambres comme au gouvernement ne lui suffisent pas puisque d’autres partis – et c’est déjà le cas du Frodebu et du CNDD, depuis leur naissance – sont capables d’y pourvoir d’autant mieux que les goûts et les couleurs sont très largement conditionnés au Burundi par les chances de «gagner». Pour autant, le CNDD ne se voit guère de raison de ménager une telle place à l’Uprona et compte bien damer le pion électoral à ses anciens compagnons du Frodebu. Jacob Zuma espère sans doute que tout en refusant de signer l’accord de Pretoria, les deux poids lourds Uprona et CNDD renonceront à prendre le sentier de la guerre. L’impasse politique prendrait alors au moins figure de sursis.
par Monique Mas
Article publié le 06/08/2004 Dernière mise à jour le 06/08/2004 à 15:20 TU