Burundi
Des inconnues dans l’équation de la paix
Une semaine après la signature d’un Accord global de cessez-le-feu à Dar-es-Salaam (Tanzanie), le chef du CNDD-FDD (Comité/Forces pour la défense de la démocratie), Pierre Nkurunziza, a pris place ce 23 novembre dans le gouvernement issu du partage du pouvoir, conclu le 8 octobre dernier à Pretoria. Ministre d’Etat chargé de la bonne gouvernance et de l’inspection générale de l’Etat, l’ancien rebelle hutu occupe désormais la troisième position dans l’exécutif, derrière le président Domitien Ndayizeye (Hutu du Frodebu) et le vice-président Alphonse-Marie Kadege (Tutsi de l’Uprona). Le CNDD-FDD obtient également les portefeuilles de l’Intérieur, de la Communication et des Travaux publics dans le nouveau gouvernement de transition de 27 membres. Elles se voient en outre octroyés la vice-présidence de l’Assemblée nationale, son secrétariat général adjoint et 15 sièges de députés. Toutefois, la transformation du CNDD-FDD en parti politique est retardée par le cantonnement de ses troupes qui traîne en longueur.
Les partenaires de la transition n’ont fait aucune difficulté pour admettre l’entrée au gouvernement et au parlement du CNDD, avant même que ses Forces pour la défense de la démocratie (FDD) n’aient été cantonnées et intégrées dans la nouvelle armée nationale, selon le modus operandi préalablement fixé à 50/50 pour les troupes et à 40/60 pour le commandement. Pour le moment, les anciens adversaires du CNDD-FDD lui font crédit de sa bonne foi et, le concernant, nul ne relève la moindre infraction au cessez-le-feu. Chacun assure que l’arrivée imminente de ses cadres dirigeants va formaliser le regroupement des anciens combattants rebelles. Ce dernier a en effet commencé en l’absence des structures initialement envisagées. Et la Banque mondiale qui devait financer le cantonnement fait machine arrière parce que les ex-rebelles vont arriver, non seulement avec leurs bagages, mais surtout avec leurs armes.
Selon le protocole d’accord signé le 2 novembre à Pretoria, sous l’égide de l’Afrique du Sud qui a déployé 1 600 casques blancs au Burundi, le cantonnement devait débuter le 21 novembre et «c’est après le cantonnement qui signifie la renonciation de la lutte armée que nous allons devenir un parti politique», explique le porte-parole des FDD, le major Gélase Daniel Ndabirabe. Il assure par ailleurs que des ordres ont déjà été lancés de l’autre côté de la frontière pour le rapatriement des troupes FDD basées au Congo-Kinshasa. Le 11 novembre, le chef de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), William Swing, est venu discuter de la question à Bujumbura avec le président Ndayizeye. Pendant ce temps, le secrétaire général des CNDD-FDD, Hussein Radjabu s’était envolé à Kinshasa pour expliquer aux autorités congolaises le contenu des divers accords conclu avec le gouvernement burundais. Dans le conflit polymorphe qui ensanglante la région depuis une décennie, le pachyderme congolais a eu en effet à subir ou à encourager les guerres civiles de ses petits voisins. Et pour se consolider, la paix se doit d’être aussi transfrontalière que la guerre.
Fermer le cercle contre les FNL
L’armée burundaise n’a jamais failli à son droit de suite de l’autre côté du lac Tanganyika, pourchassant ses rebelles installés dans le Kivu congolais, en particulier dans la région d’Uvira et de la plaine de la Rusisi. La chaîne de commandement rebelle voyait quant à elle beaucoup plus loin, jusqu’à Lumumbashi voire Kinshasa, où les régimes Kabila successifs ont fermé les yeux sur tous ceux qui ressemblaient de près ou de loin à des ennemis de Kigali et de ses alliés congolais. Les explications de texte données à Kinshasa ne sont donc sans doute pas inutiles. Elles sont surtout une manière de refermer le cercle contre l’autre faction rebelle, toujours en guerre au Burundi, celle des Palipehutu-FNL (Parti pour la libération du peuple hutu-Forces nationales de libération) de Rwasa Agaton. L’existence même des FNL explique en effet largement les efforts de compréhension de la transition Ndayizeye à l’égard des FDD et son empressement à élargir le gouvernement aux anciens rebelles.
Lorsqu’il s’agira de former concrètement la nouvelle armée nationale, nul doute que des tiraillements se feront jour entre ceux qui redoutent de perdre la main sur le pouvoir (les anciens tenants du titre Uprona par exemple), ceux qui sont partisans de changer d’alliance pour durer et les nouveaux venus des FDD. Au passage, grâce à la quantité de soldats plus ou moins bien entraînés qu’ils peuvent aligner, les FDD, s’ils n’ont pas gagné la guerre, se sont au moins taillé la part du lion dans le système sécuritaire en gestation. En la matière, la comparaison est sans appel avec les militants de la même cause restés sur le terrain politique (le Frodebu de Ndayizeye en particulier). Mais pour le moment, la transition concoctée à Arusha en août 2000 a une double mission à accomplir : trouver la paix et conduire le pays à des élections, le tout en un an, puisque l’accord prévoit qu’après les 18 mois effectués par le major Pierre Buyoya (novembre 2001-avril 2002), Domitien Ndayizeye verra son mandat échoir fin octobre 2004. Ensuite, à défaut d’un pouvoir issu des urnes, ce serait le vide institutionnel.
Le temps presse, les Burundais se montrent sceptiques, d’autant que les mortiers tonnent toujours régulièrement, jusque dans la capitale, à Kinama récemment où des attaques FNL viennent de faire plusieurs morts, mais aussi en maints autres endroits de Bujumbura rural où le Palipehutu-FNL est incrusté depuis des lustres. Né en 1970 en exil au Rwanda, le Palipehutu a grandi dans les camps de réfugiés hutu de Tanzanie où il a commencé à s’organiser autour d’une poignée de fusils de chasse avant de se durcir sous les auspices du régime rwandais Habyarimana et de se militariser pendant les années quatre-vingt-dix, en particulier après l’assassinat par des militaires, en octobre 1993, du premier président hutu élu du Burundi, Melchior Ndadaye, le candidat du Frodebu. Et justement, pour les FNL, ce meurtre n’a pas seulement tué dans l’œuf la démocratie burundaise. Il a surtout stigmatisé l’échec d’une voie politique qu’ils rechignaient déjà à prendre et renforcé leur vision radicale d’une solution purement militaire. Aujourd’hui comme hier, l’objectif affiché est de renverser le pouvoir. Mais il sera de plus en plus difficile d’identifier ce dernier à l’armée. Et celle-ci aussi devrait voir s’estomper ses contours et ses affectations monoethnique.
Cette vision ethnique de la question burundaise a finalement été entérinée par l’ensemble des partenaires d’Arusha, rangés d’eux-mêmes en ordre de bataille ethnique dans des groupes d’influence hutu et tutsi. Elle l’a aussi été dans les différents accords de partage des pouvoirs politique et militaire. En 2000, les CNDD-FDD avaient boycotté Arusha. Ils montent aujourd’hui dans le train de la transition. Les FNL s’y refusent toujours. Entre temps, leurs préalables et autres conditions de négociations ont été jetées au panier sans un mot. Eux mêmes se sont purgés de leurs récalcitrants, voire de leurs meilleures têtes pensantes. Certains n’ont pas fait illusion en tentant de négocier. D’autres ont été assassinés. Aujourd’hui, Agaton Rwasa persiste à dire que son véritable ennemi est l’armée tutsi et que c’est donc avec elle qu’il veut négocier. Il paraît en quelque sorte en retard d’une guerre, mais de fait, sa capacité de nuisance militaire reste effective. A Dar-es-Salam, le 16 novembre dernier, les parrains régionaux de l’accord entre le gouvernement et les FDD ont lancé un nouvel ultimatum aux FNL. C’est un leitmotiv depuis la fin des années quatre-vingt-dix, tous les sommets régionaux se soldant par des sommations à l’intention des rebelles burundais, FDD et FNL longtemps, FNL tous seuls aujourd’hui. Et cette fois, gouvernement, FDD et chefs d’Etats de la région ont donné trois mois aux FNL pour rejoindre la transition, sinon… ?
Les FNL compteraient entre 1 500 et 2 500 combattants. Mais en fait, ces chiffres sont incertains et volatils. Ceux des FDD aussi, bien sûr. Dans la perspectives d’une place dans l’armée ou la police, les obédiences ont tendance à s’effacer. Et c’est sûrement tant mieux. D’autant que la circulation des armes légères dans la région a aussi fait monter en puissance un banditisme de circonstance et que les collines misérables sont d’inépuisables viviers pour tout retour de feu rebelle. Mais surtout, les FNL opèrent dans la région capitale du Burundi. Une position convoitée et très exposée car c’est aussi la vitrine de Bujumbura qui reflète immédiatement les actions de la transition. Celle-ci est décidée à ne pas renvoyer l’image d’un échec. Dans ses nouvelles fonctions, le chef du CNDD-FDD, «Pierre Nkurunziza sera le troisième personnage de l’exécutif. Il sera consulté sur toute les questions, spécialement sur celles qui concernent la mise en application de l’accord de paix», explique le président Ndayizeye. A côté du président hutu, du vice-président tutsi et des anciens rebelles FDD, il ne manque plus que la quatrième roue du carrosse burundais : les FNL.
Selon le protocole d’accord signé le 2 novembre à Pretoria, sous l’égide de l’Afrique du Sud qui a déployé 1 600 casques blancs au Burundi, le cantonnement devait débuter le 21 novembre et «c’est après le cantonnement qui signifie la renonciation de la lutte armée que nous allons devenir un parti politique», explique le porte-parole des FDD, le major Gélase Daniel Ndabirabe. Il assure par ailleurs que des ordres ont déjà été lancés de l’autre côté de la frontière pour le rapatriement des troupes FDD basées au Congo-Kinshasa. Le 11 novembre, le chef de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), William Swing, est venu discuter de la question à Bujumbura avec le président Ndayizeye. Pendant ce temps, le secrétaire général des CNDD-FDD, Hussein Radjabu s’était envolé à Kinshasa pour expliquer aux autorités congolaises le contenu des divers accords conclu avec le gouvernement burundais. Dans le conflit polymorphe qui ensanglante la région depuis une décennie, le pachyderme congolais a eu en effet à subir ou à encourager les guerres civiles de ses petits voisins. Et pour se consolider, la paix se doit d’être aussi transfrontalière que la guerre.
Fermer le cercle contre les FNL
L’armée burundaise n’a jamais failli à son droit de suite de l’autre côté du lac Tanganyika, pourchassant ses rebelles installés dans le Kivu congolais, en particulier dans la région d’Uvira et de la plaine de la Rusisi. La chaîne de commandement rebelle voyait quant à elle beaucoup plus loin, jusqu’à Lumumbashi voire Kinshasa, où les régimes Kabila successifs ont fermé les yeux sur tous ceux qui ressemblaient de près ou de loin à des ennemis de Kigali et de ses alliés congolais. Les explications de texte données à Kinshasa ne sont donc sans doute pas inutiles. Elles sont surtout une manière de refermer le cercle contre l’autre faction rebelle, toujours en guerre au Burundi, celle des Palipehutu-FNL (Parti pour la libération du peuple hutu-Forces nationales de libération) de Rwasa Agaton. L’existence même des FNL explique en effet largement les efforts de compréhension de la transition Ndayizeye à l’égard des FDD et son empressement à élargir le gouvernement aux anciens rebelles.
Lorsqu’il s’agira de former concrètement la nouvelle armée nationale, nul doute que des tiraillements se feront jour entre ceux qui redoutent de perdre la main sur le pouvoir (les anciens tenants du titre Uprona par exemple), ceux qui sont partisans de changer d’alliance pour durer et les nouveaux venus des FDD. Au passage, grâce à la quantité de soldats plus ou moins bien entraînés qu’ils peuvent aligner, les FDD, s’ils n’ont pas gagné la guerre, se sont au moins taillé la part du lion dans le système sécuritaire en gestation. En la matière, la comparaison est sans appel avec les militants de la même cause restés sur le terrain politique (le Frodebu de Ndayizeye en particulier). Mais pour le moment, la transition concoctée à Arusha en août 2000 a une double mission à accomplir : trouver la paix et conduire le pays à des élections, le tout en un an, puisque l’accord prévoit qu’après les 18 mois effectués par le major Pierre Buyoya (novembre 2001-avril 2002), Domitien Ndayizeye verra son mandat échoir fin octobre 2004. Ensuite, à défaut d’un pouvoir issu des urnes, ce serait le vide institutionnel.
Le temps presse, les Burundais se montrent sceptiques, d’autant que les mortiers tonnent toujours régulièrement, jusque dans la capitale, à Kinama récemment où des attaques FNL viennent de faire plusieurs morts, mais aussi en maints autres endroits de Bujumbura rural où le Palipehutu-FNL est incrusté depuis des lustres. Né en 1970 en exil au Rwanda, le Palipehutu a grandi dans les camps de réfugiés hutu de Tanzanie où il a commencé à s’organiser autour d’une poignée de fusils de chasse avant de se durcir sous les auspices du régime rwandais Habyarimana et de se militariser pendant les années quatre-vingt-dix, en particulier après l’assassinat par des militaires, en octobre 1993, du premier président hutu élu du Burundi, Melchior Ndadaye, le candidat du Frodebu. Et justement, pour les FNL, ce meurtre n’a pas seulement tué dans l’œuf la démocratie burundaise. Il a surtout stigmatisé l’échec d’une voie politique qu’ils rechignaient déjà à prendre et renforcé leur vision radicale d’une solution purement militaire. Aujourd’hui comme hier, l’objectif affiché est de renverser le pouvoir. Mais il sera de plus en plus difficile d’identifier ce dernier à l’armée. Et celle-ci aussi devrait voir s’estomper ses contours et ses affectations monoethnique.
Cette vision ethnique de la question burundaise a finalement été entérinée par l’ensemble des partenaires d’Arusha, rangés d’eux-mêmes en ordre de bataille ethnique dans des groupes d’influence hutu et tutsi. Elle l’a aussi été dans les différents accords de partage des pouvoirs politique et militaire. En 2000, les CNDD-FDD avaient boycotté Arusha. Ils montent aujourd’hui dans le train de la transition. Les FNL s’y refusent toujours. Entre temps, leurs préalables et autres conditions de négociations ont été jetées au panier sans un mot. Eux mêmes se sont purgés de leurs récalcitrants, voire de leurs meilleures têtes pensantes. Certains n’ont pas fait illusion en tentant de négocier. D’autres ont été assassinés. Aujourd’hui, Agaton Rwasa persiste à dire que son véritable ennemi est l’armée tutsi et que c’est donc avec elle qu’il veut négocier. Il paraît en quelque sorte en retard d’une guerre, mais de fait, sa capacité de nuisance militaire reste effective. A Dar-es-Salam, le 16 novembre dernier, les parrains régionaux de l’accord entre le gouvernement et les FDD ont lancé un nouvel ultimatum aux FNL. C’est un leitmotiv depuis la fin des années quatre-vingt-dix, tous les sommets régionaux se soldant par des sommations à l’intention des rebelles burundais, FDD et FNL longtemps, FNL tous seuls aujourd’hui. Et cette fois, gouvernement, FDD et chefs d’Etats de la région ont donné trois mois aux FNL pour rejoindre la transition, sinon… ?
Les FNL compteraient entre 1 500 et 2 500 combattants. Mais en fait, ces chiffres sont incertains et volatils. Ceux des FDD aussi, bien sûr. Dans la perspectives d’une place dans l’armée ou la police, les obédiences ont tendance à s’effacer. Et c’est sûrement tant mieux. D’autant que la circulation des armes légères dans la région a aussi fait monter en puissance un banditisme de circonstance et que les collines misérables sont d’inépuisables viviers pour tout retour de feu rebelle. Mais surtout, les FNL opèrent dans la région capitale du Burundi. Une position convoitée et très exposée car c’est aussi la vitrine de Bujumbura qui reflète immédiatement les actions de la transition. Celle-ci est décidée à ne pas renvoyer l’image d’un échec. Dans ses nouvelles fonctions, le chef du CNDD-FDD, «Pierre Nkurunziza sera le troisième personnage de l’exécutif. Il sera consulté sur toute les questions, spécialement sur celles qui concernent la mise en application de l’accord de paix», explique le président Ndayizeye. A côté du président hutu, du vice-président tutsi et des anciens rebelles FDD, il ne manque plus que la quatrième roue du carrosse burundais : les FNL.
par Monique Mas
Article publié le 24/11/2003 Dernière mise à jour le 23/11/2003 à 23:00 TU