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Burundi

Bras de fer entre Hutus

Les rebelles du Palipehutu-FNL (Parti pour la libération du peuple hutu - Forces nationales de libération) accentuent leur pression militaire sur la capitale, Bujumbura. Ils ne reconnaissent pas comme interlocuteur le président hutu, Domitien Ndayizeye, qui a succédé le 1er mai dernier au major tutsi Pierre Buyoya, à la tête de la transition politique. Les FNL sont en lutte armée contre ce qu’ils considèrent comme une domination de la majorité hutu par la minorité tutsiE. Leur objectif est de renverser un système dont l’armée est, selon eux, le principal pilier. A la différence de l’autre important mouvement rebelle armé, les Forces pour la défense de la démocratie (FDD), les FNL n’ont jamais ouvert de négociations avec le pouvoir Buyoya qui s’est de son côté employé à les décapiter. Aujourd’hui ils réaffirment leur désaveu du compromis ethnico-politique issu d’Arusha le 28 août 2000. Ils exigent des négociations avec leur ennemi principal, l’armée tutsi, ou ses représentants.
En dix ans de conflit ouvert, ce n’est pas la première fois que Bujumbura se réveille au son du canon. Ses banlieusards ont de longue date pris l’habitude de prendre leur paquetage sur la tête et chacun sait que nombre de soldats-laboureurs, ou plutôt de guérilleros planteurs de haricots arpentent les sentiers de chèvres des collines ravinées de Bujumbura rural. Mais aujourd’hui plus qu’hier, les tirs de mortier résonnent comme des coups de semonce aux oreilles du président Ndayizeye qui a pris le 1er mai dernier la relève du président Buyoya pour six mois. Les FNL d’Agathon Rwasa se rappellent à son bon souvenir pour lui signifier que dirigée par un Hutu ou par un Tutsi, ils rejettent cette transition «tournante» qui doit conduire le pays à des élections, mais d’abord à la paix. Depuis lundi, obus et roquettes perdus pleuvent jusqu’au centre de Bujumbura. Un marché et un bâtiment de la banque centrale ont été notamment touchés. Les hélicoptères et les avions de l’armée pilonnent les positions rebelles qui surplombent la capitale. Des combats se succèdent dans les quartiers périphériques, tuant un nombre indéterminé de civils et de militaires (les bilans restent confidentiels) et chassant des milliers d’habitants, rapidement expédiés hors la ville par l’armée, «pour éviter le désordre dans le centre ville et qu’ils ne sèment la panique parmi les autres habitants».

Le 1er juillet dernier, pendant les célébrations du 41 ème anniversaire de l’indépendance de l’ancienne colonie belge, Domitien Ndayizeye a promis d’augmenter la force de frappe de l’armée pour en finir avec une rébellion qui n’a trouvé jusqu’à présent aucune solution politique, ni même d’ailleurs aucune amorce de négociations sur un cessez-le-feu. Reste que cette déclaration offensive conforte tout au plus la stratégie des FNL. Ces derniers sont radicalement opposés au compromis politico-ethnique en forme de partage du pouvoir concocté à Arusha (1998-2000) par la médiation sud africaine. Ils s’attachent donc résolument à l’idée d’une «solution militaire» dont une hypothétique issue négociée passerait par le démantèlement de l’armée burundaise à dominante tutsi. Dans ces conditions, les rebelles considèrent les HutuS de la transition comme des marionnettes, voire comme des traîtres pétris d’ambitions personnelles.

Contourner Ndayizeye

Le porte-parole des FNL, Pasteur Habimana, place la barre par dessus la tête du président Domitien Ndayizeye. Pour arrêter l’offensive sur Bujumbura. «nous exigeons que le président Ndayizeye démissionne», dit-il, en posant la même condition au gouvernement, car, selon lui, «il n’y a pas de gouvernement légal et légitime au Burundi». Au total, les FNL veulent en finir avec la transition, «que soit dissout le parlement de transition, avant l’organisation de négociations entre les communautés hutu et tutsie», c’est-à-dire avec les mandants de l’armée, ceux qui détiennent le pouvoir réel selon l’analyse rebelle du rapport de force. En attendant, chaque matin depuis le début de la semaine, l’armée gouvernementale explique que les FNL ont reçu des renforts pendant la nuit avant de repartir à l’assaut à partir des positions que le commandement militaire assurait, la veille, avoir nettoyées. Jeudi, la majeure partie des trois quartiers sud de Bujumbura étaient inaccessibles. Les rebelles ont juré de ne pas décrocher de la capitale tant que leurs revendications ne seraient pas satisfaites.

A l’instar des rebelles des Forces pour la défense de la démocratie (FDD), les FNL avaient boycotté les négociations inter-burundaises d’Arusha, faussées selon eux par la présence autour du tapis vert de politiciens plus ou moins représentatifs, mais surtout nulles et non avenues en l’absence d’un face-à-face entre les véritables belligérants, en l’occurrence l’armée burundaise et eux-mêmes, les deux mouvements armés. De préalables en luttes intestines manipulées par le régime, les FNL sont restées à l’écart de toutes négociations directes tandis que le régime Buyoya parvenait à un accord de cessez-le-feu avec les FDD de Pierre Nkurunziza le 2 décembre 2002. Des négociations politiques devaient suivre et aboutir à un accord de paix définitif résolvant au passage la question de la place des anciens combattants rebelles dans une future armée nationale. Tout est resté en suspens depuis. Et ce 8 juillet, un communiqué des FDD accusait le gouvernement Ndayizeye de violer le cessez-le-feu par «des attaques militaires répétitives dans la province de Bubanza avec l’appui aérien et terrestre ce 30 juin des forces sud-africaines – qui ont déployé quelque 2 800 casques blancs au Burundi –, pourtant partie intégrante de la force africaine de maintien de la paix au Burundi», fustigeant au passage «les manœuvres d’infiltration des agents du Frodebu – le parti du président Ndayizeye – dans les secteurs sous contrôle des FDD en vue de détruire le mouvement de l’intérieur par des assassinats sélectifs et de démobiliser ses combattants comme ils ont opéré au palipehutu FNL du commandant Rwasa Agathon».

Pierre Nkurunziza demande des comptes à l’Afrique du Sud, mais il prend garde de ne pas se mettre en porte-à-faux diplomatique en déniant toute participation aux actions du FNL. Il se plaint au contraire de l’interruption des négociations mais relève le discours du président Ndayizeye le 1er juillet : «un discours de guerre, de menace d’anéantissement du CNDD-FDD par les armes et de demande de sanctions pour enterrer à jamais l’accord de cessez-le-feu du 2 décembre 2002». En clair, les FDD accusent les administrateurs hutu de la transition de vouloir se débarrasser d’eux, après les avoir implicitement utilisé comme instrument de pression militaire pendant les négociations d’Arusha. A l’époque, les politiciens hutu engrangeaient les accusations du pouvoir dénonçant leur collusion avec son opposition armée. Cela irritait alors au plus haut point FNL et FDD qui boycottaient Arusha pour éviter justement de se faire damer le pion. L’idée d’une cause commune hutu s’est en tout cas volatilisée aux portes du pouvoir.

Le nouveau timonier hutu de la barque burundaise dispose de six mois pour ramener la paix avant les présidentielles, et cela sans se couler, lui-même ou son parti Frodebu, comme le demande ouvertement les FNL. Les exigences politico-militaires des FDD ne sont guère plus séduisantes vues de Bujumbura. La tentation est grande, pour le président Ndayizeye, d’utiliser le radicalisme rebelle comme repoussoir.



par Monique  Mas

Article publié le 10/07/2003