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Burundi

La paix se fait attendre

Deux semaines après l’accord historique entre les rebelles des FDD et le gouvernement burundais, signé le 2 décembre dernier, le bilan est mitigé. L’entrée en vigueur du cessez-le-feu est prévue le 30 décembre prochain, et d’ici-là, le cantonnement des rebelles et d’une partie des militaires doit être terminé. Pourtant l’insécurité persiste sur le terrain, tout autour de la capitale, Bujumbura.
De notre envoyée spéciale

Curieuse et terrible guerre que celle qui ravage le Burundi depuis bientôt dix ans. La capitale Bujumbura a souffert et cela se voit, mais l’on peut à présent se balader sans crainte le long du lac Tanganyika, siroter un verre en toute quiétude dans l’un de ses nombreux bars, aller au cinéma, bref oublier que partout autour de la ville, c’est la guerre.

La route qui conduit à Bubanza, au Nord, est bordée par la forêt de la Kibira –qui s’étend jusqu’au Rwanda voisin–, le fief des rebelles hutus des FDD (Forces pour la défense de la démocratie). En dépit de l’accord historique de cessez-le-feu, signé le 2 décembre dernier entre les FDD et le gouvernement de transition, les armes ne se sont pas tues. A Muramvya, sept personnes sont mortes, une autre a été tuée un peu plus loin sur la route par un groupe rebelle non identifié. Ce décompte macabre et l’insécurité ambiante sont le lot quotidien de milliers de déplacés, relogés en bordure de cet axe routier. Ironie du sort: ces populations ont fui leur colline d’origine, en quête d’un endroit plus sûr.

«La vie est catastrophique, ici. Nous n’avons rien à manger, rien pour travailler, pas de toit pour la maison», raconte Didancienne, les yeux résignés. Cette jeune femme de 23 ans vit sur le site de Mpanda, avec 350 autres hommes, femmes et enfants. «L’accord, ce n’est que du papier, on ne rentrera chez nous quand on sera sûr que la guerre est finie», ajoute cette mère de trois enfants. Comme elle, ils sont près de 400 000 déplacés à travers le pays. La question de leur retour dans leur colline d’origine sera l’un des principaux problèmes pour le gouvernement si le cessez-le-feu entre effectivement en vigueur à la fin du mois.

Il ne faut pas se fier non plus au calme apparent qui règne au sud de Bujumbura, où se détache une immense chaîne de montagnes. C’est derrière cet obstacle naturel que se cachent les rebelles des FNL (Forces nationales de libération), non signataires de l’accord, qui poursuivent leurs «activités nuisibles», selon les termes du porte-parole du vice-président burundais. Bilan de cette dernière semaine: trois personnes tuées dans la banlieue sud de Bujumbura; une vingtaine de morts, dont deux civils, dans des combats entre rebelles et l’armée burundaise au sud-est de la capitale, dimanche et lundi. Pour leur approvisionnement, les rebelles comptent sur les habitants majoritairement hutus de cette province de Bujumbura rural –la plupart des Tutsis ont fui et rejoint le centre-ville dès le début de la crise en 1993.

«Les Hutus doivent reprendre le pouvoir aux Tutsis»

«Nous devons donner de l’argent chaque mois aux rebelles, c’est la cotisation. Nous n’avons pas le choix, sinon c’est les problèmes», explique Patrice, en désignant les collines qui surplombent sa maison, d’où l’on imagine déferler les rebelles en armes. Avec son salaire de cuisinier, ce jeune homme d’une trentaine d’année nourrit sa famille à laquelle s’ajoute une vingtaine de déplacés des alentours. «Si je n’avais pas ce travail, je serais parti rejoindre les FNL. Les Hutus doivent reprendre le pouvoir aux Tutsis», clame-t-il. Avant d’ajouter, sans se départir de son large sourire: «Enfin, je veux parler de l’armée –dominée par les Tutsis, ndlr– la population, je n’ai rien contre elle».

Les habitants de Bujumbura rural disent souffrir non seulement des pillages des rebelles, mais aussi du racket des militaires, cantonnés dans leur villages. Tous les gestes quotidiens sont effectués avec la plus grande prudence par ces paysans qui doivent jongler entre les uns et les autres pour rester en vie.

A l’ouest de la capitale, sur l’autre rive du lac Tanganyika, on aperçoit Uvira, située en République démocratique du Congo, au-delà de la frontière. Là-aussi, la nouvelle de l’accord de cessez-le-feu a été reçue avec intérêt. Et avec le plus grand scepticisme. Lorsqu’ils sont poursuivis par l’armée burundaise, les groupes rebelles, FNL comme FDD, viennent se réfugier à proximité d’Uvira, dans une forêt qui borde la plaine de la Ruzizi en RDC. Ils laissent souvent sur leur passage de nombreuses victimes. «Nous demandons au gouvernement burundais de garder ces gens chez lui! Nous souffrons déjà assez avec notre propre guerre», explique un habitant de Kiliba, à quelques kilomètres d’Uvira, l’une des principales villes de l’est du Congo. Un nouveau massacre il y a dix jours a traumatisé le village. L’accord était à peine signé au Burundi, quand une trentaine de paysans congolais qui se rendaient aux champs ont été enlevés, puis égorgés, par un groupe non identifié –probablement des membres ou anciens membres des FNL. «Il y a quelques années, ils vivaient avec nous dans les villages, nous étions comme des frères, mais maintenant ils viennent nous massacrer. On n’ose même plus aller cultiver!», poursuit cet enseignant qui a perdu un fils dans le massacre.

Pour que Bujumbura soit à nouveau une capitale accessible, et perde son allure de citadelle assiégée, ses alentours doivent être pacifiés. Si le calendrier de l’accord est respecté, le cantonnement des hommes armés –dans des zones encore inconnues– devrait être terminé le 30 décembre, date de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Les observateurs craignent ensuite des complications pour la répartition du pouvoir politique et surtout militaire, les rebelles demandent une refonte de l’armée. La population espère que les désaccords s’exprimeront cette fois sur le terrain politique.



par Pauline  Simonet

Article publié le 19/12/2002