Burundi
Le recyclage des miliciens
Les «gardiens de la paix», anciennes milices pro-gouvernementales qui contrôlent de nombreux quartiers de la capitale représentent désormais une menace pour le pouvoir.
De notre envoyée spéciale à Bujumbura
C’est l’heure. Déjà seize heures dix, ils sont un peu en retard. Comme chaque jour, Didier, Alexis et Jean-Claude s’en vont chercher leurs armes à la position militaire. Fini de paresser sur le muret avec leurs copains sans emploi qu’ils rejoindront demain. Les «gardiens de la paix» doivent effectuer leurs patrouilles durant toute la nuit dans Kinama. Ce quartier hutu, à la périphérie nord de Bujumbura, porte les séquelles des nombreux combats qui ont opposé l’armée et les rebelles hutus des FNL (Forces nationales de libération) depuis le début de la guerre civile, il y a plus de neuf ans: d’innombrables maisons brûlées, abandonnées ou rongées par le temps.
Aux pieds des collines, fief de la rébellion, et de la forêt de Tunga, Kinama est régulièrement «visité» par les assaillants. Une partie de la population, hostile à l’armée, dominée par les Tutsis, soutient les rebelles et leur offre de quoi se nourrir quand ils le réclament. L’autre est contrainte de le faire par le biais de la «cotisation». Celui qui refuse peut voir sa maison détruite ou l’un de ses enfants tués sur le champ.
L’atmosphère est tendue aujourd’hui pour les jeunes gardiens. Deux cadavres ont été retrouvés ce matin dans les champs environnants. «Ils ont tué le directeur d’une école. Je le connaissais bien, il habitait derrière chez moi», explique Jean-Claude, tout en se rendant à la position militaire. «Il »: ce sont les FNL d’après les gardiens. Le motif des meurtres: les deux victimes étaient soupçonnées de soutenir une partie dissidente de la rébellion qui a conclu un accord de paix avec le président Buyoya, en octobre dernier.
Dans ce contexte, leurs patrouilles vont être difficiles. Cela fait trois ans que ces jeunes Hutus de 21, 22 et 23 ans ont été recrutés dans ces milices d’auto-défense, pour soutenir l’armée. Ils sont soixante au total pour le quartier. «Au début, on n’avait pas d’armes, on utilisait des machettes et des pierres. Quand les attaques sont devenues de plus en plus nombreuses, on nous a donné des fusils, mais avec seulement deux balles parce que l’armée n’avait pas vraiment confiance en nous», poursuit Jean-Claude, le plus âgé. Son regard balaye les alentours, guettant la présence d’un soldat, qui n’apprécierait pas de les voir parler à des étrangers. La mission de ces jeunes est de seconder l’armée pendant la nuit. Les militaires craignent souvent de s’aventurer dans ce quartier hutu et de tomber dans une embuscade, surtout à la nuit tombée. Ils sont plusieurs milliers de «gardiens de la paix» à travers le pays à travailler dans les mêmes conditions: ni salaire, ni statut légal, ni assurance, ni indemnisation en cas d’accident.
250 000 armes illégales
En décembre dernier, le gouvernement a conclu avec l’autre grande rébellion, les FDD (Forces pour la défense de la démocratie), un accord de paix qui prévoie notamment l’intégration des rebelles dans l’armée. Depuis, les « gardiens de la paix » commencent à faire entendre leur voix. Par l’intermédiaire des radios locales, ils demandent d’être reconnus et expriment leur malaise. Ces jeunes hutus, collaborant avec l’armée à dominante tutsie, sont considérés par les uns comme des traîtres et par les autres comme des espions. «Les jeunes gardiens de la paix ont beaucoup donné, jour et nuit. Nous devrions être remerciés d’une manière ou d’une autre car il y en a qui sont morts, d’autres ont perdu leurs fils, et on n’a jamais rien reçu !», lance, plein d’amertume, un ancien gardien de la paix, qui a souhaité garder l’anonymat. Il a quitté la milice après une patrouille qui s’est terminée dans le sang, et qui a conduit un des gardiens en prison.
Le manque de contrôle de ces milices engendre aussi de nombreux dérapages: meurtres, viols et agressions. Jeanne a perdu un enfant l’an dernier, victime d’une balle perdue, lui a-t-on dit. «On nous a donné ces gardiens pour arrêter la violence. En fait, depuis qu’ils sont là, il y a encore plus de violence», se lamente-t-elle, en regardant les films à l’affiche du cinéma de quartier (des films américains, traduits en kirundi, passent sur un minuscule écran de télévision). Elle n’ira pas, faute d’argent. «En plus les gardiens nous volent le soir. Si tu ne donnes rien, tu te fais battre», renchérit-elle, esquissant quand même un sourire.
Si ces «gardiens de la paix» ne sont pas pris en compte dans les accords de paix, ils pourraient rapidement représenter un danger. L’équation est simple: on estime qu’environ 250 000 armes légères circulent illégalement dans le pays et ces jeunes gens ont été formés au tir. C’est le cas de Didier, Alexis et Jean-Claude qui rejoignent à présent au pas de course les militaires, sous les regards envieux de quelques jeunes garçons qui traînent au bord de la route.
C’est l’heure. Déjà seize heures dix, ils sont un peu en retard. Comme chaque jour, Didier, Alexis et Jean-Claude s’en vont chercher leurs armes à la position militaire. Fini de paresser sur le muret avec leurs copains sans emploi qu’ils rejoindront demain. Les «gardiens de la paix» doivent effectuer leurs patrouilles durant toute la nuit dans Kinama. Ce quartier hutu, à la périphérie nord de Bujumbura, porte les séquelles des nombreux combats qui ont opposé l’armée et les rebelles hutus des FNL (Forces nationales de libération) depuis le début de la guerre civile, il y a plus de neuf ans: d’innombrables maisons brûlées, abandonnées ou rongées par le temps.
Aux pieds des collines, fief de la rébellion, et de la forêt de Tunga, Kinama est régulièrement «visité» par les assaillants. Une partie de la population, hostile à l’armée, dominée par les Tutsis, soutient les rebelles et leur offre de quoi se nourrir quand ils le réclament. L’autre est contrainte de le faire par le biais de la «cotisation». Celui qui refuse peut voir sa maison détruite ou l’un de ses enfants tués sur le champ.
L’atmosphère est tendue aujourd’hui pour les jeunes gardiens. Deux cadavres ont été retrouvés ce matin dans les champs environnants. «Ils ont tué le directeur d’une école. Je le connaissais bien, il habitait derrière chez moi», explique Jean-Claude, tout en se rendant à la position militaire. «Il »: ce sont les FNL d’après les gardiens. Le motif des meurtres: les deux victimes étaient soupçonnées de soutenir une partie dissidente de la rébellion qui a conclu un accord de paix avec le président Buyoya, en octobre dernier.
Dans ce contexte, leurs patrouilles vont être difficiles. Cela fait trois ans que ces jeunes Hutus de 21, 22 et 23 ans ont été recrutés dans ces milices d’auto-défense, pour soutenir l’armée. Ils sont soixante au total pour le quartier. «Au début, on n’avait pas d’armes, on utilisait des machettes et des pierres. Quand les attaques sont devenues de plus en plus nombreuses, on nous a donné des fusils, mais avec seulement deux balles parce que l’armée n’avait pas vraiment confiance en nous», poursuit Jean-Claude, le plus âgé. Son regard balaye les alentours, guettant la présence d’un soldat, qui n’apprécierait pas de les voir parler à des étrangers. La mission de ces jeunes est de seconder l’armée pendant la nuit. Les militaires craignent souvent de s’aventurer dans ce quartier hutu et de tomber dans une embuscade, surtout à la nuit tombée. Ils sont plusieurs milliers de «gardiens de la paix» à travers le pays à travailler dans les mêmes conditions: ni salaire, ni statut légal, ni assurance, ni indemnisation en cas d’accident.
250 000 armes illégales
En décembre dernier, le gouvernement a conclu avec l’autre grande rébellion, les FDD (Forces pour la défense de la démocratie), un accord de paix qui prévoie notamment l’intégration des rebelles dans l’armée. Depuis, les « gardiens de la paix » commencent à faire entendre leur voix. Par l’intermédiaire des radios locales, ils demandent d’être reconnus et expriment leur malaise. Ces jeunes hutus, collaborant avec l’armée à dominante tutsie, sont considérés par les uns comme des traîtres et par les autres comme des espions. «Les jeunes gardiens de la paix ont beaucoup donné, jour et nuit. Nous devrions être remerciés d’une manière ou d’une autre car il y en a qui sont morts, d’autres ont perdu leurs fils, et on n’a jamais rien reçu !», lance, plein d’amertume, un ancien gardien de la paix, qui a souhaité garder l’anonymat. Il a quitté la milice après une patrouille qui s’est terminée dans le sang, et qui a conduit un des gardiens en prison.
Le manque de contrôle de ces milices engendre aussi de nombreux dérapages: meurtres, viols et agressions. Jeanne a perdu un enfant l’an dernier, victime d’une balle perdue, lui a-t-on dit. «On nous a donné ces gardiens pour arrêter la violence. En fait, depuis qu’ils sont là, il y a encore plus de violence», se lamente-t-elle, en regardant les films à l’affiche du cinéma de quartier (des films américains, traduits en kirundi, passent sur un minuscule écran de télévision). Elle n’ira pas, faute d’argent. «En plus les gardiens nous volent le soir. Si tu ne donnes rien, tu te fais battre», renchérit-elle, esquissant quand même un sourire.
Si ces «gardiens de la paix» ne sont pas pris en compte dans les accords de paix, ils pourraient rapidement représenter un danger. L’équation est simple: on estime qu’environ 250 000 armes légères circulent illégalement dans le pays et ces jeunes gens ont été formés au tir. C’est le cas de Didier, Alexis et Jean-Claude qui rejoignent à présent au pas de course les militaires, sous les regards envieux de quelques jeunes garçons qui traînent au bord de la route.
par Pauline Simonet
Article publié le 18/02/2003